Perspectives macroéconomique – Mars 2022

L’incidence économique de la pandémie s’affaiblit. La plus large distribution des vaccins et l’apparition de nouveaux traitements entraînent une rapide levée des restrictions dans la plupart des régions que nous suivons. Mais de nouveaux risques ont émergé. L’invasion de l’Ukraine secoue les marchés financiers, fait grimper les prix des marchandises et laisse entrevoir de nouvelles perturbations des chaînes logistiques mondiales, déjà tendues.

Avant même l’escalade du risque géopolitique, les limitations de la capacité de production, notamment la forte pénurie de main-d’œuvre et la hausse des coûts des intrants, préoccupaient les entreprises plus encore que la baisse des commandes. L’amélioration des conditions sur le marché du travail, la hausse des salaires et l’accumulation des réserves d’épargne durant la pandémie devraient soutenir le pouvoir d’achat des ménages. D’un autre côté, le niveau élevé de la demande et la capacité limitée des entreprises à accroître la production amplifient les tensions inflationnistes. Ces tensions existantes ne pourront être qu’exacerbées par l’invasion russe. Et c’est pourquoi les banques centrales restent sur leur voie pour relever les taux d’intérêt.

Les retombées économiques du conflit en Ukraine ne seront pas les mêmes pour tous les Canadiens

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a entraîné une flambée des prix d’un large éventail de marchandises (énergie, métaux et produits agricoles). L’augmentation des prix à la consommation et le regain de volatilité sur les marchés financiers ébranleront la confiance à l’échelle mondiale. D’ailleurs, le S&P 500 a déjà perdu plus de 10 % cette année. La hausse des prix entraînera un accroissement des revenus des producteurs de ces marchandises, y compris dans les secteurs du pétrole et du gaz et de l’agriculture du Canada, mais elle entamera aussi l’épargne constituée par les ménages pendant la pandémie. En particulier, les Canadiens à faible revenu qui consacrent une plus grande partie de leurs revenus à l’énergie et à l’alimentation disposeront d’un coussin financier plus mince.

La hausse des prix du pétrole fera bondir les revenus des producteurs et les dépenses des consommateurs

L’explosion des prix du pétrole fera augmenter les bénéfices des sociétés pétrolières et gazières, ainsi que les redevances versées à l’Alberta et à d’autres provinces productrices de cette ressource. Les activités de forage pétrolier et gazier s’intensifieront presque certainement, mais nous nous attendons à une attitude relativement prudente en matière d’investissements, compte tenu de la forte incertitude quant au niveau des prix à la longue. L’incidence sur la croissance de l’emploi lié directement et indirectement au secteur sera donc limitée.

Par contre, le poids de la hausse des prix des marchandises sera ressenti de façon plus générale partout au Canada à mesure que les prix à la consommation augmenteront. La hausse de 40 % des prix du pétrole depuis la fin de février a probablement suffi pour faire bondir immédiatement de 0,75 % l’indice global des prix à la consommation. Dans ces conditions, les ménages canadiens devraient dépenser environ 10 milliards de dollars de plus par année, soit plus de 600 dollars par ménage, pour acheter la même quantité d’essence qu’il y a quelques semaines.

Les ménages à faible revenu sont les plus vulnérables à la flambée des prix de l’alimentation et de l’énergie et ont moins économisé pendant la pandémie

Le pouvoir d’achat des ménages est exceptionnellement solide. Au cours des deux dernières années, les Canadiens ont épargné pas moins de 300 milliards de dollars de plus qu’avant la pandémie. Ce chiffre représente plus de 11 % du PIB annuel du Canada, soit six fois le montant des dépenses annuelles en essence avant la pandémie. La situation s’est également améliorée sur les marchés du travail.

Toutefois, cette épargne supplémentaire n’est pas répartie de façon égale. Ainsi, les ménages à faible revenu (quintile de revenu le plus bas) n’ont pas vraiment épargné davantage pendant la pandémie. Ils ont emprunté moins. Ces familles consacrent généralement une plus grande partie de leur revenu à des produits de première nécessité comme la nourriture et l’énergie. Pour eux, l’augmentation des coûts sera en grande partie inéluctable. Comme le gouvernement retirera les mesures de soutien mises en place en réaction à la pandémie, toute l’épargne accumulée pendant la crise sanitaire disparaîtra rapidement.

