Beaucoup de choses ont changé depuis le budget de 2024 présenté au printemps. La réduction des cibles d’immigration fédérales pourrait enrayer le moteur de croissance grâce auquel l’économie canadienne avance depuis plusieurs années. Les politiques du président américain élu Donald Trump influeront sur les données économiques nationales et les priorités en matière de dépenses. De plus, des élections fédérales se profilent.

Et dans l’ensemble, les défis restent les mêmes. Le taux de chômage canadien a augmenté plus rapidement que celui des autres économies avancées, la croissance de la productivité est parmi les plus faibles, et bon nombre de personnes demeurent aux prises avec des problèmes d’accessibilité.

Bien que le suivi du plan budgétaire de 2024-2025 fasse apparaître une pression à la hausse sur le déficit fédéral jusqu’à maintenant, les enjeux ci-dessus font peser des risques plus importants sur le résultat net du gouvernement pour les années à venir.

À l’approche de 2025, alors que l’Énoncé économique de l’automne a été publié, nous attendons de voir comment le budget du gouvernement s’attaquera aux nouveaux défis, mais aussi aux problèmes persistants, tout en maintenant une discipline budgétaire.

1. Gérer les retombées budgétaires de la réduction des cibles d’immigration

La robuste croissance démographique, qui a soutenu la croissance, mais qui pose aussi des problèmes particuliers, devrait être fortement modérée, compte tenu de la réduction des cibles d’immigration et de résidents temporaires.

Une croissance démographique plus lente se traduira par un ralentissement de la consommation et de la croissance de l’emploi pour l’ensemble de l’économie dans les années à venir, ce qui freinera l’expansion de l’assiette fiscale et des recettes du gouvernement. Ces changements réduiront de près d’un point de pourcentage la croissance économique des trois prochaines années par rapport à nos dernières projections, avec une incidence négative sur le solde budgétaire pour un montant cumulatif de 50 milliards de dollars sur cinq ans à compter de 2025.

Cela dit, d’autres facteurs contribueront à compenser ce choc budgétaire négatif au cours de la période planifiée. En premier lieu, des taux d’intérêt moins élevés que ce qui était prévu dans le budget de 2024 – étant donné que la Banque du Canada devra réduire ses taux de façon plus énergique dans l’anticipation d’un affaiblissement économique – soutiendront les finances fédérales. Au total, nous estimons que les changements économiques survenus depuis le budget de 2024 soustrairont près de 20 milliards de dollars du solde budgétaire pendant la période de prévision.

Cependant, le ralentissement de la croissance démographique pèsera de façon persistante sur le solde budgétaire, étant donné que cette tendance freinera la croissance de toute l’économie. La démographie canadienne devrait revenir à une tendance vieillissante, alors que l’essor de l’immigration à l’issue de la pandémie avait fait baisser l’âge médian pour la première fois. Les pressions budgétaires s’accentueront à mesure qu’une plus grande partie de la population aura recours aux services et programmes gouvernementaux coûteux, avec un soutien budgétaire amoindri en raison de la réduction de la main-d’œuvre.

2. Se préparer à une volatilité liée au commerce international

La nouvelle administration américaine crée de nouvelles turbulences dans les perspectives économiques et budgétaires du Canada.

Selon nos premières observations, la plupart des promesses de la campagne de Trump semblent négatives pour la croissance canadienne. L’augmentation des tarifs douaniers sur les importations de produits canadiens aux États-Unis ferait chuter la demande de produits fabriqués au Canada, tandis que la baisse des taux d’imposition pour les particuliers et les sociétés aux États-Unis nuirait à la compétitivité fiscale du Canada et aux perspectives d’investissement dans le pays. Cependant, l’ampleur des retombées est incertaine pour le moment. Le financement de ces promesses repose sur une augmentation des déficits et de la dette aux États-Unis, ce qui se traduirait par une pression supplémentaire sur les taux d’intérêt à long terme et une incidence sur les coûts d’emprunt pour les gouvernements canadiens.

En outre, la politique des États-Unis devrait influer sur les priorités de dépenses publiques au Canada. Il semble nécessaire d’accroître les dépenses de défense et les patrouilles frontalières pour que l’administration Trump revoie les tarifs douaniers, ce qui ajoute un fardeau sur le résultat net canadien si nous voulons demeurer un partenaire commercial des États-Unis. Une éventuelle réduction des taux d’imposition comparable à celle des États-Unis constituerait une autre pression sur les dépenses pour le gouvernement canadien.

Étant donné les vastes incertitudes sur la mesure dans laquelle les promesses de Trump se concrétiseront dans sa politique, et à quel moment, la façon dont le gouvernement intégrera ces risques à sa planification budgétaire, et la façon dont il signalera que ses priorités se chevauchent avec celles des États-Unis auront également de l’importance.

3. Relever les défis actuels de l’accessibilité dans un contexte d’année électorale

Les préoccupations liées au coût de la vie et à l’accessibilité au Canada représentent un problème économique très réel qui nécessite des solutions à court terme aussi bien que des solutions structurelles.

