• Le Canada est à une croisée des chemins économiques. La réconciliation augure de nouvelles approches organisationnelles et politiques qui favoriseront la propriété d’entreprise autochtone, l’obtention de consentement avant d’entamer des projets qui affectent les Autochtones, et une approche plus durable en matière d’exploitation des ressources. Toute dérive par rapport à ce parcours risque toutefois d’entraîner pour le Canada de nouveaux procès liés à l’exploitation de ressources, des pertes d’investissement, et une diminution de la probabilité qu’il atteigne ses objectifs de carboneutralité. Les grandes entreprises et les communautés autochtones doivent choisir rapidement leur voie et s’y embarquer de front.

Une nouvelle approche axée sur l’intérêt commun, mobilisant la réconciliation économique et des pratiques renouvelées en matière d’exploitation des ressources, pourrait permettre au Canada de faire face aux défis climatiques croissants et à une économie chancelante et d’assurer sa prospérité dans les années à venir. Cette occasion est le fruit de l’évolution du cadre juridique qui régit les droits autochtones, ainsi que des nombreuses communautés et nations autochtones qui cherchent à façonner, voire contrôler, un avenir plus équitable.

Le Canada en étant aux étapes préliminaires de sa transition énergétique et au seuil d’un boom des minéraux critiques, l’impératif est urgent. Comme indiqué dans le présent rapport, une nouvelle approche de la réconciliation peut non seulement engendrer un gain d’efficacité en matière d’exploitation des ressources et une croissance économique durable pour les collectivités, mais aussi un accroissement de l’exportation, de la productivité globale et de la représentation autochtone dans les secteurs spécialisés de l’économie verte de demain.

Toutes les parties devront collaborer pour accroître l’investissement dans les infrastructures destinées aux peuples des Premières Nations, Inuits et Métis, y compris les milliers de communautés qui dépendent des ressources naturelles qui ont alimenté l’établissement du Canada et qui en assurent l’intendance. Par ailleurs, les entreprises et les gouvernements devront voir dans cette démarche une importante occasion de rétablir le lien de confiance entre les peuples autochtones et non autochtones et de faire progresser le Canada vers la réconciliation.

La clé de voûte de cette nouvelle approche est le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause (CPLCC). Les principes qu’établit le CPLCC peuvent constituer des balises sur ce nouveau parcours ainsi qu’un moyen de rehausser la confiance et d’amoindrir les tensions potentielles dans toutes les sphères où les intérêts et les droits des Autochtones entrent en jeu. Bien plus qu’une simple notion juridique, le CPLCC est de plus en plus considéré comme une exigence légale. Il concrétise une mentalité axée sur la coopération et la vision à long terme grâce à laquelle le Canada pourra s’établir aux yeux des investisseurs internationaux en tant que marché fiable et collaboratif présentant peu de différends et un rendement accru.

En 2021, le gouvernement du Canada a promulgué une loi stipulant son engagement envers la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui reconnaît le CPLCC comme droit inhérent de ces peuples. Cette loi est peut-être abstraite et ambitieuse, mais il ne s’agit que d’une première démarche pour assurer la conformité des lois fédérales à la Déclaration. En effet, le CPLCC tient davantage du concept que de la prescription, et il faudra beaucoup de travail pour en faire une norme fonctionnelle pour les gouvernements et les entreprises. Toutefois, le message central du CPLCC peut être un point de repère majeur dans le cours actuel des affaires.

Le CPLCC invite des discussions ouvertes, franches et respectueuses dont la portée s’étend au-delà des négociations à issue binaire « Oui ou non » et des décisions prises en vase clos. Il s’agit d’une approche dynamique demandant un engagement prompt et soutenu de la part de tous les participants, ainsi que leur souplesse, leur ouverture d’esprit et leur créativité. Elle préconise, de la part des entreprises, un respect du savoir et des cultures autochtones traditionnels et modernes. Il ne suffit pas de consulter.

Les autorités autochtones et juridiques s’accordent à dire qu’il ne s’agit pas d’un droit de veto. Le droit international stipule clairement que le CPLCC est un dispositif visant à assurer un respect équilibré des droits des parties en cause.

