Zita Cobb a longtemps chéri l’isolement géographique et la culture distincte de l’île Fogo, sa terre natale. Située au nord de Terre-Neuve, la minuscule île a vu sa modeste économie plombée par le déclin de la pêche à la morue. L’endroit a repris vie quand Zita Cobb – qui a fait fortune dans le secteur de la technologie – est revenue à son port d’attache pour y établir l’organisme de bienfaisance Shorefast ainsi que le réputé hôtel Fogo Island Inn, afin de rebâtir la résilience économique de sa collectivité.
Mme Cobb s’est entretenue avec John Stackhouse et Naomi Powell au sujet des collectivités à l’ère numérique, et des inégalités aggravées par la pandémie.
Zita, où avez-vous passé la pandémie ?
Je suis à Ottawa. Il y a maintenant 15 mois que je suis assise dans cette satanée chaise, qui est comme mon cockpit. J’ai dû choisir où j’allais m’installer pendant cette période. Et c’est la qualité de l’accès à Internet qui a motivé mon choix.
De quelle façon notre notion de la collectivité est-elle différente à l’ère numérique ?
J’ai toujours soutenu qu’une collectivité ne peut exister en ligne. Dans le monde numérique, on parle plutôt de réseaux. Une collectivité est un lieu géographique où vivent des gens en interrelation. Ces gens ont un destin commun. Et pour survivre, une collectivité doit avoir une économie. S’il n’y avait pas d’économies régionales, nous devrions tous vivre à Toronto. C’est aussi simple que ça.
“J'ai toujours soutenu qu'une collectivité ne peut exister en ligne.”
Croyez-vous que les habitants d’un endroit comme Fogo ou Iqaluit peuvent travailler et communiquer avec des gens du monde entier ?
Absolument. Nous avons maintenant une économie d’investissement solide et dynamique, ainsi qu’une très petite économie de production. Comment attirer des capitaux de placement dans une économie de production comme celle d’Iqaluit ? Ça ne se fera pas tout seul. Il faut une politique publique. Il faut que nous, les citoyens, réfléchissions à ce que nous voulons valoriser.
Et selon vous, que devrions-nous valoriser ?
La nature et la culture, deux éléments essentiels de la vie humaine. Le commerce et la technologie sont deux puissants outils qui devraient être au service de la nature et de la culture : c’est ce que dit l’économiste E.F. Schumacher. Qu’est-ce que la culture ? Rien d’autre qu’une réaction humaine à un lieu.
Entendez-vous par là qu’un travailleur type qui s’installerait à Fogo, par exemple, en serait transformé au fil du temps ?
C’est exactement ce que je dis. Nous avons un programme de résidence pour les artistes contemporains, dont la plupart produisent des œuvres très urbaines et conceptuelles. Nous n’imposons aucun thème ni genre de projet. Nous les accueillons sans a priori. Mais presque tous, après quelques mois sur place, se mettent à intégrer dans leur travail la relation de l’humain avec son lieu de vie.
De quelle façon avons-nous changé au cours des 15 derniers mois ?
Je crois que nos peurs se sont amplifiées et que nos rêves se sont quelque peu assagis. Et il nous revient de décider si notre vie sera fondée sur nos peurs ou sur nos rêves. Je crois aussi que les gens qui étaient égoïstes avant la crise le sont encore plus aujourd’hui. Nous avons trop utilisé notre cerveau, et nous avons été grandement isolés les uns des autres. Lorsque nous sommes désincarnés, la vie devient davantage comme un jeu à somme nulle.
“Je crois que nos peurs se sont amplifiées et que nos rêves se sont quelque peu assagis.”
Pendant cette crise, nous avons pu nous commander à manger en quelques coups de pouce sur un écran. Il n’y a plus de contacts humains, que du commerce.
Oui, et les contacts sont importants. Un jour, nous devrons décider si nous voulons revenir au monde chaotique, bruyant, collant et chargé de sens des contacts humains. Je suis optimiste, car les humains sont des créatures qui ont besoin que leur vie ait un sens. Je crois que nous déciderons de revenir à ce monde.
Quel a été l’effet de la pandémie sur les activités de votre entreprise ?
Moins de 5 % de la clientèle de l’hôtel Fogo Island Inn provient du Canada atlantique. Par conséquent, nous avons dû fermer nos portes. Comme notre travail est fortement axé sur la dignité économique, ç’a été très éprouvant de mettre à pied du personnel simplement parce que nous ne pouvions pas ouvrir nos portes. Grâce aux programmes de soutien du Canada, tout le monde a survécu, mais personne n’a envie de chômer pendant 15 mois.
Qu’est-ce qui a bien fonctionné ?
Nous avons multiplié nos efforts visant à faire connaître au monde notre approche du développement économique communautaire. Nous avons entrepris un projet pilote avec les Fondations communautaires du Canada. Notre thèse, c’est que la collectivité est l’unité de base du changement – et que, depuis 50 ans, les collectivités ont été progressivement évidées par la mondialisation débridée. Donc, qu’est-ce que le développement économique communautaire ? Quelles sont les meilleures pratiques ? La clé, c’est de proposer des plateformes pour les décideurs politiques, les entreprises et les collectivités, afin que tous ces gens s’attaquent ensemble à ces questions.
Maintenant que la vaccination est en cours, à quoi ressemble l’avenir du voyage ?
Je crois que l’avenir du voyage s’annonce radieux, mais que les choses seront très différentes. Les déplacements d’affaires seront probablement moins nombreux, mais c’est une bonne chose. Je crois que l’avenir du voyage sera sobre en carbone et axé sur la collectivité. Nous sommes entre autres passés à un modèle axé sur des séjours plus longs, ce qui diminue le nombre d’allées et venues polluantes.
Est-ce que les séjours plus longs servent surtout à diminuer l’empreinte carbone ?
Oui, mais les voyages servent aussi à changer de point de vue. Plus les gens séjournent longtemps chez nous, plus nous en profitons mutuellement, car il y a moins de va-et-vient et de commerce. Le voyage ne devrait pas être axé sur le commerce, mais plutôt sur les relations humaines.
Nous vivons l’époque la plus abstraite de notre histoire. Pourquoi ne sommes-nous pas mieux adaptés à ce contexte ?
Je crois que tout est arrivé trop rapidement. Je ne prône pas le retour au temps de mon père. Je crois seulement que, de bien des façons, sa vie était meilleure que la mienne. Il avait un lien très riche avec la nature ; sa vie sociale était aussi très riche. Il savait qui il était. Les gens ne magasinaient pas leur identité. Nous avons trop rapidement laissé l’argent et la technologie nous dominer. Il nous faudrait devenir assez intelligents pour comprendre que ces choses ne sont que des outils. Nous devons au plus vite trouver comment concilier notre nature charnelle et les forces abstraites de plus en plus présentes dans notre vie.
Le texte de l’entretien a été modifié et condensé à des fins de clarté.
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