La COP des affaires. La COP du pétrole. La COP du pragmatisme. La COP de la capitulation. Il y a eu presque autant d’étiquettes accolées à la conférence sur le climat de Dubaï que de personnes présentes (100 000). Mais une chose est sûre : le rassemblement annuel des Nations unies ne sera possiblement plus jamais le même. Il y avait des vélos et des scooters électriques pour transporter les visiteurs sur le vaste site de l’exposition de Dubaï, des pare-soleil rétractables un peu partout et des hectares de pavillons intérieurs mettant en valeur tout ce que le Moyen-Orient fait dans la nouvelle économie. Et au dernier moment, un accord remarquable, bien qu’imparfait, a été conclu pour sortir le monde des combustibles fossiles.

Venons-nous d’assister à la fin de l’ère de l’or noir dans l’une des villes pétrolières les plus riches de la planète ? Ou était-ce davantage une manifestation politique qu’une volonté stratégique ? Quoi qu’il en soit, la 28e conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques passera à l’histoire comme un tournant dans la diplomatie liée au climat. Il s’agit peut-être d’une crise existentielle, peut-être d’une entrée dans la fleur de l’âge. Voici quelques-unes des tendances que j’y ai observées :

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  • L’action climatique est maintenant une affaire de gros sous

    Dubaï était une jolie métaphore de l’énigme de la COP, avec une culture d’affaires dynamique axée sur la carboneutralité. Les Émirats arabes unis ne se sont pas excusés de présenter un événement mettant l’accent sur le monde des affaires, l’organisant dans un immense parc commercial qui accueille normalement certaines des plus grandes foires capitalistes du monde. Des centaines de PDG et de méga-investisseurs et 2 500 lobbyistes ont participé à la COP, la transformant en Davos à saveur climatique. Beaucoup de chefs d’entreprise ont passé plus de temps à de somptueux événements parallèles dans de célèbres hôtels chics de Dubaï, où 37 milliards de dollars américains d’engagements ont été annoncés, dont 7 milliards pour la production alimentaire respectueuse du climat. À la conférence en tant que telle, les hôtes semblaient utiliser toutes les installations disponibles pour présenter leur approche climatique, avec des présentoirs multimédias, des robots à l’œuvre et des zones créatives qui rappelaient Las Vegas. Une impression de Cirque du Soleil ?

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  • On est loin de Paris

    L’encre n’est pas encore sèche sur le communiqué final, mais la COP28 restera probablement dans les mémoires comme la croisée des chemins depuis Paris en 2015. À l’époque, la COP21 misait tout sur l’ambition, la planète s’engageant alors à réduire les émissions de gaz à effet de serre de manière assez importante et rapide pour éviter des répercussions climatiques catastrophiques. Depuis, les progrès ont été inégaux, comme en témoigne l’exercice de bilan effectué à Dubaï. Le thème de la conférence (unir, agir, fournir) reflète une perspective plus pragmatique en vertu de laquelle le monde pourrait bientôt admettre que les objectifs de Paris mis à jour à la COP26 de Glasgow risquent de ne pas être atteints, du moins pas dans les délais impartis. Cette COP n’a pas été exempte de promesses. Plus de 150 pays, dont le Canada, et 50 grandes sociétés pétrolières et gazières se sont engagés à réduire les émissions de méthane (un puissant gaz à effet de serre) de 75 % d’ici 2030. Ils ont ajouté un milliard de dollars américains de mesures pour y parvenir. S’ils tiennent leur promesse, on se souviendra de Dubaï comme du tremplin pour l’action.