Peu de temps après l’adoption par le Canada de cette nouvelle approche axée sur les droits, RBC a lancé une initiative d’envergure nationale visant à recueillir les perspectives des communautés autochtones au sujet du dialogue et du consentement. Cette initiative, chapeautée par Phil Fontaine, conseiller spécial et ancien Chef de l’Assemblée des Premières Nations, prévoyait une série de « cercles d’écoute » dans toutes les régions du pays. Les témoignages qui en ont émergé orientent encore aujourd’hui notre approche de la réconciliation économique, notamment notre vision de la manière dont les entreprises canadiennes doivent aborder l’expansion avec les peuples autochtones.

Ces discussions se poursuivront et, tout comme le concept du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, évolueront à mesure que les collectivités et les nouvelles générations développent leurs propres approches et niveaux de confort en matière de réconciliation économique. Dans les mots d’un participant des cercles d’écoute, il s’agit d’une rivière mouvante, et non d’une mare stagnante.

La mise en œuvre du CPLCC n’en est qu’à ses débuts, et les communautés affirment qu’il ne constitue pas, et ne constituera pas, une voie rapide ni un laissez-passer pour l’élaboration de projets. Au contraire, les premières mises en application ont démontré que cette approche de l’expansion économique fondée sur le consentement demande beaucoup de temps et une étroite collaboration. Par ailleurs, sa portée dépasse largement la conclusion d’ententes et l’élaboration de projets. De façon plus générale, elle vise à redresser les torts graves et souvent insidieux du passé, et à favoriser une compréhension mutuelle qui transcende les transactions. À long terme, ces investissements – dans l’établissement de relations, le partage de connaissances, la reconnaissance des cultures et, surtout, le partage du pouvoir – pourraient contribuer à l’atténuation de conflits et générer des atouts durables pour les projets à venir.

Selon des leaders autochtones et non autochtones, c’est à cette croisée que le Canada pourrait s’engager sur la bonne voie. La réconciliation ne sera pas simple ni facile, mais elle annonce un nouveau chapitre économique pour le pays, chapitre défini par la justice pour les peuples autochtones.

Le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, un pilier de la DNUDPA, pose le principe que les communautés autochtones ont le droit inhérent de prendre leurs propres décisions concernant leurs terres, leurs ressources et leur avenir.

Il prescrit des dialogues constructifs avec les peuples autochtones, notamment en ce qui a trait à l’utilisation des terres, dans le respect de leur autonomie, de leur intégrité culturelle et de leur savoir traditionnel.

La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones de 2007 est une résolution non contraignante qui définit les droits inhérents des peuples autochtones du monde entier.

La DNUDPA constitue maintenant le fondement de la législation relative aux droits de la personne et un nombre croissant de pays, dont le Canada, soutient ses principes.

Alors que le CLPCC ne constitue qu’une ligne directrice, l’obligation de consulter et de prendre des mesures d’adaptation est juridiquement contraignante aux niveaux fédéral, provincial et territorial au Canada depuis 2004.

Cette obligation doit être respectée par ces paliers gouvernementaux, collectivement appelés la « Couronne », avant qu’ils ne prennent des mesures susceptibles d’avoir une incidence sur les droits des peuples autochtones.

Cercles d’écoute : principaux apprentissages

Voici les points saillants de nos cercles d’écoute (tables rondes avec des leaders communautaires partout au Canada) :

