Situation actuelle
L’année 2024 a marqué un jalon important dans la réconciliation économique autochtone. La généralisation de la participation autochtone dans les capitaux propres des grands projets de développement est un objectif poursuivi depuis longtemps. Les avancées comprennent en particulier :
- La décision d’investissement finale concernant la première usine de GNL à capitaux autochtones, Cedar LNG, en Colombie-Britannique.
- La convention d’achat-vente conclue par la Nation Nisga’a concernant Ksi Lisims LNG, en Colombie-Britannique.
- La poursuite de l’expansion du plus grand projet énergétique dirigé par des Autochtones en Ontario, Wataynikaneyap Power.
- L’annonce d’un nouveau projet d’énergie éolienne à capitaux autochtones, Seven Stars Energy, qui devrait être le plus grand de la Saskatchewan.
L’effort en faveur d’une participation significative des Autochtones dans l’économie est maintenant la norme, et il incombe à la fois aux gouvernements et au secteur privé de faire progresser la participation des Autochtones de façon proactive. Il est primordial pour le Canada d’atteindre cet objectif – pour faire croître l’économie autochtone, obtenir un consentement libre et éclairé préalablement au développement des grands projets, et renforcer la confiance des investisseurs.
Le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux commencent à rattraper leur retard. Pour la première fois en 15 ans, BC Hydro a lancé un appel d’offres de fourniture d’électricité en exigeant au moins 25 % de participation autochtone dans les capitaux propres. L’Ontario a récemment annoncé le plus important approvisionnement concurrentiel en énergie de son histoire, avec une cote qui devrait encourager la participation des Autochtones (mais sans l’imposer).1 Tous les projets d’énergie renouvelable de SaskPower exigent un minimum de 10 % de participation autochtone.
Et, après plusieurs années de revendications, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur des gouvernements, trois programmes de garantie de prêt destinés aux Autochtones ont été annoncés ─ un programme fédéral, un en Colombie-Britannique et un autre au Manitoba. Ces programmes, s’ils sont déployés de façon efficace, permettront aux nations autochtones d’avoir accès à des capitaux en vue de former des partenariats de participation dans de grands projets. La participation directe dans les capitaux propres peut renforcer l’autodétermination économique, au-delà des traditionnelles ententes sur les répercussions et les avantages, et au-delà des structures fondées sur l’emploi, l’approvisionnement et la passation de marchés. Dans certains cas, les programmes donnent des droits de gouvernance dans les projets ayant une incidence directe sur les Nations. Grâce à l’accès aux fonds propres existant, par l’entremise des programmes de garantie de prêt provinciaux et des sociétés d’État fédérales, les prochaines années représentent une occasion significative de faire progresser la réconciliation économique autochtone et la participation des Autochtones dans les capitaux propres à l’échelle nationale.
Le Canada est en transition énergétique, ce qui est un impératif à la fois climatique et économique. La route du monde à zéro émission nette passe par les territoires autochtones, comme nous l’avons souligné dans notre précédent rapport 92 à zéro. L’engagement des Autochtones, leur participation dans les capitaux propres et les partenariats avec ces collectivités sont maintenant des aspects à prendre en compte dans l’avancement des projets importants liés aux ressources et à l’énergie. L’engagement profond des Autochtones dès les premières phases d’élaboration des grands projets, dans le cadre de partenariats financiers et non financiers, pourrait être un modèle de croissance économique inclusive typiquement canadien, du fait que l’établissement de relations entre les Nations autochtones, les gouvernements et le secteur privé est devenu une priorité.
