Face à l’incertitude considérable en ce qui concerne le principal partenaire commercial du Canada, les barrières commerciales interprovinciales de ce dernier, qui ont longtemps fait l’objet de discussions spécialisées entre économistes, font de plus en plus partie de nos conversations. C’est une bonne chose, étant donné que ces obstacles au commerce sont des inefficiences de longue date qui sapent la résilience économique du Canada et limitent les occasions offertes aux entreprises et aux travailleurs.

Nous avons souligné auparavant que l’abaissement des barrières interprovinciales aiderait le Canada à faire face à des problèmes de productivité et de croissance en général. Il pourrait même contribuer à améliorer la circulation des personnes et des entreprises à travers le pays.

Toutefois, l’élimination des barrières commerciales interprovinciales n’est pas simple et ne représente pas une solution miracle aux nombreux défis auxquels la croissance du Canada est confrontée. Elle s’inscrit plutôt dans le cadre d’une série de réformes dont le pays a besoin pour dynamiser son économie, y compris un recentrage sur une économie axée sur les ressources.

Pour faire la lumière sur ce sujet, nous répondons à certaines des questions posées aux Services économiques RBC concernant les barrières commerciales interprovinciales : en quoi elles consistent, combien elles coûtent à l’économie et si elles peuvent être effectivement réduites.

1. En quoi consistent les barrières commerciales interprovinciales ?

Les barrières commerciales interprovinciales s’entendent généralement des nombreux facteurs qui empêchent les entreprises ou les travailleurs d’une province d’accéder au marché d’une autre province. Ces obstacles prennent de nombreuses formes, notamment la distance géographique, les restrictions sur la vente transfrontalière de certaines marchandises, et les différences réglementaires et administratives, comme les différences en matière de reconnaissance des licences, des homologations de sécurité et des normes techniques.

Si certaines barrières commerciales, comme la distance physique entre deux provinces, sont évidentes et immuables, d’autres barrières non géographiques au commerce intérieur sont plus complexes et moins visibles. Elles découlent de la façon dont les provinces reconnaissent les règles, les réglementations et les normes. Par exemple, les normes en matière de santé et de sécurité au travail ou d’environnement peuvent varier d’une province à l’autre, ce qui crée des défis associés à la conformité et des coûts supplémentaires pour les entreprises qui cherchent à s’implanter dans d’autres provinces.

La constitution canadienne ne garantit pas explicitement le libre-échange entre les provinces, et le système de gouvernement fédéral décentralisé du pays accorde aux provinces des pouvoirs importants pour réglementer et superviser le commerce à l’intérieur de leurs frontières. De nombreuses barrières commerciales sont imposées pour protéger les industries locales, faire respecter les normes réglementaires, générer des revenus et préserver l’autonomie juridictionnelle. Toutefois, privilégier les intérêts économiques étroits plutôt que de promouvoir des normes générales partout au pays a entravé la réalisation d’économies d’échelle, réduit la concurrence et limité la croissance de la productivité au Canada, autant de tendances qui persisteront à moins que des mesures significatives ne soient prises.

2. Dans quelle mesure les barrières au commerce intérieur sont-elles coûteuses ?

Les barrières commerciales interprovinciales imposent des frais considérables à l’économie canadienne et sont souvent difficiles à quantifier.

Les barrières géographiques peuvent entraîner des coûts qui sont généralement plus visibles, comme le coût du transport, mais il est particulièrement difficile de mesurer les coûts des obstacles non géographiques, comme le fardeau de la conformité réglementaire. Contrairement aux tarifs ou aux frais explicites sur les opérations transfrontalières, ces barrières varient selon les provinces et sont souvent difficiles à quantifier.