  • Les entreprises doivent voir le CPLCC comme un moyen de trouver un terrain d’entente avec les communautés autochtones lors de la planification de projets.
  • Pour les communautés et les nations autochtones, une collaboration renforcée avec le secteur privé et les organismes gouvernementaux peut offrir un nouveau modèle de développement qui supplantera les relations bilatérales entre la Couronne et les peuples autochtones.
  • Pour les gouvernements, les études d’impact sur l’environnement menées par des Autochtones devraient constituer un processus d’examen suffisant, éliminant l’exigence actuelle d’un examen supplémentaire par des organismes externes.
  • Ottawa doit continuer de clarifier la législation fédérale afin d’assurer que toute décision ayant une incidence sur les droits et les modes de vie des communautés autochtones soit assujettie au consentement de ces communautés..
  • Les entreprises doivent mettre au point et véhiculer, en matière de dialogue avec les communautés autochtones, des pratiques exemplaires axées sur l’établissement de relations et le partage de connaissances. En outre, le dialogue devrait de plus en plus se dérouler dans la langue de préférence des communautés.
  • Les communautés autochtones et les entreprises doivent considérer la participation au capital social comme la pierre d’assise de partenariats solides et un élément important (parmi d’autres) du consentement.
  • Le gouvernement et les entreprises du secteur privé doivent donner la priorité aux investissements dans les aptitudes et les outils financiers des communautés autochtones afin d’augmenter leur capacité à participer à l’expansion économique et à en définir la trajectoire.

Cercles d’écoute

L’établissement de « cercles d’écoute » constitue le prolongement du dialogue de RBC avec les communautés autochtones et de son engagement à multiplier les initiatives de réconciliation. Des conversations avec des dirigeants autochtones visant l’établissement de nouvelles voies d’échange et de nouveaux liens ont eu lieu partout au Canada au cours des deux dernières années. Les cercles d’écoute ont pris la forme de tables rondes régionales avec des dirigeants autochtones et des organisations représentatives de leurs intérêts, ainsi que d’événements ponctuels. Les séances ont été animées conjointement par Phil Fontaine, l’ancien chef national de l’Assemblée des Premières Nations et conseiller spécial de RBC, et John Stackhouse, premier vice-président, Bureau du chef de la direction.

Les discussions portaient sur des questions fondamentales ayant trait au développement économique durable dans les communautés autochtones, ainsi qu’aux meilleures pratiques pour l’établissement de véritables partenariats. Les participants ont abordé les défis et les réussites liés à l’appel à l’action 92 du rapport final de 2015 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. Cet appel à l’action, qui vise spécifiquement le secteur privé, invite les entreprises à souscrire à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dans le cadre du mouvement de réconciliation.

Les questions soulevées touchaient les répercussions écologiques de la maximisation du produit intérieur brut du pays et l’établissement de cadres économiques souples fondés sur de nouvelles notions de valeur. Des solutions pratiques ont été préconisées pour surmonter les obstacles posés par la Loi sur les Indiens quant à l’accès aux capitaux, aux ressources et à la technologie. Il y a également été souligné que la réconciliation au niveau économique était devenue un impératif commercial. « La collaboration permettra d’accélérer le changement, a dit un participant. Nous devons tous contribuer à la conception des solutions. »

Établie en 2008 en reconnaissance des répercussions des pensionnats sur les enfants autochtones, la CVR ouvre la voie à la guérison et à la compréhension entre les peuples autochtones et non autochtones.

Les 94 appels à l’action de la CVR publiés en 2015 ont fourni un cadre de lutte contre les injustices historiques, de promotion des droits des Autochtones, et de réconciliation.

Cet appel à l’action de la CVR vise le secteur privé canadien, demandant aux entreprises d’appliquer les principes et les normes de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones à leur traitement des peuples, des terres et des ressources autochtones.

Les entreprises sont notamment invitées à s’engager à mener des consultations constructives, à établir des relations respectueuses, et à obtenir un CLPCC avant d’entreprendre des projets de développement économique..

Un nouveau paradigme

Le droit autochtone moderne a connu une évolution lente et irrégulière tout au long de l’histoire du Canada. Tandis que des traités ont été signés avec les Premières Nations dans une grande partie du centre du pays avant et après la confédération, de nombreuses régions, y compris les Provinces de l’Atlantique, le Québec et la Colombie-Britannique, sont demeurées non cédées. Certains groupes autochtones ont obtenu leur autonomie plus rapidement que d’autres, en particulier dans le nord du pays.

