Perspectives Macroéconomiques

La flambée d’inflation dans le monde – et la mesure dans laquelle les taux d’intérêt devront monter pour la juguler – reste le principal sujet de préoccupation en ce qui concerne les perspectives économiques. Aux risques posés par les prix astronomiques, s’ajoutent les perturbations de chaîne logistique dues à la guerre en Ukraine et aux restrictions sanitaires en Chine. Alors que les banques centrales luttent pour contenir la demande, les taux d’intérêt bondissent. Et déjà, la reprise économique ralentit dans les économies avancées, tandis que les pénuries de main-d’œuvre compliquent la relance de la production.

Les inquiétudes entourant les perspectives économiques s’intensifient. Le PIB a nettement décliné au premier trimestre 2022 aux États-Unis, en Italie et en France, en partie à cause de la vague virale de l’hiver et des perturbations persistantes dans la chaîne logistique. À lui seul, le manque de travailleurs suffirait à limiter la croissance, étant donné que le chômage reste extrêmement bas dans les régions que nous couvrons.

Les secteurs du voyage et du tourisme ne se sont pas complètement remis de la pandémie, et les régions productrices de marchandises bénéficient des prix plus élevés. Mais au-delà, il est peu probable que la croissance devienne supérieure à la normale, et les risques de baisse s’accumulent.

La reprise des voyages et l’envolée des prix des marchandises sur les marchés mondiaux stimulent le PIB du Canada

À présent que la plupart des restrictions ont été levées, le secteur du voyage, durement touché, devrait connaître une croissance supérieure à la moyenne. Au Canada, le nombre de passagers du transport aérien demeure largement inférieur aux niveaux d’avant la pandémie. Mais notre suivi des opérations par carte de débit et de crédit suggère que les réservations de voyages et d’activités de loisirs sont de nouveau au-dessus des niveaux d’avant la crise, ce qui laisse présager un fort redressement des voyages pendant l’été.

L’explosion des prix mondiaux des marchandises fait grimper les coûts pour les consommateurs du monde entier, et augmente les revenus des pays producteurs comme le Canada. Les prix des exportations canadiennes se sont envolés de 21 % au premier trimestre de 2022 par rapport à l’année précédente, alors que le coût des importations a bondi de 11 %. Lorsque les prix à l’exportation augmentent plus vite que les prix à l’importation, cela signifie une augmentation nette du pouvoir d’achat pour l’économie nationale, puisque les ventes à l’exportation financent une plus grande partie des achats d’importation. En tenant compte de ce choc positif dans la balance commerciale, le pouvoir d’achat national canadien (revenu intérieur brut réel) a augmenté presque deux fois plus vite que le PIB au cours de l’année dernière, à un taux de 5,6 % contre 2,9 %. Le nombre d’appareils de forage pétrolier et gazier devrait également augmenter, après le ralentissement saisonnier normal au printemps dans l’ouest du Canada.

L’inflation est beaucoup trop forte pour être ignorée par les banques centrales

En avril, la croissance des prix à la consommation a atteint 6,8 % d’une année sur l’autre, soit le taux le plus élevé depuis que la Banque du Canada a adopté une cible explicite d’inflation en 1991. Et il est presque certain que ce taux grimpera encore en mai, en raison de la hausse des prix de l’essence. Une grande partie de la pression inflationniste est le reflet de facteurs mondiaux sur lesquels la Banque du Canada a peu d’influence. L’inflation s’envole également au Royaume-Uni, dans la zone euro et aux États-Unis. Les prix du pétrole et des produits agricoles ont été stimulés par les préoccupations liées à l’offre, en raison du conflit en Ukraine. Et cette montée des prix des produits agricoles continuera de pousser les prix des denrées alimentaires vers le haut.

Mais la demande des consommateurs pour les biens s’est montrée extrêmement robuste, grâce aux aides publiques d’une ampleur exceptionnelle mises en place pendant la pandémie. C’est particulièrement vrai aux États-Unis (le plus grand marché de consommation du monde) où les volumes de vente au détail ont dépassé de plus de 15 % les niveaux d’avant la pandémie. Les volumes mondiaux d’expédition par conteneurs s’améliorent – ils se trouvaient environ 7 % au-dessus des niveaux d’avant la pandémie en avril – mais l’augmentation n’est pas suffisante pour répondre à la demande.