Pour évaluer les coûts, les études se sont appuyées sur diverses méthodes pour déterminer leur incidence sur les flux commerciaux. Par conséquent, les estimations du fardeau économique qu’ils imposent peuvent varier considérablement. Par exemple, selon une étude de Statistique Canada réalisée en 2020, le fardeau imposé par les barrières au commerce intérieur équivaut en moyenne à des droits de douane de 6,9 % sur les marchandises. Par ailleurs, une étude menée en 2019 par le Fonds monétaire international a révélé que le coût des barrières commerciales interprovinciales non géographiques pourrait être à peu près équivalent à des droits de douane moyens de 21 % sur les flux commerciaux (pour les biens et services), ce qui fait ressortir la diversité des estimations. Pour mettre ces coûts en perspective, le taux tarifaire moyen pondéré du Canada sur les importations internationales était de seulement 1,4 % en 2022, tandis que celui des États-Unis était de 1,5 %.

Selon nous, en liant l’inefficacité économique à un seul chiffre, nous risquons de passer à côté de l’essentiel. Nous savons que le commerce interprovincial pose des défis qui peuvent être corrigés et qui pourraient faire une différence pour le Canada. Le montant exact varie selon la province, le secteur et la méthodologie, en raison de la complexité de la question.

3. Comment l’abaissement des barrières au commerce intérieur améliorerait-il l’économie ?

Il existe des moyens simples d’abaisser les barrières au commerce. Par exemple, la normalisation des exigences en matière de transport par camion, la reconnaissance mutuelle des titres de compétence et l’élimination des restrictions sur la vente de biens et de services entre les provinces sont fréquemment citées comme étant des solutions susceptibles de soutenir l’économie.

Les gains globaux pour l’économie canadienne sont incertains, mais une étude réalisée en 2017 par la Banque du Canada donne à penser qu’une réduction de 10 % des barrières commerciales interprovinciales pourrait accroître la croissance du PIB potentiel en moyenne de 0,2 % par année. Par ailleurs, d’autres études ont montré que l’élimination des barrières commerciales interprovinciales pourrait faire grimper la croissance nationale de 3 % à 8 % à long terme. Cela représenterait un gain possible pouvant atteindre 200 milliards de dollars par an, ou des milliers de dollars par personne.

4. L’élimination des barrières commerciales interprovinciales compenserait-elle une perte importante d’accès au marché américain ?

La libéralisation du commerce intérieur améliorerait la croissance économique à long terme du Canada, mais elle ne compenserait pas entièrement les conséquences immédiates de l’imposition des droits de douane américains. En 2023, près de 532 milliards de dollars des biens et services ont franchi les frontières provinciales et territoriales au Canada, tandis que le total des échanges bilatéraux avec les États-Unis s’élevait à plus de 1 000 milliards de dollars.



Même si la suppression des barrières au commerce intérieur pourrait être l’un des moyens les plus rapides de soutenir les échanges commerciaux, en particulier par rapport, par exemple, à l’ouverture de nouvelles mines, nous considérons que la réforme dans ce domaine est plutôt un processus pluriannuel et reconnaissons qu’il faudra du temps aux entreprises pour s’adapter aux nouvelles réglementations, aux formalités administratives et aux normes. En revanche, les chocs tarifaires peuvent avoir des répercussions immédiates et graves sur l’économie. Selon nos estimations, si le Canada étant confronté à des droits de douane généralisés et permanents de 25 %, le produit intérieur brut réel pourrait enregistrer une croissance nulle en 2025, puis se contracter de 2 % en 2026.

Néanmoins, la libéralisation du commerce intérieur devrait être considérée comme un complément aux solides liens commerciaux entre le Canada et les États-Unis, plutôt qu’un substitut à ces liens. La suppression des barrières commerciales interprovinciales pourrait procurer des avantages économiques grâce à l’amélioration de l’efficience du commerce intérieur, la réduction des coûts d’exploitation des entreprises et l’amélioration de la résilience économique, ce qui pourrait accroître la capacité du Canada à devenir autosuffisant à long terme.

5. Quels sont les provinces et les secteurs qui en bénéficieraient le plus ?

L’abaissement des barrières commerciales interprovinciales profiterait à l’ensemble du Canada, mais son incidence varierait selon les provinces et les secteurs.