Comment nous en sommes arrivés là
L’histoire du Canada est liée à celle des Nations autochtones, qui ont occupé ces terres et utilisé ces eaux bien avant l’arrivée des colons. Le gouvernement canadien (incarné par la Couronne) a reconnu l’indépendance, l’autonomie et la gouvernance autochtones par le biais de traités et d’ententes, notamment le traité Kaswhenta (ou traité du wampum à deux rangs) en 1613, la Charte royale de la Baie d’Hudson en 1670 et la Proclamation royale de 1763. Le Canada, en tant que pays et concept, a été façonné par ses relations avec les Premières Nations, et c’est toujours le cas. Selon la Cour suprême du Canada, les ententes et les documents qui reconnaissent les droits et les titres des Autochtones ne font qu’exprimer et réaffirmer une situation qui existait déjà, à savoir que les Nations autochtones œuvrent à la protection et à la gestion du Canada depuis des temps immémoriaux.2
Le gouvernement canadien a poursuivi le processus de colonisation par divers moyens administratifs, juridiques et autres (y compris la violence). À la suite de la création de la Confédération, en 1867, le gouvernement canadien a réalisé une synthèse de diverses ordonnances sur les peuples autochtones pour créer la première Loi sur les Indiens (1876), en vertu de laquelle la politique fédérale est passée du principe de mutualité au concept d’assimilation. Certains des traités historiques conclus par la Confédération avec les Premières Nations ont été signés sous la contrainte, ou appliqués en violation des conditions et de l’esprit de ces textes.
Après la Rébellion de la rivière Rouge, le gouvernement canadien a expulsé des membres de la Nation métisse des terres sur lesquelles ils habitaient pour en faire cadeau aux colons, et dans certains cas, délivré des certificats de propriété pour des terres impropres à la culture et à la chasse ou acquises à bas prix par des spéculateurs sans scrupules. Quant aux Inuits, ils ont été dépossédés de leurs terres de la même façon, leurs ressources ont été décimées par la chasse à la baleine, et le gouvernement a ordonné leur relocalisation dans le Haut-Arctique. Ce ne sont là que quelques exemples des impacts directs et indirects du colonialisme auxquels les Premières Nations, les Inuits et les Métis ont été confrontés au cours de l’histoire.
À la suite de la dépossession de leurs terres, de leurs eaux et de leurs ressources, les nations autochtones se sont retrouvées de plus en plus éloignées de leurs ordonnancements juridiques, modes de gouvernance et systèmes économiques.3 Malgré leur marginalisation, les nations autochtones se sont mobilisées pour défendre et renforcer leurs droits juridiques, politiques et de gouvernance, notamment en faisant inscrire leurs droits et leurs titres ancestraux dans la Constitution. Les peuples autochtones continuent de militer pour leur pleine participation à l’économie canadienne et pour le maintien de leurs droits sui generis qu’ils considèrent comme les clés de l’autodétermination économique et d’une véritable réconciliation.
Les nations autochtones demeurent confrontées à d’importants obstacles institutionnels et juridiques pour mobiliser des capitaux abordables aux fins d’entrepreneuriat et de participation à l’économie. Par exemple, les Premières Nations ne peuvent pas donner de terres de réserves en garantie, en vertu de l’article 89 de la Loi sur les Indiens, tandis que la Nation métisse n’a pas accès aux programmes fédéraux de financement et que les Inuits ont de la difficulté à faire financer des projets dans les régions rurales éloignées.
De grandes avancées ont été réalisées, avec notamment l’adoption de Loi sur la gestion financière des Premières Nations, l’attribution et la dévolution de pouvoirs aux gouvernements territoriaux et la création d’institutions financières dirigées par des Autochtones. D’autres progrès doivent être réalisés pour libérer le potentiel économique des Autochtones et ouvrir la voie d’une véritable réconciliation économique.
Chronologie des événements clés
L’histoire actuelle
Lorsque les nations autochtones envisagent de participer à des projets importants, elles sont souvent confrontées à une combinaison d’obstacles institutionnels, juridiques et économiques qui ont conduit de nombreuses nations autochtones (mais pas toutes) à élaborer un bilan, un historique des opérations ou des capacités internes. Les Nations ont encore du mal à se procurer des capitaux abordables leur permettant de réduire le coût du capital tout en protégeant les actifs autochtones. Cela est dû à la combinaison d’obstacles juridiques et institutionnels décrits ci-dessus, ainsi qu’aux effets de réseau et au manque de sensibilisation du secteur privé aux avantages d’une participation autochtone proactive.
Cette lacune est particulièrement évidente lorsque les nations autochtones souhaitent prendre une participation dans les projets d’énergie et de ressources naturelles développés sur leur territoire. La participation autochtone dans les capitaux propres est maintenant un modèle prioritaire pour harmoniser les intérêts et faire avancer les projets plus rapidement, en privilégiant les relations entre les Autochtones et les entreprises, en intégrant les valeurs et les priorités des Autochtones et en simplifiant les processus réglementaires dans la mesure du possible.4
Qu’est-ce qu’une garantie de prêt, et comment est-elle structurée ?