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  • Le nerf de la guerre, c’est le pétrole, évidemment

    L’hôte de la COP, Sultan al Jabbar, dirige aussi la principale société pétrolière et gazière des Émirats arabes unis et joue un rôle important au sein de l’OPEP. Ce fut donc le franchissement d’une étape majeure quand il a annoncé, au début de la conférence, la promesse de 50 grandes pétrolières, représentant 40 % de la production mondiale, de décarboner leurs activités d’ici 2050, et à la fin de celle-ci, le tout premier engagement international concernant la sortie des combustibles fossiles. On ne sait pas encore où, quand ni comment cela se fera, mais la COP28 aura tracé une ligne dans le sable. Pour les Émirats arabes unis, qui produisent trois millions de barils par jour et envisagent d’augmenter ce volume, l’insistance finalement infructueuse de nombreux pays en faveur d’un « abandon progressif » des combustibles fossiles était malaisante. L’Arabie saoudite voisine a déployé tous les efforts possibles pour empêcher la diabolisation du pétrole, tandis que les États-Unis ont éludé le fait qu’ils sont maintenant les premiers producteurs au monde. La Chine et l’Inde, qui dominent la production de charbon, se sont également montrées discrètes. Malgré les engagements diplomatiques, les combustibles fossiles comptent toujours pour 80 % de la consommation mondiale d’énergie, soit à peine moins que dans les années 1990 (82 %). La hausse prévue des exportations américaines de GNL en 2026 ne fera qu’accentuer cette pression, tout comme les 5 000 usines de charbon de l’Asie qui continuent de croître.

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  • Mais non, ce sont les énergies renouvelables

    La montée irréversible des énergies renouvelables a été l’un des points importants abordés à la COP28. Un engagement a été pris concernant la multiplication par trois des énergies renouvelables d’ici 2030 et celle par deux de l’efficacité énergétique. L’énergie éolienne et l’énergie solaire sont omniprésentes aux Émirats arabes unis, qui se targuent d’être une puissance en matière d’énergies renouvelables. Il a aussi été question d’hydrogène vert à la conférence, c’est-à-dire de l’hydrogène créé au moyen d’énergie éolienne ou solaire et habituellement converti en ammoniac avant d’être expédié vers les marchés énergivores. Le grand gagnant à court terme, c’est le transport maritime, qui passe rapidement du diesel à l’ammoniac pour se conformer aux nouvelles normes internationales. Par ailleurs, l’industrie lourde – pensons à l’acier allemand – est activement à la recherche de solutions à base d’hydrogène. Qui deviendra donc le fournisseur numéro un ? Les Saoudiens et les Chinois travaillent ensemble en Asie pour exercer une emprise précoce, tandis que les États-Unis projettent une stratégie plus ambitieuse d’exportation d’hydrogène. Si l’on met en place des mesures incitatives adéquates pour faire concurrence aux combustibles fossiles, le Texas pourrait être le plus grand rival de l’alliance sino-saoudienne au chapitre de l’hydrogène. Et puis, il y a le Canada, avec des propositions à Terre-Neuve, en Nouvelle-Écosse et au Québec. La course à l’hydrogène vert est lancée.

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  • Ou est-ce un mélange des deux ?

    La sécurité énergétique n’est pas une expression populaire aux COP, mais c’est clairement l’une des priorités de l’administration Biden. Certes, John Kerry obtient encore la majeure partie du temps de parole à ces conférences, avec ses gifles à la Al Gore contre les grandes pétrolières. Mais loin du micro, d’autres responsables ont présenté un point de vue plus pragmatique, enraciné dans la sécurité nationale. Ils veulent éviter la dépendance à l’égard d’un fournisseur unique de quoi que ce soit. Autrement dit, les États-Unis et leurs alliés devront produire un vaste éventail d’énergies, même si cela coûte un peu plus cher à l’économie. L’énergie nucléaire, par exemple, pourrait prendre une place beaucoup plus importante ; 20 pays, dont le Canada, se sont d’ailleurs engagés à en tripler la production d’ici 2050. Pour atteindre la carboneutralité, il faudra 100 gigawatts d’énergie nucléaire supplémentaire, soit 10 fois les niveaux actuels. La Chine est une autre puissance nucléaire qui aspire à devenir un leader du secteur. Elle compte actuellement 22 centrales en développement. Les États-Unis, quant à eux, commencent à parler de la fusion nucléaire comme d’un atout déterminant. L’appétit pour « toutes les réponses précédentes » semble intact.