Le résultat : une mosaïque de règlements, de politiques et d’approches qui, selon certains investisseurs, constitue une fondation instable pour les affaires. Les changements constitutionnels des années 1980 n’ont malheureusement pas apporté la clarté souhaitée. Face à cette lacune, il est revenu aux tribunaux de trancher, et leurs décisions ont contribué à la définition du droit des Autochtones.

Aujourd’hui, les gouvernements fédéral et provinciaux s’efforcent de rééquilibrer la situation. Un jalon important a été atteint en 2014 lorsque la Cour suprême du Canada a reconnu l’existence d’un titre ancestral autochtone sur des terres à l’extérieur des réserves avec son jugement dans l’affaire Tsilhqot’in, déclarant que la souveraineté de la Couronne devait être conciliée avec les droits et l’autodétermination des Autochtones. Deux ans plus tard, le Canada a officiellement appuyé la DNUDPA, ouvrant la voie à son intégration à la législation en juin 2021. Depuis, le Canada a publié le Plan d’action de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies, visant à faire cadrer les lois fédérales avec les principes de la Déclaration. Ce plan comprend un engagement à consulter les nations et communautés autochtones et à bâtir des relations de respect avec elles, ainsi qu’à intégrer le CPLCC aux processus de décision d’affaires.

Les provinces et les territoires entreprennent aussi des démarches. Le nouvel Environmental Assessment Act (Loi sur les évaluations environnementales) de la Colombie-Britannique établit formellement le consentement des communautés des Premières Nations comme condition à tout projet sur leurs territoires traditionnels. De plus, la province étudie des modifications novatrices à son Land Act, notamment un modèle permettant une prise de décision partagée concernant la délivrance de permis sur les terres de la Couronne. Ces mesures augmenteraient le poids des droits des Autochtones conformément à la DNUDPA, adoptée à l’unanimité par la Colombie-Britannique en 2019.

Coalition de Premières Nations pour les grands projets

Établie en 1876 pour l’administration des droits reconnus par la Couronne, la Loi sur les Indiens a été, au contraire, appliquée de façon à forcer les Premières Nations à renoncer à leurs droits et à leur culture et à les empêcher de participer à l’économie canadienne.

Cette marginalisation des peuples autochtones, de même que les autres répercussions de la Loi, se fait encore sentir aujourd’hui. La Loi sur les Indiens est en cours de démantèlement de fait par l’adoption de nouvelles lois protégeant l’autodétermination et l’autonomie gouvernementale des Autochtones.

On entend par « revenus autonomes » les revenus générés par les gouvernements autochtones au moyen de taxes ou de mise en valeur des ressources, et par les collectivités au moyen d’initiatives économiques et de développement comme l’extraction des ressources et le tourisme.

Ces revenus symbolisent une évolution vers l’autodétermination économique en permettant aux collectivités autochtones de financer des projets d’infrastructure, des programmes sociaux et des initiatives culturelles.

Ces ententes sont des contrats entre communautés autochtones et promoteurs de projets qui décrivent les recours, les contreparties et les mesures de protection de l’environnement liés au développement des ressources naturelles sur les terres autochtones.

Bien que les ententes sur les répercussions et les avantages soient conçues pour assurer le respect les droits des Autochtones et pour atténuer les répercussions socio-économiques des projets qui en font l’objet, elles risquent de manquer leur cible si elles ne sont pas exhaustives et laissent trop de place à l’interprétation.

Résolution de défis uniques

Alors que les droits des Autochtones évoluent rapidement, l’un des plus grands obstacles aux affaires est l’ambiguïté du processus d’obtention du CPLCC. Pour s’y conformer, les entreprises doivent bâtir des liens avec les communautés autochtones et atteindre un consensus avec elles, plutôt que de s’en tenir strictement aux dispositions du droit corporatif.

Or, les divergences entre les systèmes de gouvernance et visions du monde, ainsi que l’envergure et le pouvoir financier inégaux des parties provoquent des tensions qui peuvent miner la collaboration. La dynamique entre les entités autochtones et non autochtones s’est améliorée à bien des égards, mais certaines entreprises tardent encore à adapter leurs attitudes et leurs politiques au nouveau paradigme.