Une garantie de prêt est une entente contractuelle concernant le remboursement d’une dette consentie par un prêteur tiers, comme une banque, lorsque l’emprunteur ne peut plus payer (c.-à-d. une sûreté). Pour le prêteur, cela peut pratiquement éliminer le risque de perte économique. Pour les investisseurs autochtones, les prêts sous forme de prise de participation peuvent avoir un coût prohibitif en l’absence de garantie (c.-à-d. que le coût du prêt, quand bien même il serait accordé, est inférieur au coût du financement sans garantie). En l’absence de garantie, les investisseurs autochtones se heurtent la plupart du temps à un coût des capitaux propres excessif, et ils doivent se contenter d’une position participative beaucoup plus faible, voire nulle, ce qui est loin d’être optimal.
Une garantie de prêt rend plus facile le financement sous forme de prise de participation, car elle implique une amélioration de la cote de solvabilité et un soutien de liquidité pour les emprunteurs autochtones. Fait important, l’utilisation de sociétés en commandite et d’entités ad hoc ne met pas en péril les actifs des communautés autochtones, puisque la dette mobilisée dans le cadre des projets est sans recours ou comporte un droit de recours limité à l’égard des associés. L’utilisation d’une entité ad hoc détenue par les nations autochtones, conjuguée au versement de distributions à la communauté, limite la sensibilité des passifs à la valeur de l’investissement en capitaux propres initialement effectué par une Nation donnée.
Les programmes de garantie de prêt constituent une partie de la solution visant à combler les écarts en matière d’accès au capital, entre autres outils complémentaires. La figure 1 montre un exemple de structure de propriété et la relation entre une nation autochtone et la participation dans les capitaux propres d’un projet, en particulier lorsqu’une garantie de prêt peut jouer un rôle.
Le gouvernement fédéral, de concert avec les gouvernements de la Colombie-Britannique et du Manitoba, a annoncé des programmes de garantie de prêt en 2024 en réponse aux revendications des nations autochtones et du secteur privé, ce qui reflète une plus grande maturité dans le processus d’élaboration des politiques publiques. Ces programmes, s’ils sont effectivement mis en œuvre, pourraient contribuer à combler l’écart par rapport à la forte demande de participation autochtone dans les capitaux propres, qui s’élève à environ 45 milliards de dollars pour les dix prochaines années selon la Coalition des projets majeurs des Premières Nations. L’élaboration et le déploiement des programmes de garantie de prêt récemment annoncés profiteront des modèles qui existent déjà dans l’Ontario, l’Alberta et la Saskatchewan.
Outils de financement de projet pour faire progresser la participation autochtone dans les grands projets
Ces annonces constituent un apport important à l’ensemble des outils mis à la disposition des nations autochtones pour participer économiquement dans les projets liés aux ressources et à l’énergie. À mesure que le programme sera déployé, des considérations importantes seront prises en compte, parmi lesquelles le mandat de risque associé au programme de garantie de prêt, un soutien adéquat des capacités pour permettre d’établir des partenariats, une gouvernance solide pour s’assurer que la prise de décisions et l’émission de garanties soient commercialement viables, et le cumul avec d’autres programmes de garantie et de soutien. Priorités à prendre en considération au moment de la mise en œuvre de ces programmes :
Les peuples autochtones doivent recevoir un soutien leur permettant de prendre des décisions indépendantes et éclairées préalablement à leur participation aux projets. Les partenariats doivent être encouragés pour toutes les nations autochtones : Premières Nations, Inuits et Métis. Les points de vue et le leadership des Autochtones, ainsi que le recrutement, le perfectionnement et la fidélisation des talents autochtones doivent figurer parmi les priorités de la mise en œuvre des programmes de garantie de prêt.
Les programmes doivent soutenir la plus vaste gamme de projets possible afin d’optimiser les chances économiques des Autochtones, en tant que priorité de premier ordre et aussi comme moyen d’accroître la productivité au Canada.