Le FMI estime que les provinces plus petites comme l’Île-du-Prince-Édouard, Terre-Neuve-et-Labrador et la Nouvelle-Écosse pourraient afficher des gains plus importants au chapitre du PIB par habitant et de l’emploi que les provinces plus grandes, à la suite de la suppression des barrières commerciales non géographiques pour les marchandises. Ces provinces sont confrontées à certains des coûts les plus élevés associés aux barrières au commerce intérieur, de sorte que leur suppression pourrait entraîner une hausse notable de la productivité et de la croissance économique.



Tant le secteur des biens que celui des services en bénéficieraient, mais ce dernier est actuellement confronté à des coûts commerciaux plus élevés qui ne sont pas liés à la distance géographique. Une étude réalisée par le Macdonald-Laurier Institute en 2022 a révélé que les coûts commerciaux n’étant pas liés à la distance géographique pour les services équivalaient en moyenne à des droits de douane de 29 %, comparativement à 10 % pour les marchandises. Étant donné que de nombreux services, comme les services juridiques et financiers, sont des intrants essentiels pour d’autres secteurs, l’abaissement des barrières dans ce secteur pourrait créer un effet cumulatif qui profiterait à de nombreux segments de l’économie.

Cependant, certaines entreprises et certains secteurs pourraient connaître des difficultés à court terme. Certains secteurs d’une province pourraient avoir du mal à concurrencer les importations à moindre coût en provenance d’autres provinces, ce qui causerait des pertes d’emploi et obligerait des travailleurs à mettre à niveau leurs aptitudes ou à passer à des secteurs plus concurrentiels. De plus, les gouvernements provinciaux qui dépendent des recettes provenant de secteurs d’activité protégés, comme la vente d’alcool, pourraient subir des pressions budgétaires à mesure que la libéralisation des échanges commerciaux prend effet.

Une période d’adaptation comparable a suivi l’entrée en vigueur des accords de libre-échange conclus par le Canada avec les États-Unis et le Mexique. Certains secteurs ont éprouvé des difficultés, mais l’économie dans son ensemble a tiré parti d’un accès accru aux marchés, ainsi que de la hausse des investissements et de la croissance.

6. Comment pourrait-on abaisser les barrières commerciales ?

En 2023, le coût élevé du transport représentait le principal obstacle pour les entreprises qui cherchaient à acheter ou vendre des marchandises dans une autre province. Les barrières commerciales géographiques sont difficiles à lever à court terme, et leur suppression nécessiterait des investissements importants dans des infrastructures favorisant le commerce. Le renforcement des chaînes logistiques Est-Ouest en plus des routes commerciales traditionnelles Nord-Sud réduirait les coûts commerciaux au Canada et améliorerait l’accès des produits canadiens aux marchés étrangers.

En revanche, les barrières commerciales non géographiques peuvent être abaissées plus rapidement par des réformes politiques. Ainsi, la reconnaissance mutuelle des règlements et des politiques peut contribuer à la libre circulation des biens, des services et de la main-d’œuvre entre les provinces sans obstacle réglementaire supplémentaire.

L’Accord de libre-échange canadien (ALEC) a permis d’accomplir des progrès dans ce domaine, en réduisant ou en éliminant certaines restrictions provinciales et fédérales. Cependant, la liste des exceptions énumérées par les provinces représente plus du tiers de l’accord de 334 pages. Des initiatives comme le Plan d’action fédéral pour renforcer le commerce intérieur et l’annonce récente de la suppression de 20 exceptions fédérales supplémentaires, de même que des accords régionaux comme le New West Partnership Trade Agreement et le Partenariat en matière de commerce et d’approvisionnement représentent d’importantes avancées, mais des progrès soutenus et accélérés demeurent cruciaux.



Malgré ces efforts, il serait difficile de supprimer complètement les barrières commerciales interprovinciales. Les provinces ont des priorités économiques distinctes et ont mis en œuvre ces mesures pour protéger leurs économies respectives, et pas nécessairement pour réduire l’efficience commerciale. Ces obstacles témoignent souvent des efforts déployés pour soutenir les industries locales, maintenir les normes réglementaires et assurer la stabilité économique dans leur territoire.


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