Fondamentalement, l’injustice qui a marqué l’histoire du pays continue d’entraver le progrès. Pendant des décennies, les politiques gouvernementales ont privé les Autochtones de leurs droits inhérents et les ont écartés des processus décisionnels, induisant un manque de financement économique et un dénuement humain qui sévissent encore aujourd’hui dans les communautés autochtones. La Loi sur les Indiens de 1876 a marginalisé les communautés des Premières Nations, tandis que des politiques restrictives et préjudiciables comme le régime des pensionnats autochtones et les déplacements forcés ont isolé la plupart des peuples autochtones de

leur économie traditionnelle et de l’économie générale. Ce legs multigénérationnel a engendré une méfiance persistante qui fait obstacle à l’établissement de relations, même dans le cas de projets mutuellement bénéfiques.

Il est impératif que le Canada combatte cette tendance s’il veut faire progresser la réconciliation économique, stimuler l’expansion, faire croître la productivité et intensifier l’action climatique. Au seuil de la seconde moitié des années 2020, ces objectifs pourraient s’avérer complémentaires. Selon des recherches menées par RBC, 56 % des projets miniers essentiels de pointe, 35 % des meilleurs sites d’énergie solaire et 44 % des sites d’énergie éolienne les plus performants se situent sur des territoires autochtones.

À tous les égards, le Canada ne réalisera pas son potentiel sans adopter une nouvelle approche. Ce faisant, il pourra créer des occasions d’affaires majeures, tant pour les communautés autochtones que pour le pays. Le Canada s’apprête à déployer, au cours des dix prochaines années, 470 projets d’une valeur estimée à 525 milliards de dollars touchant les ressources naturelles, principalement dans le secteur de l’énergie. Selon la Coalition de Premières Nations pour les grands projets, ces initiatives pourraient générer des occasions de participation au capital social d’une valeur de plus de 50 milliards de dollars pour les communautés autochtones.

Alors que les droits des Autochtones évoluent rapidement, l’un des plus grands obstacles aux affaires est l’ambiguïté du processus d’obtention du CPLCC. Pour s’y conformer, les entreprises doivent bâtir des liens avec les communautés autochtones et atteindre un consensus avec elles, plutôt que de s’en tenir strictement aux dispositions du droit corporatif.

Or, les divergences entre les systèmes de gouvernance et visions du monde, ainsi que l’envergure et le pouvoir financier inégaux des parties provoquent des tensions qui peuvent miner la collaboration. La dynamique entre les entités autochtones et non autochtones s’est améliorée à bien des égards, mais certaines entreprises tardent encore à adapter leurs attitudes et leurs politiques au nouveau paradigme.

Fondamentalement, l’injustice qui a marqué l’histoire du pays continue d’entraver le progrès. Pendant des décennies, les politiques gouvernementales ont privé les Autochtones de leurs droits inhérents et les ont écartés des processus décisionnels, induisant un manque de financement économique et un dénuement humain qui sévissent encore aujourd’hui dans les communautés autochtones. La Loi sur les Indiens de 1876 a marginalisé les communautés des Premières Nations, tandis que des politiques restrictives et préjudiciables comme le régime des pensionnats autochtones et les déplacements forcés ont isolé la plupart des peuples autochtones de leur économie traditionnelle et de l’économie générale. Ce legs multigénérationnel a engendré une méfiance persistante qui fait obstacle à l’établissement de relations, même dans le cas de projets mutuellement bénéfiques.

Il est impératif que le Canada combatte cette tendance s’il veut faire progresser la réconciliation économique, stimuler l’expansion, faire croître la productivité et intensifier l’action climatique. Au seuil de la seconde moitié des années 2020, ces objectifs pourraient s’avérer complémentaires. Selon des recherches menées par RBC, 56 % des projets miniers essentiels de pointe, 35 % des meilleurs sites d’énergie solaire et 44 % des sites d’énergie éolienne les plus performants se situent sur des territoires autochtones.