Le soutien financier du gouvernement doit être appuyé par un rigoureux processus de contrôle diligent. Il est nécessaire d’ouvrir la voie à la durabilité du marché, afin que les nations autochtones puissent accéder au capital sur un pied d’égalité avec les autres intervenants du marché à long terme.
Le temps est de l’argent. Les négociations individuelles doivent se dérouler à une vitesse adéquate pour établir la confiance, mais la bureaucratie associée aux programmes de garantie de prêt doit avancer au rythme des affaires. Cette priorité devra être équilibrée avec la nécessité de mener un processus de contrôle diligent rigoureux.
Les programmes de garantie de prêt existants continuent de découvrir et d’élaborer de nouvelles approches pour renforcer la mobilisation et la participation des Autochtones. Par exemple, en recherchant la meilleure façon de soutenir la participation autochtone dans les nouveaux projets ou les projets de vente sur plan. Les nouveaux programmes de garantie de prêt doivent faire preuve de souplesse dans la structuration et le déploiement des garanties, afin d’élaborer et d’adopter les meilleures pratiques du secteur public et du secteur privé.
Mandat de risque et admissibilité des projets
Il est probable que les programmes de garantie de prêt, de même que de nombreux programmes gouvernementaux de financement, commenceront avec une certaine aversion pour le risque. Toutefois, étant donné la capacité des gouvernements (en particulier du gouvernement fédéral) à absorber plus de risques, ces programmes devraient adopter un mandat de risque dynamique et évolutif à mesure qu’ils gagneront de l’expertise par le biais de l’« apprentissage ». Par exemple, l’examen annuel des mandats de risque pourrait intégrer aux programmes les réflexions des clients autochtones et des intervenants du secteur privé, afin de réévaluer si de nouvelles approches ou des secteurs novateurs pourraient être couverts. Le risque comporterait plusieurs dimensions, notamment :
Même si au départ, les garanties de prêt partielles ne couvrant pas la totalité du prêt pour prise de participation autochtone peuvent être préférables, garantir jusqu’à 100 % de ces prêts peut favoriser une plus grande participation économique des Autochtones et un meilleur rendement sur les projets qui n’étaient pas réalisables auparavant.
Il est important d’adopter une approche neutre à l’égard des secteurs, qui permette aux nations autochtones de conserver leur plein pouvoir et leur pleine détermination relativement aux projets déployés sur leur territoire et qui renforce les effets positifs de la participation autochtone. Le programme de garantie de prêt doit donner la priorité à un ensemble de projets dans un éventail de secteurs et de régions.
Les programmes de garantie de prêt viseront à minimiser les risques indus et les recours aux garanties attribuables à des risques budgétaires ou réputationnels. Au fil du temps, et selon le succès des programmes de garantie de prêt, d’autres considérations pourraient entrer en jeu, par exemple le fait que les projets d’une taille plus petite, les nouveaux projets ou les projets préréglementaires présentent un éventail de risques plus large que les projets de réaménagement ou d’expansion de structures existantes. Cette combinaison devra tirer profit du programme pour maximiser les occasions offertes aux Autochtones et permettre l’investissement dans de nouveaux projets qui contribuent à la réalisation des objectifs énergétiques et économiques.
Un plus grand nombre de nations autochtones participant à une opération peut ajouter de la complexité et diluer le rendement et la participation en capitaux propres pour chacune des Nations, mais cela peut aussi produire des effets multiplicateurs positifs. Les Nations qui ont des capacités plus élevées peuvent soutenir les Nations qui sont en voie de développer et d’accroître leurs propres capacités. L’une des principales mesures d’impact pour les programmes de garantie de prêt sera leur effet sur l’établissement de relations entre les Nations et avec le secteur privé.
Une garantie de prêt ne crée pas de position en liquidités dans les comptes publics d’un gouvernement, mais une provision pour pertes sur prêts peut servir à isoler une partie des liquidités exigibles au titre d’une garantie. Toutefois, lorsqu’une garantie est émise, une partie de cette provision est « immobilisée » jusqu’au remboursement du prêt. La prise en compte de la diversité des durées des prêts (p. ex., une combinaison d’échéances de 5, 10 et 15 ans) peut permettre au programme de recycler le capital et d’émettre de nouvelles garanties qui libéreront une plus grande valeur pour les partenariats de participation.
