Point clé : Les efforts déployés par les États-Unis pour réduire leur dépendance à l’égard des produits étrangers par l’imposition de droits de douane sur les importations, en particulier celles provenant de la Chine, n’ont pas réduit la dépendance du pays vis-à-vis du commerce et n’ont pas amélioré le déficit commercial américain dans son ensemble.
- Le déficit commercial entre les États-Unis et la Chine a diminué après l’entrée en vigueur des droits de douane américains en 2018 et 2019, mais il a été compensé par des déficits commerciaux plus importants avec d’autres pays.
- Certains pays qui ont commencé à exporter davantage leurs produits vers les États-Unis ont également vu augmenter leurs importations et leur investissement direct à l’étranger en provenance de la Chine.
- On peut donc se demander si les États-Unis demeurent indirectement dépendants des produits chinois par le biais de pays « intermédiaires ».
- Le coût de l’augmentation des droits de douane a été largement supporté par les consommateurs et les producteurs américains, car les efforts déployés pour soutenir le secteur manufacturier américain au moyen de droits de douane ont été inefficaces.
Les gouvernements américains, tant démocrate que républicain, ont adopté des politiques plus protectionnistes ces dernières années afin de stimuler l’économie intérieure et de renforcer les chaînes logistiques pour des raisons de sécurité nationale. Parmi les stratégies clés des deux gouvernements figure le recours accru aux droits de douane sur les produits importés.
En 2018 et 2019, dans le cadre d’une série de politiques commerciales visant de nombreux pays, dont le Canada, le gouvernement Trump a imposé des droits de douane sur les produits fabriqués en Chine, en invoquant des pratiques commerciales déloyales et des violations de la propriété intellectuelle. Ces droits de douane visaient plus de 300 milliards de dollars US de produits, allant de biens de base à des articles plus complexes tels que les semi-conducteurs.
À première vue, les droits de douane sur les produits chinois semblent avoir réussi à réduire la dépendance des États-Unis à l’égard des importations chinoises. Après avoir atteint un sommet en 2017, juste avant l’entrée en vigueur des droits de douane, la part de marché de la Chine dans le total des produits importés par les États-Unis a considérablement chuté, passant de plus de 21 % à 14 % en 2023. La réduction des importations a également contribué à l’amélioration du déficit commercial entre les États-Unis et la Chine, qui s’est contracté de 84 milliards de dollars US de 2017 à 2023.
Toutefois, le déficit commercial américain dans son ensemble ne s’est pas amélioré à la suite de la mise en place des droits de douane. Le déficit commercial américain s’est creusé de 268 milliards de dollars US à partir de 2017, sa part dans le produit intérieur brut restant relativement stable. Le recul du déficit commercial avec la Chine a été entièrement compensé par des déficits commerciaux plus importants avec d’autres partenaires commerciaux.
Le Mexique dépasse la Chine pour devenir le premier importateur aux États-Unis
Depuis 2017, les États-Unis importent davantage de biens en provenance du Mexique, du Canada et de pays asiatiques tels que le Vietnam et Taïwan.
Ce changement met en évidence une reconfiguration des chaînes logistiques mondiales, puisque les sociétés ont en grande partie cherché à atténuer les conséquences des droits de douane. Le Mexique représente désormais la plus grande part des importations de biens aux États-Unis (15,4 %), tandis que certaines régions voient leur part augmenter de plus de 1 % depuis 2017, notamment le Vietnam et la région de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) (sauf le Vietnam).
La dépendance des États-Unis à l’égard des produits se déplace vers d’autres partenaires commerciaux
Une partie de la hausse des échanges avec d’autres pays peut s’expliquer par l’augmentation des importations de biens touchés par les droits de douane appliqués aux termes de l’article 301 . Les importations américaines de produits tarifés de la Chine ont reculé de 123 milliards de dollars US par rapport à 2017, alors que les importations en provenance d’autres pays ont progressé de 413 milliards de dollars US. En 2023, les importations de produits tarifés du Vietnam, de la Corée du Sud, de la Thaïlande, de Taïwan et de la Malaisie représentaient plus de deux fois le total des importations provenant de la Chine, soit un tournant important au regard de 2017, année où les niveaux d’importation de ces pays étaient relativement similaires.