Les retombées de la croissance mondiale sont importantes

Le plus important partenaire commercial du Canada est (de loin) les États-Unis, dont les producteurs de pétrole accroîtront également leurs revenus grâce à la hausse des prix. Cependant, le climat de grande incertitude, la perte de confiance des consommateurs et la hausse des prix pourraient faire dérailler la croissance mondiale. En raison de l’intégration étroite des chaînes logistiques mondiales, les perturbations à l’étranger finiront par avoir des répercussions au Canada, même si l’épargne abondante des ménages amortira le choc.

La Banque du Canada prévoit toujours relever ses taux

L’incertitude grandissante (et le fait que les hausses de taux au pays n’auront aucune influence sur les cours mondiaux des marchandises) devrait inciter la Banque du Canada à augmenter progressivement ses taux : 25 pb en avril, puis 50 pb au deuxième semestre. Néanmoins, il est toujours possible que la forte hausse persistante des prix déstabilise les anticipations d’inflation et finisse par rendre nécessaire une réponse plus énergique.


 

Le conflit en Ukraine ajoute aux tensions inflationnistes mondiales

Le conflit a radicalement perturbé le commerce dans la région. La mise en place de sanctions agressives et les risques de perturbation de l’approvisionnement et des transports ont fait s’envoler les prix de certaines marchandises. Les prix du pétrole ont bondi au-dessus de 115 $ US le baril, un niveau jamais vu depuis 2008. Le rouble russe a perdu près de la moitié de sa valeur depuis l’invasion, en raison des sanctions et des perturbations dans les transports qui freinent les exportations de la Russie et gèlent les réserves de devises étrangères détenues à l’étranger.

La Russie et l’Ukraine ne représentent au total que 0,1 % du commerce canadien des biens et services. Mais leurs échanges directs avec les pays de la zone euro sont plus importants. L’augmentation des prix du pétrole et les perturbations de la production agricole (potentiellement lourdes, du fait que la Russie et l’Ukraine sont de grands exportateurs agricoles) stimuleront l’inflation mondiale dans les secteurs de l’alimentation et de l’énergie. Et l’éventualité d’une nouvelle escalade accroît considérablement l’incertitude géopolitique en ce qui concerne les perspectives économiques mondiales.

Les chaînes logistiques restent en proie à de graves tensions

Le coût du transport maritime par conteneur s’est établi en dessous des sommets de l’été 2020, mais il est encore près de sept fois supérieur au niveau d’avant la pandémie. Et malgré les signes d’amélioration du côté des délais de livraison, le transport maritime sur le trajet complet, entre l’usine de production et le port de destination, prend encore deux fois plus de temps qu’avant la pandémie.

Il y a des raisons de s’attendre à ce que les perturbations des chaînes logistiques se dissipent. Les retards dans les ports ont commencé à se résorber. La demande des consommateurs semble toujours prête à se déplacer des biens vers les services, grâce à la levée des restrictions liées à la COVID-19. Et le réapprovisionnement des stocks, après les creux enregistrés pendant la pandémie, devrait ralentir. Mais l’effet des perturbations liées à l’invasion russe pourrait rallonger le processus.

Les pénuries de main-d’œuvre dureront plus longtemps que le virus

Même dans le scénario d’un rapide rétablissement des chaînes logistiques mondiales, les pénuries de main-d’œuvre continueront probablement de freiner la croissance de la production. Pour de nombreuses entreprises, la question de la fidélisation et de l’embauche des employés est devenue une préoccupation plus importante que la baisse des commandes. C’est surtout vrai dans les secteurs des services à forte proximité physique, les plus durement touchés par la pandémie, puisqu’une grande partie de la main-d’œuvre dont ils disposaient avant la pandémie a migré vers d’autres emplois ou secteurs d’activité. Le nombre de chômeurs par offre d’emploi est inférieur au niveau d’avant la pandémie dans quasiment tous les secteurs d’activité canadiens. Pour ne citer que les services d’hébergement et de restauration, en janvier il y avait encore 300 000 travailleurs de moins qu’avant la COVID-19.

Le rebond de l’immigration aidera à pourvoir une partie des postes à court terme, mais les pénuries générales devraient persister sur le marché du travail. La « grande démission » souvent citée à propos du Canada n’est pas tant le résultat de la pandémie que de la poursuite d’une tendance amorcée il y a plus de dix ans, lorsque la génération du baby-boom de l’après-guerre est arrivée à l’âge de la retraite. Et nous ne sommes probablement qu’à la moitié de cette vague de départs de la vie active. En effet, la pandémie a temporairement suspendu les plans de retraite de nombreux Canadiens. Autrement dit, plus de départs sont attendus dans les années à venir.

