Cette réalité s’explique en grande partie du fait que les compétences que possèdent de nombreux immigrants arrivant au Canada ainsi que les domaines d’étude des étudiants étrangers ne sont pas adéquatement jumelés avec les besoins structurels à plus long terme anticipés de l’économie. Ce fait nuit aux perspectives des nouveaux arrivants et, plus généralement, à l’économie.
Dans l’état actuel des choses, il se pourrait fort bien que le système d’immigration mette trop l’accent sur les besoins à court terme du marché du travail, s’employant à combler les lacunes des secteurs qui connaissent depuis la pandémie de graves pénuries au chapitre des professions peu spécialisées.
Cette situation a mené à une augmentation du nombre de résidents non permanents, à une pression sur le logement et les services sociaux, de même qu’à une érosion du soutien de la population à l’égard de l’immigration.
Le gouvernement fédéral doit réactualiser ses politiques d’immigration afin de mettre plus stratégiquement l’accent sur les retombées pour les immigrants ainsi que sur les besoins structurels à long terme du marché du travail, tout en gardant à l’esprit la capacité des infrastructures, s’agissant de répondre aux besoins des nouveaux arrivants. Il est essentiel d’agir en ce sens pour maintenir la prospérité économique à long terme et préserver la qualité de vie élevée qui prévaut au Canada.
Le présent rapport se propose d’examiner la façon dont l’effet combiné d’une inadéquation entre les compétences des immigrants et les besoins à long terme du marché du travail, ainsi que les pressions sur la capacité des infrastructures du pays, se traduisent par des retombées économiques négatives.
- L’élargissement des objectifs en matière d’immigration afin de répondre au vieillissement de la population ainsi que pour combler les besoins à court terme du marché du travail a mené à un écart croissant entre les compétences des travailleurs et les aptitudes nécessaires pour faire face aux pénuries structurelles de main-d’œuvre à long terme.
- L’emploi des titulaires de permis de travail temporaire, dont les étudiants étrangers, vise principalement les secteurs où les professions sont peu spécialisées, ce qui réduit la mesure dans laquelle les entreprises sont incitées à innover et à investir dans les technologies à faible main-d’œuvre ou ayant pour conséquence de rendre la main-d’œuvre plus productive.
- Le parcours en deux étapes qui sous-tend la présentation d’une demande de résidence permanente en place au Canada doit faire l’objet d’une meilleure supervision pour s’assurer que les établissements d’enseignement et les requérants n’abusent pas du système.
- Il importe d’intervenir à l’égard de la pression exercée sur les infrastructures et les services sociaux afin d’améliorer les retombées sur le plan économique des immigrants et de leurs collectivités environnantes.
- Le Système de classement global du Canada doit être actualisé afin d’accorder la priorité aux immigrants de la composante économique dont les revenus prévus sont plus élevés.
Il sera essentiel d’accroître le nombre de personnes en âge de travailler dont le potentiel de revenu est plus élevé pour contribuer à répartir les coûts des programmes de soutien social, comme dans le cas des soins de santé. Cependant, les décideurs politiques doivent également relever le défi que représente le fait d’intégrer à moyen terme un nombre important et sans cesse croissant de nouveaux immigrants.
Élargir les objectifs en matière d’immigration
Les efforts déployés par le gouvernement fédéral pour augmenter l’immigration afin de compenser l’impact du vieillissement démographique sont parvenus à renforcer à court terme la population active.
Au cours des 12 mois précédant juillet 2023, la population du Canada a augmenté de 3,3 %, ce qui représente un pourcentage important et le taux le plus élevé depuis plus de six décennies. Cette hausse est presque entièrement due à l’immigration alors que le gouvernement fédéral a relevé les objectifs en matière d’immigration en ce qui concerne les résidents permanents.
Un flux constant d’immigrants s’avère nécessaire alors que plus de 500 000 membres canadiens de la génération du baby-boom atteignent tous les ans l’âge de la retraite, soit 65 ans. La croissance naturelle de la population est en chute à un point tel que, d’ici 2030, on s’attend à ce que la croissance démographique globale provienne entièrement de l’immigration.
Répondre aux besoins à court terme du marché du travail
Au cours des trois dernières années, les rangs de la population active ont bondi de 6,8 %, ce qui représente un taux de croissance sans précédent depuis le début des années 2000. Un plus grand nombre d’étudiants étrangers que jamais auparavant gagnent de l’argent tout en étudiant. En 2000, environ un étudiant étranger sur cinq détenait un emploi. Aujourd’hui, environ la moitié d’entre eux travaillent tout en étudiant. Au cours de l’exercice 2022-2023, les employeurs ont été en mesure de puiser dans un bassin d’environ 1,2 million de résidents temporaires détenant un permis de travail. En 2023, le gouvernement fédéral a également mis de l’avant des prolongations ponctuelles de 18 mois aux personnes travaillant en vertu d’un permis de travail postdiplôme afin d’intervenir de manière plus significative à l’égard des pénuries généralisées de main-d’œuvre.