Une tendance similaire a été observée en ce qui concerne les importations américaines de produits de technologie de pointe, dont certains sont également soumis à des droits de douane. En raison de leur nature spécialisée, les produits de technologie de pointe sont particulièrement sensibles aux risques géopolitiques. Les États-Unis ont pris des mesures pour moins dépendre des fournisseurs étrangers, notamment ceux de la Chine, pour des raisons de sécurité nationale. Par conséquent, les importations américaines de produits de technologie de pointe en provenance de Chine ont diminué de 55 milliards de dollars US à partir de 2017, tandis que les importations d’autres partenaires commerciaux ont considérablement augmenté de 219 milliards de dollars US. La diversification en dehors de la Chine n’a pas nécessairement conduit à une baisse de la dépendance des États-Unis à l’égard des produits de technologie de pointe étrangers.
Les importateurs aux États-Unis ont aussi constaté une hausse des exportations chinoises
Il est difficile de déterminer dans quelle mesure les États-Unis ont réellement réduit leur dépendance aux produits chinois, car les produits fabriqués en Chine peuvent passer par d’autres pays pour arriver aux États-Unis, ou bien les producteurs chinois peuvent déménager leurs activités.
Les exportations de produits chinois vers le Mexique et l’Asie du Sud-Est ont augmenté dès 2017. Il est à noter que le Vietnam et le Mexique ont tous deux connu des hausses substantielles des importations américaines et du volume des produits exportés par la Chine.
On peut donc se demander si l’augmentation des exportations chinoises vers ces pays « intermédiaires » vise à contourner les restrictions commerciales imposées par les États-Unis. Depuis 2017, l’investissement direct à l’étranger de la Chine au Vietnam, au Mexique et dans d’autres pays de l’ANASE connaît également une progression. On pourrait considérer qu’il s’agit d’une démarche stratégique destinée à tirer parti de relations commerciales plus favorables pour accroître les capacités de production dans des régions qui sont devenues des fournisseurs clés des États-Unis.
Les consommateurs et les entreprises américains sont touchés
Dans un cas comme dans l’autre, cette situation montre que les États-Unis peuvent encore dépendre indirectement des produits chinois , malgré les efforts déployés pour réduire leur dépendance à cet égard. L’imposition de droits de douane n’est pas souhaitable d’un point de vue économique, car elle fausse l’efficacité du marché, augmente les coûts et peut affaiblir la croissance économique mondiale. Les producteurs et les consommateurs américains ont en grande partie subi l’augmentation des coûts liée aux droits de douane. On estime que les pertes à l’exportation du secteur agricole américain touché par les droits de douane de rétorsion se sont élevées à plus de 27 milliards de dollars US entre 2018 et 2019, la Chine étant à l’origine d’environ 95 % des pertes.
Les efforts visant à soutenir l’industrie manufacturière aux États-Unis ne progressent guère non plus, car les niveaux de production restent similaires à ceux de 2017 et la part du secteur manufacturier dans l’emploi total continue de diminuer.
Ce point est particulièrement important compte tenu de l’attention accrue portée aux politiques commerciales américaines à l’approche de l’élection présidentielle de novembre. L’imposition de droits de douane supplémentaires est un outil inefficace pour réduire le déficit commercial américain ou la dépendance vis-à-vis des produits fabriqués à l’étranger.
Salim Zanzana est économiste principal pour RBC. Il se concentre sur les questions macroéconomiques émergentes, allant des tendances du marché du travail aux changements dans la croissance structurelle à long terme du Canada et d’autres économies mondiales.
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