Les gouvernements pourraient envisager d’autres protections structurantes pour atténuer le risque, parmi lesquelles :
Les nations autochtones ayant la possibilité d’investir leur propre capital peuvent créer une réserve de capitaux propres afin d’atténuer le risque et de réduire davantage le coût des capitaux propres.
Les programmes de garantie de prêt doivent abaisser les barrières à l’entrée, y compris les frais élevés, mais ces frais peuvent aussi être adaptés au profil de risque spécifique de la garantie.
Il s’agit de modalités contractuelles standard qui peuvent stipuler le calendrier de remboursement de la dette en dirigeant les flux de trésorerie vers le remboursement de la dette avant le versement des distributions, et créer une réserve de sécurité visant à s’assurer que les émissions futures pourront être financées par des fonds capitalisés à l’avance et au fil du temps.
Souvent utilisées dans les positions de participation minoritaire, les clauses de rachat d’actions obligent le partenaire majoritaire (et souvent l’exploitant) à racheter les actions de participation des Autochtones en cas de défaut complet.
En tant qu’aspect standard de la surveillance de la dette commerciale, le contrôle diligent postérieur à la clôture peut aider à régler proactivement des problèmes potentiels et permettre à un gouvernement, à des promoteurs ou à des financiers d’intervenir avant qu’un problème ne soit soulevé. La surveillance commerciale et la gestion des relations avec chaque nation autochtone seront des aspects importants.
Le ministre des Finances du gouvernement fédéral a indiqué que le gouvernement serait heureux de constater une sursouscription de son programme et de recevoir une demande d’augmentation du financement au-delà de 5 milliards de dollars. En effet, un seul projet majeur pourrait mobiliser la totalité de l’enveloppe de garantie de prêt. Une enveloppe de garantie plus importante serait un signe positif de l’engagement du gouvernement à favoriser de plus grands partenariats avec les Autochtones en vue de réaliser le potentiel de 45 milliards de dollars.
Capacité
En fonction de divers facteurs institutionnels et effets de réseau, les nations autochtones peuvent avoir des niveaux de relations, de savoir-faire et d’antécédents d’affaires qui leur permettent de développer leur capacité à évaluer et négocier les opérations. Le niveau de leurs capacités peut varier selon la Nation autochtone et la nature de l’opération. Le soutien des capacités peut être essentiel au succès de l’outil de mobilisation de capitaux permettant aux Nations d’avoir accès à l’expertise commerciale, juridique et financière dont elles ont besoin pour prendre des décisions pertinentes.
À titre de comparaison pour souligner l’importance des capacités, entre autres facteurs, le Tribal Energy Loan Guarantee Program des États-Unis, lancé en 2005, a émis sa première garantie de prêt en mars 2024. La lenteur de l’avancement du programme est attribuable à de multiples facteurs, mais l’un des plus importants est que le programme a omis de financer les capacités des tribus amérindiennes à prendre des décisions éclairées au sujet des aspects commerciaux et techniques des opérations.
Le gouvernement fédéral a prévu 3,5 millions de dollars sur deux ans pour soutenir le financement des capacités en vertu du programme. C’est un bon début, mais le financement des capacités doit être placé plus en avant parmi les priorités afin de s’assurer que les nations autochtones ont l’expertise commerciale, technique et juridique dont elles ont besoin pour prendre des décisions en matière de participation aux projets. Les capacités sont souvent renforcées grâce aux frais imposés sur les garanties de prêt qui peuvent être recyclés dans des fonds de financement des capacités, en plus du soutien apporté par les promoteurs des projets. Le programme de garantie de prêt de la Colombie-Britannique a indiqué qu’il alimenterait un fonds de financement des capacités à hauteur de 10 millions de dollars. Le programme de garantie de prêt du Manitoba n’a pas indiqué s’il financerait les capacités.
Des organisations telles que la Coalition des projets majeurs des Premières Nations ont joué un rôle important pour aider les Nations à développer et renforcer leurs capacités commerciales, techniques et environnementales internes. Le soutien continu des organisations existantes et nouvelles sera un facteur de réussite crucial à long terme.