Les pressions inflationnistes se font sentir dans le monde entier, de même que la réponse des banques centrales en matière de taux d’intérêt

Les taux d’intérêt sont encore trop bas. La Banque du Canada a relevé le taux de financement à un jour de 50 points de base le 1er juin, après l’avoir augmenté de 50 points de base en avril et de 25 points de base en mars. Malgré tout, le taux reste à 1,5 % à peine. Au vu de l’inflation galopante et des tensions extrêmes sur les marchés du travail, le cheminement vers un taux plus neutre (de l’ordre de 2 à 3 %, selon les estimations de la banque centrale) ne devrait pas poser de problèmes. Nous pensons que les futures hausses porteront le taux directeur à 2,5 % en octobre.

La question est de savoir si cela sera suffisant pour maîtriser la demande des consommateurs et la pression inflationniste. Plus la flambée d’inflation perdure, plus les attentes d’inflation élevée risquent de s’enraciner, et cela pourrait donner du fil à retordre aux banques centrales pour faire revenir la croissance des prix vers la cible. Les représentants de la Banque du Canada ont indiqué que la maîtrise de l’inflation prenait le dessus sur les préoccupations relatives à la croissance économique, ce qui montre clairement que la banque centrale est prête à relever les taux si nécessaire, même au risque de plonger l’économie dans une récession. Par conséquent, les risques entourant notre prévision d’un taux définitif de 2,5 % pourraient s’accroître.

Néanmoins, la Banque du Canada n’est pas seule à lutter contre l’inflation. La Réserve fédérale américaine et la Banque d’Angleterre devraient également relever leurs taux d’intérêt, et nous prévoyons que la BCE commencera à sortir de l’ère des taux négatifs en Europe au cours de l’été. La montée des taux d’intérêt aura probablement un impact limité sur les principaux achats des consommateurs, par exemple l’essence et les denrées alimentaires (poussées vers le haut par les préoccupations relatives à l’offre et la forte demande des ménages). Mais on peut s’attendre à une chute de la demande en ce qui concerne les autres articles du panier des consommateurs, à mesure que les taux d’intérêt augmenteront dans le monde.

Le ralentissement du marché du logement est un premier signe de l’efficacité des hausses de taux

Au Canada, environ un cinquième de l’inflation des prix à la consommation provient des coûts d’achat des logements, du fait que les revenus élevés, combinés aux faibles taux d’intérêt ont fait flamber les marchés du logement pendant la pandémie. Certains signes indiquent déjà que cette poche de pression inflationniste est en train de s’atténuer. Après une hausse mensuelle record au début de l’année, les prix de revente de maisons se sont tassés de 0,6 % en avril. Ce ralentissement à lui seul ne justifie pas une pause dans le cycle de hausse des taux de la Banque du Canada (les prix de revente de maisons étaient encore supérieurs de 24 % à ceux de l’année dernière en avril). Mais il suggère que les hausses de taux d’intérêt ont déjà un impact. Nous prévoyons un déclin de 13 % des reventes de maisons en 2022, et un recul des prix de référence nationaux de l’ordre de 5 % à 10 %, entre leur sommet et leur point le plus bas.

Les fermetures pour cause de pandémie en Chine vont maintenir la pression sur les chaînes logistiques mondiales

De récents signes d’amélioration ont été observés dans les principaux indicateurs relatifs au transport. Le coût des expéditions par conteneurs a cédé plus de 20 % dans le monde par rapport à la fin de l’année dernière, et jusqu’à 30 % sur les routes maritimes de la Chine vers les États-Unis. Les délais de transport sur les routes principales plafonnent également depuis le début de l’année, avec quelques signes d’amélioration ces dernières semaines. La préoccupation est que ces améliorations soient de courte durée, au vu des mesures de confinement instaurées dans certaines parties de la Chine – les plus strictes jamais mises en place depuis la première vague de COVID-19 en 2020. Les fermetures à Shanghai ont généralement pris fin, après deux mois de restrictions, mais les expéditions hors du port de Shanghai (l’un des plus fréquentés au monde) sont tombées au plus bas depuis la première vague virale en avril.