Cette situation réduit en effet la mesure dans laquelle les entreprises canadiennes sont incitées à innover et à investir dans les technologies à faible main-d’œuvre ou ayant pour conséquence de rendre la main-d’œuvre plus productive qui s’avèrent nécessaires pour faire face à une population vieillissante et maintenir la compétitivité de l’économie à l’échelle mondiale . La faiblesse économique actuelle pourrait également avoir des répercussions marquées sur les professions peu qualifiées, alors qu’il est vraisemblable que les résidents non permanents et les immigrants récents feront de manière disproportionnée les frais des pertes d’emplois.
Inadéquation entre les compétences et les besoins du marché du travail
Les avantages à plus long terme d’une main-d’œuvre disponible abondante ne sont pas non plus clairs puisque, malgré l’augmentation du nombre de travailleurs, persistent des pénuries dans de nombreux domaines, principalement dans les soins de santé et les métiers spécialisés.
Près de la moitié (46 %) des pénuries structurelles de main-d’œuvre prévues touchent des professions pour lesquelles il n’est pas nécessaire d’avoir réalisé des études universitaires ou collégiales. Cela permet de croire que les compétences que les étudiants étrangers acquièrent dans le cadre de leurs études ne correspondent pas bien avec les besoins structurels à plus long terme prévus du marché du travail.
Dans les collèges et les universités, les étudiants étrangers sont surreprésentés dans le domaine de la gestion des affaires ainsi qu’en sciences, technologies, ingénierie et mathématiques (STIM), cependant qu’ils sont sous-représentés dans les métiers spécialisés et les soins de santé. Si certains travailleurs de la santé et détenant un métier spécialisé provenant d’autres pays obtiennent un permis de travail temporaire et un droit de pratique professionnel, ils représentent néanmoins un nombre disproportionnellement faible de résidents temporaires détenant un emploi.
Le rôle du système d’immigration « en deux étapes » du Canada
Le système d’immigration du Canada est fortement tributaire de son programme d’immigration « en deux étapes », qui permet aux étudiants étrangers de soumettre éventuellement une demande de résidence permanente.
En 2018, près de 60 % des candidats à l’immigration économique détenaient une expérience de travail au Canada, ce qui montre que la majorité des immigrants permanents provenaient du bassin des résidents temporaires . Les pressions exercées sur les infrastructures ainsi que l’évolution du marché du travail permettent de croire que le Canada doit élargir les moyens par le truchement desquels les nouveaux arrivants peuvent immigrer.
L’obtention d’un diplôme auprès d’un établissement d’enseignement désigné rend automatiquement admissibles les étudiants étrangers à un permis de travail postdiplôme, ce qui leur permet d’acquérir une expérience de travail enrichissante et de mieux se qualifier en vue de la résidence permanente.
Le cheminement en deux étapes sied également bien aux établissements postsecondaires, dont beaucoup sont confrontés à des compressions sur le plan du financement dans un contexte de stagnation du financement provincial ainsi qu’à une baisse ou à un gel des frais de scolarité des étudiants canadiens. De nombreuses universités et de nombreux collèges comptent sur les frais de scolarité plus élevés des étudiants étrangers pour combler leur déficit en matière de financement, et ce, même si les étudiants provenant d’autres pays ne représentent que moins d’un cinquième des inscriptions universitaires au Canada. Malgré tout, ils représentent un tiers des frais de scolarité.
L’accent a été particulièrement mis sur l’adoption de mesures sévères envers les « usines à chiots », soit les collèges d’enseignement professionnel privés à but lucratif et les institutions similaires dont le gouvernement estime qu’ils n’offrent pas une expérience légitime aux étudiants, tout en délivrant force diplômes. Les collèges privés, parfois en partenariat avec des collèges publics, ciblent de plus en plus les étudiants étrangers comme source de revenu lucrative. Cette réalité a eu des retombées négatives pour les étudiants et leurs collectivités environnantes.
Pressions sur le logement et les services sociaux
Le logement représente un défi majeur alors que la demande affecte de manière disproportionnée les villes de Toronto, Vancouver et Montréal – des marchés où les prix sont élevés et où l’offre de logements est faible . Des mesures politiques ont été mises en place pour accélérer la construction de logements, dont une réduction de la TPS fédérale sur les nouvelles constructions
C’est également le cas, s’agissant des pressions exercées sur les infrastructures sociales. En effet, l’immigration est un aspect important de la solution pour attirer du personnel dûment formé pour occuper des emplois dans les services sociaux. Cependant, même les meilleurs candidats éprouvent fréquemment de la difficulté à s’intégrer sans heurts. Il faut également du temps pour former et embaucher des éducateurs, du personnel hospitalier ou des travailleurs de soutien communautaire additionnels.
La réponse du gouvernement aux défis
Une série de changements et de mises à jour ont été annoncés par le gouvernement fédéral dans le but de contribuer à freiner les rangs qui ne cessent de s’agrandir des résidents non permanents et de parvenir à mieux surveiller les nouveaux arrivants qui entrent sur le marché du travail.