Les pressions salariales et les pénuries de main-d’œuvre stimulent l’investissement

Bien sûr, les tensions sur le marché du travail constituent un indicateur économique positif qui suggère que l’économie s’est en grande partie redressée. Et cela place les travailleurs en meilleure position dans les négociations salariales. Il y a des signes précurseurs que l’augmentation des salaires aux États-Unis en 2021 commence à se refléter au Canada. Bien que la croissance réelle des salaires canadiens se soit avérée plus lente, elle est sur une pente ascendante. La part des employés qui changent d’emploi tous les mois est en hausse. Or, ce type de changement s’accompagne généralement d’augmentations de salaire plus importantes que celles qui sont négociées en interne. La confiance des travailleurs envers le marché du travail s’est nettement améliorée. En particulier, plus de personnes quittent leur emploi en raison d’un « mécontentement » avant même d’avoir trouvé un nouveau poste.

Les entreprises canadiennes prévoient embaucher plus de personnes (et sont prêtes à payer plus), mais elles cherchent également à satisfaire la demande croissante grâce à des investissements destinés à accroître la productivité de la main-d’œuvre existante. La plupart des secteurs comptent investir davantage en 2022 qu’avant la crise de la COVID-19 en 2019. Les plans d’investissement dans le secteur pétrolier et gazier (bien que cela puisse changer selon la durée de l’augmentation du prix du pétrole) et dans le secteur manufacturier font exception, car les difficultés d’approvisionnement en intrants limitent encore la production.

L’épargne accumulée pendant la pandémie soutient le pouvoir d’achat des ménages et l’inflation

La demande des ménages demeure robuste, portée par la vigueur du marché du travail, l’accumulation d’une épargne importante durant la pandémie et la faiblesse des taux d’intérêt. L’épargne des ménages canadiens s’est accrue de plus de 300 milliards de dollars par rapport aux niveaux d’avant la pandémie au cours des deux dernières années. Une grande partie de cette somme a probablement été utilisée pour réaliser des investissements et pour répondre à une demande de logements exceptionnellement forte. Mais les liquidités en dépôt dans les banques à charte dépassent toujours d’environ 200 milliards de dollars les tendances d’avant la pandémie. L’épargne n’a pas été répartie de façon égale. Elle est plus concentrée parmi les ménages à revenu élevé, qui sont moins susceptibles de la dépenser. Néanmoins, ces réserves exceptionnellement importantes serviront de filet de sécurité contre les chocs potentiels, tout en soutenant les dépenses de consommation et les investissements immobiliers, y compris dans un scénario de hausse des prix et des taux d’intérêt.

Il existe encore une marge de progression pour les dépenses consacrées aux services aux ménages. Dans la plupart des autres secteurs, en revanche, la production a déjà rattrapé ou dépassé son niveau d’avant la pandémie. Une plus forte demande se heurtant à une capacité de production limitée pourrait donc entraîner une montée des prix. Les distorsions liées à la pandémie peuvent encore expliquer une grande partie de la hausse de l’inflation récemment observée au Canada et dans les autres pays, et la récente flambée des prix pétroliers va ajouter à la croissance des prix de l’énergie. Mais les pressions exercées sur les prix continuent de s’étendre à un nombre croissant de produits et de services. Au Canada, en janvier, plus de 60 % du panier des prix à la consommation avait augmenté à un taux annuel de 2 % ou plus par rapport au niveau d’avant la pandémie. Aux États-Unis, cette part était plus proche de 80 %, même en excluant les coûts de logement plus élevés.

Les taux d’intérêt continueront d’augmenter

Tout en faisant état de l’augmentation considérable des incertitudes géopolitiques, le 2 mars la Banque du Canada a décidé de relever ses taux d’intérêt pour la première fois depuis 2018. Malgré ces risques, les conditions économiques du marché intérieur sont trop dynamiques, et les tensions inflationnistes trop marquées pour maintenir des taux d’intérêt aussi bas. Les taux d’inflation au Canada et à l’étranger continuent d’être touchés par la flambée des prix de l’énergie et les lourds problèmes de chaîne logistique qui ont, par exemple, fait grimper les prix des véhicules. Et la faiblesse persistante des taux d’intérêt a contribué à l’envolée des prix de l’immobilier.