La politique fédérale a déjà allégé le coût de la vie pour de nombreux Canadiens, et continue sur cette voie, avec des dizaines de milliards de dollars en financement annuel pour des programmes phares comme le programme national de garde d’enfant et les programmes de soins dentaires, d’amélioration des prestations aux aînés et de logement. D’autres mesures sont en cours d’étude. Les frais de garde d’enfants devraient encore baisser dans au moins deux provinces, et une nouvelle baisse de la demande de logements est attendue à la suite de la révision des objectifs d’immigration, ce qui devrait modérer la concurrence sur le marché de la location. Les initiatives d’offre de logements, y compris les efforts à d’autres échelons gouvernementaux, réduiront les pressions sur les prix dans les années à venir. Ces types d’avantages ciblés et axés sur l’offre contribuent à réduire le coût de la vie à long terme.

En général, les initiatives générales et axées sur la demande, comme les aides en espèces, ne parviennent pas à résoudre le problème sous-jacent et risquent d’exacerber les tensions inflationnistes tout en compliquant le rôle de la politique monétaire. Les aides en espèces, du fait qu’elles affluent également vers les ménages à revenu élevé, par exemple, diluent l’aide aux personnes qui en ont le plus besoin, et il est presque certain qu’une grande partie de ces prestations sera mise de côté par les ménages en question.

Nous évaluerons les dépenses publiques futures en tenant compte des approches ciblées et axées sur l’offre, lesquelles contribuent à apaiser les tensions inflationnistes, contrairement aux mesures générales et axées sur la demande qui produisent l’effet inverse.

4. Résoudre le casse-tête de la productivité au Canada

Le Canada devra compter sur d’autres leviers pour stimuler sa croissance économique, compte tenu de sa politique d’immigration moins puissante. Le perfectionnement et la mise à niveau des compétences permettraient de recruter davantage de travailleurs nationaux. Néanmoins, la majeure partie du travail dépendra de la croissance de la productivité de la main-d’œuvre, un domaine où le Canada est à la traîne et où les progrès sont peu visibles.

La prudence budgétaire est de mise, mais il est peu probable que les marchés pénalisent les nouvelles dépenses visant à stimuler la croissance, comme la mise à niveau de l’offre de main-d’œuvre, les investissements d’infrastructure, l’expansion des technologies de pointe et les incitations à l’investissement en capital. Plus l’accent est placé sur l’amélioration de la productivité, par rapport aux autres dépenses, plus il est probable que les prévisions de croissance soient revues à la hausse et que les prévisions d’inflation diminuent. C’est cette distinction qui change le rapport entre le montant total dépensé par un gouvernement et l’incidence globale de sa politique. La destination de chaque dollar dépensé peut être plus pertinente pour les perspectives que le montant total des dépenses.

5. Préserver la santé budgétaire est primordial

La prudence budgétaire doit figurer en tête des priorités lorsqu’il s’agira de relever les défis à venir.

Tout d’abord, la position budgétaire du Canada présente de nombreux aspects positifs. Le pays fait partie des quelques économies riches ayant une cote de solvabilité triple A, ce qui lui permet d’emprunter à moindre coût. Sa planification budgétaire semble responsable, comparativement aux largesses budgétaires des États-Unis. Les investisseurs continuent d’acheter des titres de créance du gouvernement du Canada et l’organisme de surveillance du budget a déjà constaté que les finances fédérales sont viables à long terme, c.-à-d. que les ratios dette-PIB sont stables, malgré les milliards de nouvelles dépenses structurelles.

Toutefois, le Canada n’est pas invincible face aux changements de cap de l’économie et des marchés. Son niveau d’endettement brut est élevé, et plus de la moitié de sa dette est détenue par les provinces (ce qui continue de creuser largement le déficit). La crédibilité budgétaire a souffert des importantes dépenses structurelles engagées au fil des programmes successifs, lesquelles ont été financées par le déficit, y compris pendant la phase expansionniste du cycle économique, combinées à la faiblesse des cibles budgétaires.

Le fait que la consommation actuelle soit financée par le déficit érode la capacité budgétaire qui pourrait être nécessaire en cas de ralentissement, compte tenu des incertitudes importantes à court et moyen terme. La capacité budgétaire doit être soigneusement protégée. Par ailleurs, le Canada ne bénéficie pas du statut de monnaie de réserve ni d’une demande mondiale à l’égard de ses obligations souveraines, comme c’est le cas pour les États-Unis. Donc, bien que le pays soit généralement en meilleure santé budgétaire, il doit conserver cette santé.

L’évaluation de la santé budgétaire n’est pas simple, car les perspectives économiques peuvent changer et les marchés peuvent soudainement décider que les programmes publics sont intenables. Même si le Canada aborde cette ère dans une santé raisonnable, le pays devra témoigner de son engagement envers ses cibles budgétaires en mettant en place une politique budgétaire ciblée qui s’attaque aux défis extérieurs, oriente l’aide en faveur des plus démunis et encourage l’investissement et la croissance au pays.


Cynthia Leach est économiste en chef adjointe, Leadership avisé, RBC. Elle participe au choix des thèmes et des sujets de recherche dans le cadre de l’analyse économique et politique structurelle de l’équipe, en couvrant des sujets comme le capital humain, l’innovation et le commerce international. Elle s’est jointe à l’équipe en 2020.

Auparavant, Mme Leach était cadre au ministère des Finances du Canada, récemment à la tête d’une équipe chargée de la politique de financement du logement. Mme Leach est titulaire d’une maîtrise en économie de l’Université de Toronto.

Rachel Battaglia est économiste à RBC. Elle est membre du groupe d’Analyse macroéconomique et régionale, et fournit des analyses sur les perspectives macroéconomiques provinciales ainsi que des commentaires sur le budget.


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