En janvier, le gouvernement fédéral a imposé un plafond au nombre total de permis d’études devant être délivrés sur une période de deux ans, en limitant le nombre à 364 000, ce qui représente environ la moitié du nombre de permis délivrés en 2023.
Le gouvernement a également mis en place des exigences financières plus strictes pour les candidats étudiants étrangers, en faisant passer le capital minimum requis de 10 000 $ à plus de 20 000 $ pour veiller à ce que les étudiants disposent d’un coussin suffisant pour subvenir à leurs besoins pendant leurs études. Par ailleurs, des visas de travail ne seront plus délivrés aux conjoints des étudiants étrangers de premier cycle, tandis que les étudiants fréquentant un collège privé n’auront plus droit au permis de travail postdiplôme, cette initiative visant à tenter d’intervenir à l’égard des lacunes potentielles que présente le système.
Cependant, le gouvernement ne devra pas se limiter à ces mesures initiales pour réformer le système d’immigration pour faire en sorte que tant l’économie que les nouveaux arrivants puissent à nouveau profiter des avantages de l’immigration.
Les décideurs politiques devraient se pencher sur d’autres flux de résidents non permanents – comme le Programme des travailleurs étrangers temporaires et le Programme de mobilité internationale –, dont les rangs ont également explosé. Ils doivent remédier à la situation sur le plan de la pénurie de logements sur les campus et à proximité de ces derniers, en plus d’actualiser le processus de sélection des résidents permanents en rationalisant le nombre de voies disponibles pour accorder la priorité aux candidats dont les revenus prévus sont les plus élevés.
Voici des recommandations qui pourraient contribuer à maintenir le système d’immigration sur la bonne voie afin de répondre aux besoins du pays
Élaboré en 2015, le SCG actuel prévoit des critères de sélection axés sur des facteurs parmi lesquels figurent les compétences linguistiques, l’âge et les études. Les requérants sont périodiquement invités à soumettre une demande de résidence permanente sur la base d’un seuil de classement prédéfini. Du fait de la hausse des objectifs en matière d’immigration, il s’est avéré nécessaire de puiser plus profondément dans le bassin de requérants pour atteindre ces objectifs. Les seuils ont été abaissés de telle sorte que puissent être sélectionnés un plus grand nombre de résidents permanents en marge de ce processus.
Le SCG devrait être mis à jour et rationalisé afin d’accorder la priorité aux immigrants économiques dont le niveau de revenu prévu est le plus élevé. Le fait de mettre l’accent sur les immigrants dont le niveau de revenu est le plus élevé pourrait contribuer à améliorer les retombées économiques pour les nouveaux arrivants, en plus d’inciter les entreprises à innover ou à réaliser des investissements permettant d’accroître les rangs de la main-d’œuvre afin de surmonter la pénurie de travailleurs peu qualifiés.
Les universités et les collèges devraient en faire davantage pour offrir des possibilités d’emploi et accroître le niveau de préparation à l’emploi des étudiants étrangers. Les politiques fédérales doivent supprimer ou modifier l’exigence selon laquelle les étudiants étrangers affirment ne pas avoir pour intention de rester au Canada une fois leur diplôme obtenu. Les étudiants potentiels doivent indiquer qu’ils n’ont pas pour objectif de demeurer au pays au-delà de la période visée par leur permis d’études, même si des programmes comme le Programme de permis de travail postdiplôme ont été conçus de telle sorte qu’ils puissent le faire. Cette mesure aiderait les établissements postsecondaires à mieux élaborer des parcours études-travail à l’intention des étudiants étrangers. En outre, il convient d’améliorer la situation sur le plan de l’information communiquée aux employeurs à l’égard des règles qui encadrent l’embauche d’étudiants étrangers et des avantages que présentent de telles embauches.
Une expérience accrue du marché du travail et de la langue pendant leurs études aiderait les résidents temporaires à obtenir leur résidence permanente plus rapidement ainsi qu’à améliorer leur revenu potentiel une fois qu’ils ont immigré. Les étudiants étrangers sont actuellement exclus de nombreuses possibilités d’apprentissage intégrées au travail.
La certification des qualifications ou les titres de compétence d’établissements reconnus dans des pays sources donnés pourrait contribuer à rationaliser l’intégration au marché du travail, économiser des ressources et assurer une transition plus facile pour les personnes venant au Canada.
La reconnaissance des titres de compétence est un problème de longue date pour les nouveaux arrivants. Dans le cas des désignations professionnelles bien rémunérées, le processus de certification des titres de compétence des immigrants peut être long et coûteux. Il n’existe aucun cadre clair en ce qui concerne les autres professions, et il revient souvent aux employeurs eux-mêmes de déterminer l’aptitude d’un candidat nouveau venu. Ce processus peut être long pour les employeurs, en plus de constituer un frein à l’obtention d’un emploi pertinent pour les immigrants.
Pour en savoir plus, allez à Économique RBC et Leadership avisé RBC.
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Contributors:
Benjamin Richardson, associé, Recherche
Cynthia Leach, Économiste en chef adjoint
Rajeshni Naidu-Ghelani, Rédacteur en chef
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