Une tendance positive est le nombre croissant de nations autochtones qui se soutiennent mutuellement dans le développement de leurs capacités. Fait intéressant, dans les négociations qui font intervenir plusieurs nations autochtones, les Nations ayant le plus d’expérience et la meilleure expertise commerciale ou technique interne ont tendance à allouer leurs ressources internes ou externes, ou à mettre à profit leurs relations ou leur expérience pour soutenir les Nations engagées dans le développement de leurs capacités.
Gouvernance
L’indépendance et l’autonomie de l’administration figurent au rang des priorités dans les programmes existants, notamment celui de l’Ontario (géré par un organisme d’État), et ceux de l’Alberta et de la Saskatchewan (gérés par des sociétés indépendantes). L’indépendance et l’autonomie permettent à la prise de décision de se dérouler avec une ingérence politique minimale et, de manière générale, rehaussent la crédibilité. Les perspectives et l’inclusion des Autochtones doivent être des éléments essentiels dans toutes les structures de gouvernance.
Les grandes priorités de l’élaboration d’un modèle de gouvernance transparent, inclusif et souple sont les suivantes :
Le leadership et la représentation des Autochtones au sein des organismes de gouvernance et de prise de décision doivent être une priorité et un impératif, compte tenu de l’accent mis par ces programmes sur la réconciliation économique et l’inclusion des Autochtones
L’accent doit être placé sur l’évaluation des garanties selon des critères apolitiques, notamment pour assurer la viabilité commerciale et l’inclusivité, ce qui limite les possibilités d’ingérence politique dans l’émission de garanties individuelles
Un corollaire pour que les programmes de garantie de prêt demeurent apolitiques consiste à s’assurer que les processus d’approbation et de décision mettent l’accent sur la rapidité. Un processus d’approbation fondé sur un conseil indépendant, autonome et auquel participent des leaders autochtones et des représentants du gouvernement et du secteur privé peut accélérer la mise en œuvre des projets et faciliter la communication.
- La rapidité du déploiement aide à adopter une approche de « guichet unique », en particulier au niveau fédéral, ou à coordonner les efforts entre les programmes de garantie de prêt fédéraux et provinciaux afin d’assurer l’exécution d’un service approprié à l’intention des Nations.
Des processus d’évaluation et de contrôle diligent solides, basés sur des critères commercialement comparables, doivent être mis en place pour s’assurer que les décisions de garantie de prêt sont prises en fonction des avantages commerciaux et économiques du projet sous-jacent et de la garantie de prêt.
La conviction doit aller de pair avec la transparence pour assurer la crédibilité et la réputation des programmes de garantie de prêt. Un processus de gouvernance clair, conjugué à des exigences rigoureuses en matière de surveillance et de déclaration sera nécessaire pour que les nations autochtones et le secteur privé comprennent le processus et les raisons de la prise de décision en matière de garanties.
Cumul
Il existe un éventail d’organismes qui offrent un soutien financier à la participation des Autochtones dans des projets importants, notamment des programmes de garantie de prêt provinciaux. Voici quelques-uns des facteurs qui permettraient de cumuler les aides, dans le but d’optimiser les possibilités de participation économique des Autochtones en exploitant le plein potentiel des ressources gouvernementales :
Offrir un « guichet unique » aux Nations pour regrouper les garanties provinciales et fédérales.
- Cela implique la coordination et la communication entre les fonctionnaires, un aspect particulièrement important pour les projets complexes qui nécessitent le soutien de plusieurs organisations. Le programme fédéral de garantie de prêt pourrait être chef de file dans cette structure.
Harmonisation des modalités financières et contractuelles, en particulier des honoraires, de la structure des garanties et de la souplesse des règles, afin de permettre aux Nations de tirer parti de multiples sources de financement.
En ce qui concerne les subventions destinées aux capacités, il faudrait éviter de restreindre le nombre de sources auxquelles les Nations ont accès.
Les organismes offrant à la fois du financement et du soutien des capacités sont les programmes de garantie provinciaux, l’Autorité financière des Premières Nations, la Banque de l’infrastructure du Canada, Exportation et développement Canada, la Banque de développement du Canada, Financement agricole Canada et plusieurs organismes provinciaux qui soutiennent les occasions économiques pour les Autochtones.
