L’hydrogène suscite de l’engouement. Ce gaz, qui se décline en de nombreuses variantes (d’origine géologique, à faible teneur en carbone, conventionnel, etc.), fait l’objet de milliards de dollars d’investissements dans le monde. Lorsque l’hydrogène est produit à partir d’énergie renouvelable, on parle d’« hydrogène vert », et lorsqu’il est produit à partir de gaz naturel et que sa production comprend la capture des émissions, on parle plutôt d’« hydrogène bleu ». Il existe également plusieurs autres façons de produire de l’hydrogène. Ses propriétés en tant que vecteur énergétique et charge d’alimentation pourraient en faire un précieux allié dans le cadre de la décarbonation de la planète.
Le Canada peut contribuer à répondre à la demande d’hydrogène à l’échelle du continent, voire même du monde.
Pour l’instant, la production canadienne d’hydrogène reste modeste – environ 3 500 tonnes d’hydrogène à faible teneur en carbone par année. C’est nettement moins que les trois millions de tonnes d’hydrogène que le pays consomme pour alimenter ses secteurs du pétrole, du gaz, des produits pétrochimiques et des engrais, et dont la production, à partir d’énergie fossile, entraîne des émissions de carbone. L’augmentation de la production d’hydrogène à faible teneur en carbone pourrait aider le Canada à atteindre son objectif de carboneutralité, mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, tant au chapitre des technologies que de la réglementation et des applications, avant que ce type d’hydrogène soit considéré comme une réelle solution de rechange à l’hydrogène conventionnel et aux combustibles fossiles.
La bonne nouvelle, c’est que le processus est enclenché. Depuis que le gouvernement fédéral a publié sa stratégie pour l’hydrogène en 2020, 80 projets d’hydrogène à faible teneur en carbone ont été annoncés, sont en cours d’évaluation ou ont été mis en œuvre, ce qui représente des investissements de plus de 100 milliards de dollars. De plus, des stratégies provinciales prennent forme et des projets pilotes sont mis en branle dans des domaines variant de l’acier au chauffage, ce qui prouve que l’hydrogène a le potentiel de remplacer les combustibles fossiles et de réduire les émissions dans de nouveaux secteurs. Enfin, comme au moins 13 partenariats ont été conclus dans le secteur de l’hydrogène avec des communautés autochtones, l’avenir de l’hydrogène au Canada pourrait être soutenu par la mobilisation des peuples autochtones.
L’hydrogène pourrait être un pilier de la décarbonation au Canada. Audacieuse, la stratégie canadienne 2020 visant l’hydrogène prévoit que la production annuelle triplera, pour atteindre 21 Mt, d’ici 2050, ce qui représente le tiers de l’utilisation d’énergie au Canada.
En théorie, l’hydrogène propre pourrait circuler dans les gazoducs et alimenter les poids lourds – l’épine dorsale du commerce interrégional –, les centrales électriques et les maisons, le tout en contribuant à la réduction des émissions. Il pourrait également faire partie du nouveau marché d’exportation des ressources éoliennes de la côte est du pays vers l’Europe, ce qui permettrait de réduire la dépendance du continent au gaz naturel.
Toutefois, comme l’indique le rapport d’étape de la stratégie de mai 2024, nombre d’éléments dépendent des applications qui seront faites de l’hydrogène. La demande pourrait varier de façon importante, de 3 à 20 Mt/par année, par suite de l’incertitude persistante concernant le potentiel de l’hydrogène.
Cette incertitude est liée à la complexité de l’hydrogène et à la concurrence provenant des autres technologies propres. Voici certains des défis qui devront être relevés :
1.Une question de logistique
L’hydrogène est difficile à transporter, et sa production est inefficace sur le plan énergétique. D’abord, la conversion de l’électricité en hydrogène entraîne une perte d’énergie de 30 % à 40 % par rapport à un usage direct, par exemple pour faire fonctionner une thermopompe ou chauffer une pièce. Ensuite, le transport de l’hydrogène jusqu’à sa destination est difficile en raison du processus de compression énergivore, du nombre limité de pipelines d’hydrogène au pays, et de l’incapacité des gazoducs à acheminer des concentrations élevées d’hydrogène sans risque d’endommagement.
2. La facture énergétique de l’hydrogène propre
Les vastes ressources hydroélectriques et nucléaires du Canada et sa réglementation stricte du méthane constituent un avantage, mais ne suffiront pas alors que la demande d’énergie augmente et que les coûts sont en hausse. Étant donné l’inefficacité énergétique du processus de production d’hydrogène, le Canada devra, pour soutenir la fabrication d’hydrogène vert, augmenter de façon importante sa production d’énergie renouvelable et se doter d’une solide infrastructure de captage, d’utilisation et de stockage du carbone pour réduire les émissions issues de la production d’hydrogène bleu. La production d’hydrogène bleu nécessitera également des mesures appropriées de surveillance des fuites de méthane et d’atténuation connexes. Ces mesures permettront au Canada de produire l’hydrogène dont il a besoin sans solliciter à outrance les réseaux électriques ni augmenter les émissions globales attribuables aux fuites de méthane.
3. La question de l’Inflation Reduction Act des États-Unis
La réduction des coûts de production de l’hydrogène et le maintien d’un environnement d’investissement attrayant pour les multinationales du secteur seront essentiels. Les États-Unis sont le principal concurrent du Canada, et les crédits d’impôt octroyés aux termes de l’Inflation Reduction Act (IRA) procurent un avantage aux producteurs d’hydrogène américains. Toutefois, le crédit d’impôt à l’investissement (CII) pour l’hydrogène propre du Canada pourrait compenser 15 % à 40 % des coûts de l’hydrogène et contribuer à combler l’écart entre les incitatifs canadiens et américains. D’ailleurs, les nouvelles orientations restrictives applicables à l’admissibilité aux crédits d’impôt aux termes de l’IRA entraînent une incertitude quant aux incitatifs offerts aux États-Unis. De plus, pour que les coûts diminuent, il faudra que la législation régissant le CII pour l’hydrogène propre au Canada évolue rapidement et que la demande d’hydrogène propre augmente.
En conclusion, les applications potentielles de l’hydrogène sont aussi nombreuses que variées, et si le Canada accorde la priorité aux projets à impact élevé, il sera possible de calibrer la demande d’hydrogène pour qu’elle corresponde à l’offre. Le pays doit être stratégique à court terme et veiller à ce que la production actuelle soit rapidement décarbonisée et à ce que les projets pilotes et les secteurs économiques les plus prometteurs reçoivent le soutien nécessaire pour permettre le déploiement de l’hydrogène à grande échelle.
Vivan Sorab est gestionnaire principal, Technologies propres, Institut d’action climatique RBC.
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