Le 16 mars, nous nous attendons à ce que la Réserve fédérale américaine procède à la première des cinq hausses de taux de 25 points de base prévues cette année. Nous estimons que la Banque du Canada relèvera ses taux une fois par trimestre (la prochaine décision étant attendue en avril). Cela permettrait de rétablir les taux à leur niveau d’avant la pandémie, soit 1,75 % d’ici mi-2010. Nous prévoyons que la Banque centrale européenne attendra un peu avant de modifier ses taux cette année, étant donné sa plus grande exposition directe au conflit en Ukraine.

Les ménages ont la capacité d’absorber des taux d’intérêt plus élevés

Pour les ménages, ce rythme de hausse des taux d’intérêt devrait être supportable, à condition que les revenus continuent de croître comme prévu. L’endettement a augmenté de façon significative pendant la pandémie, mais cette augmentation a été financée à des taux d’intérêt extrêmement bas. Par conséquent, les versements requis pour faire face à ces encours de dette plus importants ont représenté une part plus faible du revenu disponible. La majeure partie de la croissance de la dette au Canada provient de prêts hypothécaires souvent consentis à taux fixe, qui ne sont donc pas directement touchés par les hausses de taux. Et bien que les hausses de taux d’intérêt interviennent beaucoup plus tôt que ce qui était prévu il y a un an, à la fin du cycle de hausse actuel, les taux devraient rester assez faibles par rapport aux données historiques – proches des niveaux d’avant la pandémie. Cette attente a limité l’incidence du changement des attentes en matière de taux des banques centrales sur les coûts d’emprunt à terme réels pour les ménages et les entreprises. Les encours de dette élevés demeureront une grande vulnérabilité pour l’économie canadienne (comme c’était le cas avant la pandémie). Toutefois, notre scénario de base indique que les coefficients d’amortissement de la dette des ménages ne retrouveront leur niveau d’avant la pandémie qu’au cours des 18 prochains mois.

Les marchés du logement demeurent exceptionnellement solides

Les ventes de maisons n’ont été limitées que par le manque d’inscriptions, et comme les vendeurs sont en position de force dans presque tous les marchés locaux, les prix ont continué d’augmenter à une vitesse jamais vue. La construction de maisons neuves est également restée dynamique. Les constructeurs se sont hâtés de profiter des prix élevés, en vue de répondre aux besoins d’une immigration plus élevée au cours des prochaines années. Néanmoins, nous pensons que la hausse des taux d’intérêt et la piètre accessibilité à la propriété contribueront à calmer le marché plus tard dans l’année. Cela devrait plafonner la contribution du logement à la croissance économique, même si les niveaux restent bien au-dessus de ceux d’avant la pandémie.


About the Authors

À titre d’économiste en chef, Craig Wright dirige une équipe d’économistes qui mènent des recherches sur l’économie, les titres à revenu fixe et les devises pour le compte de clients de RBC. M. Wright collabore régulièrement à un certain nombre de publications de RBC, et il est l’un des principaux animateurs des séances d’information que les Services économiques organisent de façon périodique pour communiquer les résultats d’analyses économiques aux clients et aux médias.

Dawn Desjardins s’est jointe à l’équipe Services économiques RBC en janvier 2006 à titre de première économiste. Elle est responsable des prévisions macroéconomiques et de celles portant sur les taux d’intérêt au Canada et aux États-Unis. Auparavant, Mme Desjardins était reportrice aux actualités financières de Bloomberg, à Toronto, où elle couvrait le marché obligataire et le marché des changes du Canada.

Nathan Janzen travaille à RBC depuis 2008, où il s’occupe principalement de la couverture des perspectives macroéconomiques du Canada et des États-Unis. Il est titulaire d’une maîtrise en économie de l’Université McMaster et d’un baccalauréat en économie de l’Université de Regina.

 

Le présent article vise à offrir des renseignements généraux seulement et n’a pas pour objet de fournir des conseils juridiques ou financiers, ni d’autres conseils professionnels. Veuillez consulter un conseiller professionnel en ce qui concerne votre situation particulière. Les renseignements présentés sont réputés être factuels et à jour, mais nous ne garantissons pas leur exactitude et ils ne doivent pas être considérés comme une analyse exhaustive des sujets abordés. Les opinions exprimées reflètent le jugement des auteurs à la date de publication et peuvent changer. La Banque Royale du Canada et ses entités ne font pas la promotion, ni explicitement ni implicitement, des conseils, des avis, des renseignements, des produits ou des services de tiers.