Outils futurs
Les garanties de prêt peuvent constituer un outil efficace, mais elles ne sont qu’un élément de la solution. Il sera important de puiser dans l’investissement privé et d’ouvrir une voie vers la durabilité du marché.
Le gouvernement fédéral pourrait prendre en compte les aspects suivants pour élargir la boîte à outils :
Les intérêts économiques des Autochtones recoupent presque tous les secteurs de l’économie, y compris la pêche, l’agriculture, les télécommunications, l’infrastructure, la fabrication, le tourisme et autres. Les programmes de garantie de prêt fédéraux et provinciaux peuvent commencer à étendre leur soutien à divers secteurs, au-delà des secteurs de l’énergie et des ressources naturelles sur lesquels l’accent a été placé jusque là.
La garantie de la dette des projets pourrait être la prochaine étape, bien que ce type de garantie soit plus risqué, une fois qu’une masse de soutien et de capital privé aura été réunie pour garantir les prises de participation. Dans les faits, cela permettrait de répercuter la cote de solvabilité du gouvernement fédéral sur les emprunteurs autochtones, et donnerait aux banques une plus grande marge de manœuvre pour octroyer des prêts.
L’émission de garanties de plus de 100 % peut soutenir la participation des Autochtones dans des projets de vente sur plan, avant la phase de production de revenus. Tout comme la garantie de la dette, cette approche peut être plus risquée, mais si elle s’applique de façon stratégique dans des projets commercialement viables, elle pourrait libérer une participation significative des Autochtones dès les premières phases des projets, en particulier dans des secteurs stratégiques comme celui des minéraux critiques.
Dans les secteurs à risque plus élevé comme celui de l’exploitation minière, en particulier dans certains projets frontières de minéraux critiques, les nations autochtones pourraient préférer participer par l’entremise de redevances ou d’un flux de revenus. En créant une structure institutionnelle pour transférer aux nations autochtones une partie des redevances perçues, les gouvernements peuvent encourager la participation dans des secteurs tels que l’exploitation minière ou la foresterie (où la redevance est définie comme un droit de coupe). Le gouvernement fédéral doit agir à cet égard. Les gouvernements provinciaux de la Colombie-Britannique et de l’Alberta, entre autres, ont déjà des ententes de partage des revenus des ressources.
Le patrimoine croissant des nations autochtones comprend environ 20 milliards de dollars d’actifs en fiducie et 100 milliards de dollars en revendications territoriales et autres. La mise en commun de fiducies et d’investissements par l’entremise d’institutions dirigées par des Autochtones peut contribuer à générer un revenu de placement important et à encourager davantage la prise de participation.
L’émission d’obligations pour le développement autochtone, semblables aux obligations de développement émises par les économies émergentes et les institutions multilatérales, pourrait soutenir le financement de projets dirigés par des Autochtones. Cette stratégie s’appuierait sur le succès existant du programme de prêts en commun et du programme d’émission obligataire de l’Autorité financière des Premières Nations. Cet instrument exigerait un consensus sur les normes d’émission obligataire.
Le fait de s’appuyer sur le travail du Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité et les lignes directrices fédérales sur l’investissement durable, tout en intégrant les perspectives et les considérations des Autochtones aux normes d’investissement, peut constituer un outil supplémentaire pour encourager l’investissement dans les projets et les organisations dirigés par des Autochtones.
Une institution de financement du développement dirigée par des Autochtones, consolidant les instruments de dette, de capitaux propres et de subventions, pourrait constituer un outil complet pour financer des projets et des entreprises de façon durable. Le modèle d’une telle institution serait semblable à celui des banques de développement communautaire, qui sont financées à la fois par les secteurs public et privé, plutôt qu’au modèle des banques multilatérales de développement où les votes sont alloués en fonction des actions détenues.
Le secteur privé met en place des structures novatrices pour favoriser la participation et l’inclusion des Autochtones dans les grands projets9, notamment :
- Voir au-delà des éléments à faible risque et générateurs de revenus dans un projet plus vaste, et faciliter la participation autochtone – il s’agit souvent d’éléments qui ont une durée de vie plus longue que le projet lui-même (p. ex., lignes de transport ou routes à péage).