À tous les égards, le Canada ne réalisera pas son potentiel sans adopter une nouvelle approche. Ce faisant, il pourra créer des occasions d’affaires majeures, tant pour les communautés autochtones que pour le pays. Le Canada s’apprête à déployer, au cours des dix prochaines années, 470 projets d’une valeur estimée à 525 milliards de dollars touchant les ressources naturelles, principalement dans le secteur de l’énergie. Selon la Coalition de Premières Nations pour les grands projets, ces initiatives pourraient générer des occasions de participation au capital social d’une valeur de plus de 50 milliards de dollars pour les communautés autochtones.

Si elles veulent tirer parti de ces occasions, les entreprises doivent poursuivre trois objectifs :

Les entreprises souhaitant aborder une communauté autochtone au sujet d’un projet sur ses terres traditionnelles pourraient devoir adapter leur approche. De plus en plus, les dirigeants autochtones exigent que leurs partenaires potentiels respectent les valeurs, les systèmes de gouvernance, les calendriers et les processus de recherche de consensus de leurs communautés, éléments qui varient par région et par communauté. Cette approche est fondée sur une solide compréhension des valeurs et des objectifs d’affaires respectifs, contrairement aux ententes sur les répercussions et les avantages traditionnels qui font reposer le consensus sur des transferts financiers, la création d’emplois et des ententes d’approvisionnement. Les dirigeants autochtones veulent être considérés comme des partenaires ayant une valeur – et des valeurs – propres, y compris une connaissance traditionnelle de leurs terres et écosystèmes qui pourrait réduire les risques et engendrer des résultats plus durables et plus profitables.

En outre, les communautés autochtones recherchent une assurance que leur capacité à influencer le cours d’un projet, des étapes préliminaires à celles de la remédiation et de la réhabilitation, sera maintenue. C’est pourquoi elles préconisent une participation autochtone accrue dans leurs partenariats d’affaires. Tandis que les redevances sur les ressources promettent l’accumulation de richesse à long terme, la participation crée à la fois de la richesse et de l’influence. Par ailleurs, la participation dans un projet, et peut-être aussi l’obtention d’un siège au conseil d’administration, permet aux Autochtones d’harmoniser leurs intérêts, notamment en lien avec les impacts environnementaux et l’investissement, avec ceux des autres partenaires. Au minimum, les dirigeants autochtones exigent que les promoteurs de projets respectent le savoir et la vision du monde traditionnels et modernes de leurs peuples.

Les entreprises devraient s’employer à forger des partenariats proactifs avec les communautés autochtones et les organismes gouvernementaux. Les partenariats entre les entreprises des secteurs public et privé et les communautés autochtones constituent un modèle de collaboration intéressant, et un virage par rapport au cadre de relations entre la Couronne et les Autochtones qui a pendant des décennies dominé l’économie autochtone. Les partenariats de ce type exploitent des pouvoirs économiques d’envergure et renforcent les liens de confiance, comme en témoigne le projet d’Oneida Energy Storage dans le Sud-ouest de l’Ontario. NRStor, une entreprise en démarrage du secteur de l’énergie, a collaboré avec la Société de développement des Six Nations de la rivière Grand pour promouvoir des politiques et procédures favorables à un projet de stockage d’énergie qui pourrait servir la région ontarienne de Golden Horseshoe. Leurs efforts ont mené à un partenariat exemplaire : Tesla a fourni la technologie des batteries et Aecon s’est chargée de la production, tandis que Northland Power a fourni un financement considérable. En 2021, la Banque de l’infrastructure du Canada s’est engagée à investir 170 millions de dollars dans le projet de 500 millions.

Les partenariats public-privé peuvent aussi être un puissant levier pour combler les lacunes en matière d’infrastructure dans les communautés autochtones. Les démarches en ce sens ne sont pas qu’un effort pour réparer les injustices historiques et avancer la réconciliation économique ; elles constituent aussi une étape indispensable dans la réalisation par le Canada d’un rendement accru et de ses engagements en matière de transition climatique (par l’entremise de réseaux électriques et d’habitations plus efficaces, par exemple).