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  • Le Grand jeu : vers 2050

    Il n’était pas nécessaire de beaucoup s’éloigner de la salle de négociation pour constater que le monde est divisé. Les principaux producteurs de pétrole, y compris l’Iran, ont fait peu de bruit. On a largement continué à considérer la Russie comme un acteur indésirable, en dépit de son statut de puissance énergétique. L’Inde, pays qui produit énormément de charbon, a fait profil bas, tout comme la Grande-Bretagne, dont le gouvernement a revu à la baisse les engagements en matière de climat. En revanche, la colère grandissante des pays les plus pauvres, qui subissent de plein fouet les effets des changements climatiques, est palpable. Une fois de plus, la Chine joue un rôle pivot. Le pavillon chinois était le deuxième plus gros sur le site, après celui de l’Arabie saoudite. Il attirait notamment des pays africains intéressés par les technologies agricoles. Beijing et Riyad ont affiché leurs intentions concernant l’hydrogène vert. La Chine s’est même efforcée de se montrer coopérative avec les États-Unis, les envoyés spéciaux des deux pays, John Kerry et Xie Zhenhua, travaillant ensemble à l’atteinte d’un consensus. Les deux hommes, qui sont les piliers du mouvement climatique mondial, sont censés prendre leur retraite l’an prochain. Mais celui qui fait le plus trembler la foule des COP – Donald Trump – n’était pas là. Si M Trump, qui a exclu les États-Unis des discussions de l’ONU sur le climat, revient à la Maison-Blanche, tous les paris de Dubaï sont ouverts.

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  • La division canadienne entre le fédéral et certaines provinces

    Le Canada a joué un rôle prépondérant à l’occasion de cette COP. Le ministre du Changement climatique, Steven Guilbeault, qui a participé aux 28 COP, a présidé les efforts visant à conclure un accord définitif sur les combustibles fossiles et a continué à inciter les autres pays à adopter la tarification du carbone. Le gouvernement canadien a également profité de la conférence pour dévoiler son projet de plafonnement des émissions pour les secteurs du pétrole et du gaz, une première pour un pays producteur de pétrole (le Canada est le quatrième en importance au monde). Mais si M. Guilbeault, un ancien militant écologiste, a joui d’une place au soleil à la plupart des COP, il a vu passer quelques nuages à Dubaï. Deux conservateurs, Danielle Smith, première ministre de l’Alberta, et Scott Moe, premier ministre de la Saskatchewan, sont venus à la COP pour défendre une politique climatique différente. Les deux dirigent des provinces dont l’économie dépend d’industries polluantes et n’ont pas manqué de souligner les raisons pour lesquelles la planète aura besoin de pétrole et de gaz pendant plus longtemps que le souhaiteraient les écologistes. Les deux provinces ont tenu leur propre pavillon à l’écart de la zone officielle, afin de donner une tribune aux voix énergétiques, agricoles et autochtones qui n’avaient pas autant de temps d’antenne au pavillon fédéral.

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  • Des fondations conçues pour durer

