Perspectives Provinciales - Septembre 2022

Cette année, l’inflation très élevée, la flambée des taux d’intérêt et le resserrement exceptionnel des marchés du travail ont marqué toutes les économies provinciales. Ils ont donné lieu à de nouveaux défis auxquels les ménages et les entreprises d’un océan à l’autre doivent faire face au moment même où l’atténuation des perturbations causées par la pandémie était censée rendre la vie plus facile. Mais ce sont là des symptômes d’économies en plein essor. En fait, 2022 s’annonce comme une nouvelle année de croissance solide pour la plupart des provinces, ce qui permettra d’achever le processus de reprise qui a fait suite aux contractions massives imputables à la pandémie en 2020.

La hausse des prix des marchandises et le rebond marqué de la production agricole devraient accélérer la croissance dans les provinces des Prairies, la Saskatchewan (6,4 %), l’Alberta (5,1 %) et le Manitoba (3,7 %) dominant notre classement de la croissance en 2022. Nous nous attendons à ce que la croissance ralentisse dans toutes les autres provinces, tout en demeurant positive, entravée par de nouveaux vents contraires.

Nous prévoyons que les rajustements à la hausse du coût de la vie et au resserrement de la politique monétaire de la Banque du Canada entraîneront un ralentissement généralisé et prononcé de la croissance en 2023. Pour l’ensemble du pays, nous prévoyons une légère récession au milieu de l’année, dont les effets devraient se faire sentir dans tout le pays.

Les économies provinciales poursuivent leur expansion

La plupart des signaux indiquent que la croissance est demeurée vigoureuse au premier semestre de 2022. Les marchés de l’emploi ont été extrêmement tendus presque partout au Canada ; l’inflation n’a pas beaucoup nui aux dépenses globales des ménages, voire pas du tout ; les secteurs de production de biens ont continué de tirer parti de la forte demande intérieure et mondiale (les problèmes de la chaîne logistique et les pénuries de main-d’œuvre représentant les principales contraintes) ; les secteurs malmenés des services ont rebondi après la levée des restrictions liées à la pandémie ; les entreprises ont fortement augmenté leurs investissements non résidentiels dans la majorité des provinces ; les conditions météorologiques plus clémentes ont considérablement amélioré les perspectives de la production agricole dans les Prairies ; enfin, les revenus du gouvernement ont grimpé en flèche.

L’augmentation des taux d’intérêt a causé un refroidissement des marchés du logement…

Le principal événement négatif a été la correction brutale du marché du logement depuis le printemps. Le relèvement des taux d’intérêt par la Banque du Canada, amorcé en mars, a déclenché un ralentissement de l’activité dans l’ensemble du pays, dont l’Ontario et la Colombie-Britannique ont clairement été les épicentres. À ce jour, les reventes de logements ont plongé de plus de 40 % dans ces deux provinces, dépassant largement le recul de 18 % dans le reste du pays. De même, les prix des logements subissent des pressions baissières plus fortes en Ontario et en Colombie-Britannique, où les gains antérieurs ont été extrêmes et où les acheteurs sont particulièrement sensibles aux taux d’intérêt élevés. Nous prévoyons que le ralentissement du marché du logement se propagera à court terme, alors que la Banque du Canada devrait relever son taux à 4 % d’ici la fin de cette année.

Le repli du marché du logement marquera un tournant notable pour la plupart des économies provinciales. Ces deux dernières années, le secteur résidentiel florissant a donné un coup de fouet considérable à la reprise qui a suivi la récession provoquée par la pandémie. En Ontario, il représente directement un sixième de la croissance du PIB depuis le deuxième trimestre de 2020. Nous nous attendons à ce que le secteur réduise considérablement la croissance dans chaque province en 2023. En fait, les difficultés que connaît le secteur du logement représentent déjà un important facteur restrictif cette année en Ontario et en Colombie-Britannique.

…mais a donné des bouffées de chaleur aux ménages

L’incidence du relèvement des taux d’intérêt se fera aussi sentir d’autres façons. Au cours de la dernière décennie, les ménages canadiens se sont fortement endettés ; ils devront donc faire face à des paiements beaucoup plus élevés pour le service de la dette. C’est un problème de taille en Colombie-Britannique, en Ontario et en Alberta, où l’endettement des ménages est le plus élevé par rapport au revenu net. Cette situation survient à un moment où l’inflation galopante comprime déjà le budget de nombreux ménages et où la baisse des valeurs des propriétés résidentielles réduit leur patrimoine net. Nous nous attendons à ce que le relèvement des taux d’intérêt, l’inflation élevée et l’érosion de la richesse aient de lourdes conséquences pour les dépenses de consommation survoltées. C’est en effet ce que laisse entrevoir une forte baisse de la confiance des consommateurs dans l’ensemble du pays depuis le printemps. Jusqu’à présent, c’est dans les provinces de l’Atlantique, où l’inflation la plus élevée du pays pèse sans doute lourdement sur le moral, que l’humeur s’est le plus assombrie. La confiance des consommateurs des Prairies, en revanche, a relativement mieux tenu le coup, en raison peut-être des perspectives de revenu plus favorables attribuables à l’amélioration des marchés des marchandises.

Les consommateurs seront-ils bientôt à court de ressources ?