Les entreprises du secteur privé devraient accélérer les investissements dans les outils financiers et les compétences commerciales. Cet apport permettra à un plus grand nombre de groupes autochtones de participer à des projets en lien avec le développement communautaire et les ressources, voire de les diriger, tout en créant de nouvelles possibilités pour l’ensemble de la population canadienne. Le manque de soutien de la part du secteur privé et la volonté de voir une coordination accrue avec les communautés autochtones étaient des thèmes récurrents lors de nos cercles d’écoute. En effet, conformément aux composantes « donné librement » et « en connaissance de cause » du CPLCC, les groupes autochtones doivent être en mesure de participer aux négociations d’affaires en position d’égalité.

Un manque de moyens financiers est un obstacle majeur à une telle dynamique. Grâce à des ressources comme les programmes gouvernementaux de garantie de prêt, les communautés autochtones commencent à accéder à de nouvelles formes de capital. Toutefois, elles ont également besoin des aptitudes et des technologies nécessaires pour profiter des occasions qui s’offrent à elles et surmonter des obstacles comme l’incapacité à utiliser les terres octroyées par une entente pour garantir un emprunt. Dans son budget 2024, le gouvernement fédéral a présenté un nouveau programme national de garantie de prêt pour les Autochtones qui pourrait accroître le pouvoir transformateur des partenariats entre entreprises. Cette mesure devra être appuyée par un renforcement formel et informel des capacités, celles des communautés ainsi que celles des petites et moyennes entreprises autochtones.

Un accroissement du nombre d’occasions d’apprentissage appuyé par les entreprises du secteur privé et des formations à visée sectorielle dans des domaines comme la finance, la gouvernance et l’ingénierie favoriseront des résultats économiques positifs pour les Autochtones. Une nouvelle génération de travailleurs dans différents métiers et professions contribuera non seulement à rehausser le niveau des revenus dans de nombreuses communautés, mais aussi à accroître la capacité collective de ces communautés à défendre leurs intérêts et leurs valeurs.

Un nouveau modèle d’affaires

Les premiers colons européens ont formé avec les communautés autochtones des partenariats fondés sur le respect et la collaboration. La réconciliation économique de l’ère actuelle constitue un effort pour rééquilibrer la dynamique. Véritable feuille de route pour l’établissement de partenariats autochtones, le processus du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause est un outil inestimable dans ces démarches.

Tandis que le Canada compose avec la portée du CPLCC, les communautés autochtones passent à l’action. Les dirigeants mettent en œuvre des ententes commerciales conformes aux priorités et aux visions du monde de leurs nations respectives et, dans bien des cas, démarrent leurs propres projets. Comme nous l’avons noté dans le rapport 92 à zéro, les entrepreneurs autochtones fondent de nouvelles entreprises dans des proportions neuf fois supérieures à la moyenne nationale, et les agences de développement autochtones se multiplient. Cette tendance fait passer les relations avec les Autochtones d’unilatérales à bilatérales.

Le secteur privé a un rôle important à jouer. Les entreprises canadiennes peuvent accorder la priorité à l’atteinte d’objectifs communs dans leurs négociations et proposer un pourcentage de participation plutôt qu’une aumône. Celles qui se montrent récalcitrantes courront le risque d’être devancées par des sociétés étrangères ainsi que par leurs concurrents autochtones émergents qui auront adopté des approches collaboratives.

Pour créer de nouvelles occasions collectives, les entreprises du secteur privé doivent chercher à forger des modèles de partenariat novateurs et trouver des manières d’accélérer le financement dans les outils financiers et les collectivités. Pour les entreprises qui s’adaptent, cette approche équilibrée et le CPLCC pourraient s’avérer être non pas une source de risque, mais un avantage concurrentiel. En effet, la réconciliation n’est un danger que pour ceux qui y sont réfractaires.

Pour en savoir plus, allez à leadershipavise.rbc.com/economie

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Collaborateurs :

John Stackhouse, premier vice-président, Bureau du chef de la direction

Alanna La Rose, première directrice, Stratégie et transformation

Caprice Biasoni, Graphiste spécialisée

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