- Options de participation autochtone après la construction où les nations autochtones peuvent exercer l’option d’acheter une participation à l’achèvement du projet.
- Versements annuels minimaux pour atténuer les risques de baisse et protéger les Nations contre les risques indus lorsqu’un projet traverse des périodes sans revenus.
- Rachats d’actions en cas d’échec du projet, c’est-à-dire l’engagement du promoteur à racheter les participations à un prix déterminé au cas où le projet ne serait pas achevé.
- Négociation des droits de gouvernance des Autochtones, même dans les cas de participations minoritaires, au moyen d’une structure de catégorie d’actions distincte pour reconnaître que les propriétaires autochtones ont une position différente de celle des autres participants à l’entreprise.
- Coinvestissement avec des investisseurs institutionnels, en particulier avec des coinvestisseurs capables de déployer des capitaux importants pendant de longues périodes, tant dans des projets majeurs individuels que dans le regroupement d’occasions plus modestes par le biais de coentreprises.
- Garanties du promoteur ou soutien contractuel : les promoteurs peuvent chercher à fournir des garanties de prêt ou d’autres formes de soutien contractuel pour faciliter la participation des Autochtones, en particulier dans les projets à risque plus élevé. Ce risque peut être compensé par un prix de vente des actions plus élevé.
Une approche proactive, axée sur les relations et fondée sur la confiance pour les partenariats avec les Autochtones est maintenant nécessaire dans les secteurs public et privé. Faire progresser la réconciliation économique grâce à des partenariats significatifs est à la fois un impératif moral et économique – ce qui représente une occasion de développer la prospérité collective en tant que pays.
Pour en savoir plus, allez à leadershipavise.rbc.com/economie
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Contributors:
Varun Srivatsan, Directeur, Politiques et engagement stratégique
Rajeshni Naidu-Ghelani, Rédacteur en chef, Économie et leadership éclairé
Caprice Biasoni, Graphiste spécialisée
Recommended Reading
- Pour donner une image du contexte, sur les dix projets LT1 menés avec succès, neuf ont une participation autochtone de 50 % ou plus.
- Delgamuukw c. Colombie-Britannique (1997).
- Des mécanismes tels que le système de laissez-passer ont empêché les Premières Nations de participer à l’économie canadienne. En même temps, les économies autochtones ont souffert d’une privation progressive de leurs ressources traditionnelles. Par exemple, la décimation du bison a eu des retombées sur les Premières Nations et les Métis de l’ère moderne dans l’Alberta, la Saskatchewan et le Manitoba, tandis que la chasse à la baleine a eu des répercussions sur les Inuits de l’ère moderne dans le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut.
- Introduction à la garantie de prêt de la Coalition des projets majeurs des Premières Nations (FNMPC) : https://fnmpc.ca/wp-content/uploads/FNMPC_Loan_Guarantee_Primer_01172023_v3.pdf
- 75 millions de dollars représentent la limite sans l’approbation du Cabinet – les garanties de prêt supérieures à ce montant peuvent être accordées sous réserve de l’approbation du Cabinet.
- Entre autres, la foresterie, l’extraction et la transformation des minéraux, la production et le raffinage du pétrole et du gaz, les PRM, l’énergie renouvelable et la technologie de CUSC
- L’Autorité financière des Premières Nations (AFPN) fonctionne selon un modèle d’emprunt en gestion commune ; à ce titre, elle n’a pas de limite réglementaire ni de cible interne. Le mandat de prêt de l’organisme est fondé sur les revenus autonomes des Premières Nations selon la certification individuelle du Conseil de gestion financière des Premières Nations.
- La BIC a fixé un objectif d’investissement minimal (plancher) de 1 milliard de dollars pour les nations autochtones. Cet objectif s’applique à la fois à l’Initiative pour la participation autochtone et à l’Initiative d’infrastructures pour les communautés autochtones, qui a déployé et engagé des capitaux d’environ 1 milliard de dollars dans divers projets et partenariats.
- https://www.conferenceboard.ca/wp-content/uploads/2022/10/indigenous-ownership_march2023.pdf
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