    Y a-t-il meilleur endroit que Dubaï pour parler d’une révolution immobilière ? La ville n’était qu’un bled isolé à l’époque de la première COP ; aujourd’hui, c’est un mini-Manhattan qui rêve de grandir encore plus. Ce lieu éblouissant, avec sa ligne d’horizon de verre et d’acier, est le royaume de la climatisation. Dubaï donne aussi un avant-goût de ce qui pourrait se passer dans le monde au cours des 25 prochaines années, car on s’attend à ce que l’environnement bâti double. C’est inquiétant, étant donné que la construction est à l’origine de 38 milliards de tonnes d’émissions de carbone, ce qui représente 40 % de l’objectif mondial de réduction pour atteindre la carboneutralité. De nombreuses mesures sont toutefois prises à ce sujet. On a pu voir, à l’exposition en plein air de Dubaï, des technologies de construction hors site, des machines électriques et de nouveaux matériaux qui permettent de diminuer le bilan carbone des bâtiments. Les nombreuses villes désormais représentées à la COP ont par ailleurs montré des exemples de recyclage d’acier et de capture du carbone pour la fabrication de ciment. Hong Kong fait partie des chefs de file. En seulement trois ans, son secteur de la construction est passé d’une dépendance à 100 % au gaz à un fonctionnement à 60 % à batterie. Une préoccupation pour les ingénieurs : la hausse des températures les oblige à repenser tout ce qu’ils construisent – nulle part plus qu’à Dubaï.

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  • Les marchés du carbone deviennent concrets

    Rio Tinto est l’une des plus grandes sociétés minières du monde, et en matière de climat, elle a un défi de taille à relever. L’entreprise n’atteindra pas ses objectifs d’émissions de 2025. Elle devra donc dépenser beaucoup d’argent (possiblement un milliard de dollars par année) pour acheter des compensations carbone. En outre, Rio Tinto devra rivaliser avec des sociétés telles que Google et Microsoft pour l’obtention d’un nombre limité de compensations crédibles. Dans les 12 mois qui ont précédé la COP28, il y a eu une série de scandales liés aux compensations qui ont attisé la nervosité des marchés du carbone et des acheteurs. Cette pression provient d’une part des difficultés croissantes d’un nouveau mécanisme et d’autre part des efforts concertés des militants écologistes pour s’assurer que les compensations ne deviennent pas un moyen facile et bon marché d’éviter la mise en œuvre de véritables mesures de décarbonation. Les émetteurs allouant des milliards de dollars aux compensations, de plus en plus de développeurs introduisent de nouveaux types de compensations sur les marchés, allant des efforts de préservation de la nature aux technologies d’élimination du carbone. Un élément à retenir de Dubaï : l’agriculture durable. Plus les agriculteurs parviendront à mesurer la quantité de carbone que leur sol capture, plus les investisseurs et les entreprises se tourneront vers eux pour des compensations.

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  • Le mot clé de la COP28 : rentabilité

    Où est l’argent ? C’est une question drôle à entendre aux Émirats arabes unis, où vit la famille la plus riche du monde et où l’on trouve le plus grand nombre de millionnaires (100 000 au dernier recensement). La COP de cette année n’a pas fait exception en ce qui a trait à la difficulté à mobiliser des capitaux pour le climat. Sur les 200 000 milliards de dollars américains d’investissements institutionnels dans le monde, moins de 3 % sont consacrés à la transition énergétique et seulement 1 100 milliards de dollars américains vont aux énergies renouvelables et à l’électrification des transports. Bien des débats à Dubaï se sont résumés à un seul mot : le profit. Les investissements dans les technologies respectueuses du climat, dont les technologies propres, ne génèrent pas les rendements réels nécessaires pour attirer plus de capitaux. La hausse des taux d’intérêt a été un coup dur, mais le plus grand défi demeure les modèles économiques sous-jacents. L’action climatique doit générer des revenus, et il n’y a pas assez de nouveaux modèles d’affaires qui s’appuient sur autre chose que des subventions et du capital-risque. Il faudra davantage de financement mixte mettant en commun des fonds publics et privés. Selon Andrew Steer, qui dirige le Bezos Earth Fund, nous avons besoin d’une équipe tactique pour la planète. Mais cela ne suffira pas. L’apport de capitaux ne va s’accélérer que lorsque les exigences relatives à l’action climatique seront renforcées. Et sur ce front, de nombreuses ambitions de Dubaï risquent d’être laissées au milieu du désert en attendant que le reste du monde bouge.


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