La pénurie de main-d’œuvre reste aiguë

Même si les perturbations de chaîne logistique se résorbaient sensiblement, les tensions extrêmes sur les marchés du travail devraient freiner la croissance du PIB dans le futur. Au Canada, les offres d’emploi ont dépassé de 80 % leur niveau d’avant la pandémie. Mais à 5,2 % en avril, le taux de chômage (qui reflète la main-d’œuvre disponible) a touché son plus bas niveau depuis au moins 1976. De même, le chômage est exceptionnellement bas aux États-Unis et en Europe.

Les salaires ont donc commencé à augmenter. C’est particulièrement le cas aux États-Unis, où le salaire horaire moyen est en hausse et où un grand nombre de travailleurs (surtout ceux qui ont fait des études postsecondaires) ont pu profiter de la forte demande d’embauche pour obtenir des postes mieux rémunérés et plus productifs. Mais cela signifie que pratiquement tous les secteurs peinent à augmenter leurs effectifs, y compris des secteurs comme l’hébergement et les services de restauration dont les effectifs sont encore bien en dessous des niveaux d’avant la pandémie.

Les risques de récession se sont accrus

Deux années seulement se sont écoulées depuis la récession économique la plus fulgurante de l’histoire, et l’une des plus importantes. Les tensions exceptionnelles sur les marchés du travail et la poussée de l’inflation indiquent que bon nombre d’économies avancées, y compris le Canada, se heurtent déjà aux limites de la capacité de production à long terme. Tout cela n’est pas mauvais. Le manque de disponibilité de main-d’œuvre pousse les entreprises canadiennes à dépenser davantage pour améliorer la productivité, par exemple – un domaine où le Canada a longtemps été à la traîne par rapport aux autres pays comparables.

Mais à ce stade du cycle économique, la croissance a peu de possibilités d’augmenter à court terme. Cela signifie que la prochaine surprise en matière de perspectives économiques sera plus probablement baissière que haussière. Et le risque baissier le plus évident est lié au fait que les banques centrales devront relever les taux d’intérêt de manière plus agressive que prévu pour juguler l’inflation. Même avec ce retour à des taux d’intérêt plus « neutres » du côté de la Banque du Canada, le rapport entre le remboursement de la dette des ménages et leurs revenus reviendrait au-dessus de son niveau d’avant la pandémie, et la croissance du PIB ralentirait à environ 1 % par trimestre dans la seconde moitié de l’année prochaine.

Dans ces conditions, toute surprise baissière en matière de croissance ou toute hausse des taux d’intérêt, même modeste, pourrait faire basculer l’économie dans la récession.

 


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À propos des auteurs

À titre d’économiste en chef, Craig Wright dirige une équipe d’économistes qui mènent des recherches sur l’économie, les titres à revenu fixe et les devises pour le compte de clients de RBC. M. Wright collabore régulièrement à un certain nombre de publications de RBC, et il est l’un des principaux animateurs des séances d’information que les Services économiques organisent de façon périodique pour communiquer les résultats d’analyses économiques aux clients et aux médias.

Nathan Janzen travaille à RBC depuis 2008, où il s’occupe principalement de la couverture des perspectives macroéconomiques du Canada et des États-Unis. Il est titulaire d’une maîtrise en économie de l’Université McMaster et d’un baccalauréat en économie de l’Université de Regina.

 

Le présent article vise à offrir des renseignements généraux seulement et n’a pas pour objet de fournir des conseils juridiques ou financiers, ni d’autres conseils professionnels. Veuillez consulter un conseiller professionnel en ce qui concerne votre situation particulière. Les renseignements présentés sont réputés être factuels et à jour, mais nous ne garantissons pas leur exactitude et ils ne doivent pas être considérés comme une analyse exhaustive des sujets abordés. Les opinions exprimées reflètent le jugement des auteurs à la date de publication et peuvent changer. La Banque Royale du Canada et ses entités ne font pas la promotion, ni explicitement ni implicitement, des conseils, des avis, des renseignements, des produits ou des services de tiers.