La pandémie a bouleversé les schémas et les rituels urbains, paralysé les transports en commun, fait déserter les espaces publics et remplacé les réunions d’affaires en personne par des réunions virtuelles. Richard Florida, urbaniste et auteur de The Rise of the Creative Class (La montée de la classe créative), est particulièrement bien placé pour nous dire lesquels de ces changements survivront à la crise. Les villes (en plus de nos modes de vie et de ce que nous y créons) inspirent depuis longtemps les écrits et pensées de Richard Florida, de même que l’enseignement qu’il dispense à la Rotman School of Management de l’Université de Toronto.
M. Florida s’est entretenu avec John Stackhouse et Trinh Theresa Do au sujet du travail à distance, de la classe créative post-pandémie et de la façon dont la COVID bouleversera le monde des affaires.
John Stackhouse : Richard, vous avez parlé d’une classe créative il y a 20 ans. Qu’est-ce qui a changé depuis ?
Richard Florida : Quand j’ai écrit le livre, la critique a dit que la créativité et le talent importaient peu, qu’en période de crise, les gens rétabliraient les liens et les collectivités recommenceraient à œuvrer pour attirer des entreprises. Nous vivons un revirement de situation dans le contexte actuel. La créativité est plus que jamais valorisée. Les dirigeants communautaires et LinkedIn mettent les compétences au premier plan.
“La créativité est plus que jamais valorisée. Les dirigeants communautaires et LinkedIn mettent les compétences au premier plan.”
Vous disiez dans votre livre que les interactions étaient le moteur de la créativité. Comment concilier la distanciation sociale avec ce besoin ?
En près de 40 ans de carrière comme universitaire et urbaniste, je n’ai jamais vu de situation où une pandémie ou une maladie infectieuse a restreint l’urbanisation. Voilà qui est révélateur. La croissance économique ne dépend pas essentiellement des usines, des matières premières ou des capitaux. Elle tire surtout parti du regroupement des êtres humains, et elle s’est poursuivie dans de bien pires conditions. Les villes survivront. Les gens se font vacciner en masse et ils recommencent à se réunir.
Qu’est-ce qui changera sur le plan urbain ?
Je pense que les gens choisiront beaucoup plus de travailler dans différents endroits plutôt qu’à partir d’un poste de travail modulaire dans un bureau. Les villes et les quartiers feront plus office de bureaux où l’on se rendra peut-être deux fois par semaine. Au lieu de n’être que des espaces à bureaux, ils deviendront des destinations locales de voyage d’affaires où l’on se rendra pour assister à des réunions, rencontrer des collègues ou prendre un café entre amis. Les regroupements, la densité et l’interaction sociale prendront plus d’importance.
Beaucoup de personnes ont déménagé en banlieue. Y a-t-il des possibilités pour les petites villes ?
Avant la pandémie, environ 5 % des gens travaillaient à distance. Maintenant, la proportion des gens en télétravail dépasse largement 50 %. Selon les estimations, entre 20 et 25 % des gens continueront de travailler à temps plein à distance et près de la moitié des employés continueront de travailler à temps partiel à distance (un jour ou deux par semaine, ou même plus). Ce sont de grandes possibilités pour les belles zones rurales situées près des campagnes ou au bord de l’eau. On ne verra plus de lien entre le lieu d’habitation et le lieu de travail.
De quelle façon la technologie et un monde de plus en plus virtuel influent-ils sur la créativité ?
Il faut d’abord déterminer la façon dont on établit les écosystèmes du travail à distance au sein des communautés. Nous ne parlons pas de postes de travail où des télétravailleurs sont isolés dans leur maison. Nous parlons de nouveaux types de communautés, de tiers-lieux, de cafés et d’aires de travail partagées où les télétravailleurs se rencontrent. On ne voyait ces endroits qu’en ville. Par exemple, le quartier Greenwich Village a émergé dans les années 1920 après la grippe espagnole et est devenu un centre artistique et créatif en raison des créateurs qui y affluaient. Nous nous rendons compte que des endroits de ce genre peuvent également apparaître dans de plus petites communautés.
Qu’est-ce que la pandémie a révélé de plus par rapport à notre mode de vie et à nos créations ?
La vie en quarantaine a révélé l’impact qu’ont d’autres personnes et l’environnement naturel sur nous. Les gens créatifs ont autant besoin d’interagir avec d’autres personnes que de s’isoler. Ils ont besoin d’avoir beaucoup de temps à eux, sans qu’on les interrompe. Cela dit, il peut arriver qu’ils aient besoin de communiquer avec d’autres personnes pour lancer une idée, ou encore d’aller se promener en bicyclette, et d’aller marcher pour refaire le plein d’énergie. Dans le contexte nord-américain, il suffit de regarder ou d’écouter certaines des œuvres de nos grands peintres et musiciens pour s’en rendre compte.
Comment les communautés devront-elles procéder à la fin de la pandémie pour attirer et constituer cette classe créative ?
On pense que le monde reprendra son cours initial, mais ce ne sera pas le cas. Il faudra s’attendre à ce que les gens de la classe créative, c’est-à-dire les innovateurs, les techniciens, les artistes, les musiciens et les professionnels, adoptent le travail à distance. Ils pourraient tourner le dos à ceux qui leur demanderont de se présenter dans des bureaux en costume et cravate.
“Le grand changement ne touche pas l'endroit où vivent les gens, mais leur façon de travailler.”
Le grand changement ne touche pas l’endroit où vivent les gens, mais leur façon de travailler. Bon nombre d’entre eux ne voudront pas reprendre les vieilles habitudes de travail de bureau en suivant un horaire de 9 à 5. Surtout ceux qui ont le privilège, la compétence et le talent requis pour l’exiger.
Ce sera un grand défi que devront relever les quartiers d’affaires. Nous avons l’étonnante capacité de transformer nos quartiers d’affaires en communautés où l’on peut vivre et travailler. Comment allons-nous construire les futurs espaces de bureau et de travail partagés ? Comment allons-nous réaménager notre quartier des affaires pour qu’il ressemble davantage à un milieu de vie et de travail, plus rassembleur, plus résidentiel ? Comment pouvons-nous transformer les régions périphériques et en faire des communautés plus complètes ? Voilà les questions sur lesquelles nous devons réellement nous pencher.
Le texte de l’entretien a été modifié et condensé à des fins de clarté.
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