Le suivi de l’utilisation des cartes de paiement de RBC (en temps quasi réel) montre que les solides dépenses de consommation ont récemment commencé à se stabiliser, particulièrement dans les provinces maritimes. Nous pensons que cette situation laisse entrevoir un ralentissement généralisé. La levée des restrictions liées à la pandémie plus tôt cette année a permis aux consommateurs de continuer à dépenser, car ils ont tourné leur attention vers les services ; en effet, les Canadiens se sont remis à voyager et ont repris d’autres activités qu’ils avaient auparavant réduites. Mais de nouveaux signes portent à croire que le changement des habitudes de dépenses est peut-être terminé. Selon les données de RBC, l’utilisation des cartes a légèrement diminué au milieu de l’année chez les prestataires de service de l’Atlantique, du Québec et des Prairies. Nous nous attendons à ce que des tendances similaires se manifestent dans d’autres provinces à l’avenir.

Le resserrement du marché du travail freine la croissance

La forte demande de travailleurs et la croissance globalement anémique de la main-d’œuvre continuent d’alimenter les défis sur le marché du travail d’un bout à l’autre du pays. À vrai dire, les pénuries de main-d’œuvre empêchent de nombreux secteurs d’atteindre leur plein potentiel, notamment la construction et l’hébergement. Dans la plupart des provinces, les taux de chômage ont chuté à leur plus bas niveau depuis au moins le milieu des années 1970. Nous croyons qu’il en sera bientôt de même dans les autres provinces, y compris l’Alberta. Les marchés de l’emploi du Québec, de la Colombie-Britannique, de la Saskatchewan, du Manitoba et de l’Île-du-Prince-Édouard sont particulièrement éprouvés du fait que le nombre des emplois disponibles dépasse celui des chômeurs.

Bien que le Canada soit sur la bonne voie pour atteindre la cible ambitieuse d’Ottawa en matière d’immigration, qui est de 432 000 nouveaux résidents permanents cette année, l’afflux de personnes n’a pas encore atténué les pressions exercées sur le marché du travail. L’accroissement de l’immigration fera néanmoins partie de la solution à long terme pour corriger les déséquilibres de la main-d’œuvre.

Le ralentissement des économies provinciales y contribuera aussi temporairement l’an prochain. Notre prévision d’une récession au Canada en 2023 comprend également une hausse modérée des taux de chômage dans toutes les provinces, sauf l’Alberta.

Les gouvernements engrangent des revenus inattendus

La vigueur de l’activité économique à ce jour, combinée à l’inflation la plus élevée depuis des décennies et à l’amélioration considérable de la situation des marchés des marchandises, a entraîné une manne inattendue pour les gouvernements d’un océan à l’autre. Les mises à jour budgétaires publiées ces derniers mois ont invariablement révélé d’importantes révisions à la hausse des revenus de toutes sortes, y compris les impôts sur le revenu des particuliers et des entreprises, les taxes à la consommation et les revenus tirés de ressources non renouvelables. L’Alberta, la Saskatchewan et le Nouveau-Brunswick s’attendent désormais à des excédents en 2022-2023, tandis que le Québec table sur un déficit très faible après les paiements au Fonds des générations. Nous prévoyons que davantage de provinces réduiront leurs projections de déficit annoncées auparavant pour cette année (y compris l’Ontario). L’amélioration considérable des perspectives budgétaires représente un revirement spectaculaire, quelques années à peine après que les déficits budgétaires aient atteint des niveaux records.

L’inflation a probablement atteint son sommet

L’inflation continue d’exercer des pressions douloureuses dans tout le pays. Ce sont les habitants des provinces maritimes qui en souffrent le plus (en grande partie à cause de l’envolée des loyers, des factures de chauffage et des prix des denrées alimentaires), mais les autres Canadiens ont aussi du mal à composer avec la montée en flèche du coût de la vie. Heureusement, nous prévoyons que l’inflation ralentira au cours de la prochaine année, car les perturbations de la chaîne logistique s’atténueront, de même que la demande de biens et de services. Ce ralentissement ne devrait toutefois pas apporter un soulagement immédiat. Nous nous attendons à ce que, l’an prochain, l’inflation demeure bien au-dessus de la cible de 2 % de la Banque du Canada dans toutes les provinces.

Mise à jour pour l’ensemble du Canada

Colombie-Britannique : Le tourisme a rebondi cette année et les dépenses en immobilisations demeurent robustes. Néanmoins, nous prévoyons que la croissance annuelle ralentira à 3,0 % en 2022, alors qu’elle était de 5,9 % en 2021, étant donné que le boom des dépenses qui a suivi la pandémie plafonne et que la correction en cours du marché du logement pèse sur l’activité. La correction du marché du logement devrait frapper la Colombie-Britannique plus durement que la plupart des autres provinces, car les investissements résidentiels représentent une part plus importante de son économie. L’effet de richesse négatif imputable à la baisse de la valeur des propriétés amplifiera encore la faiblesse en freinant la consommation.

Alberta : L’économie est finalement sur la voie d’une reprise complète après la récession de 2015-2016, en grande partie grâce à l’amélioration considérable des perspectives pour les secteurs énergétique et agricole. Notre prévision de croissance de 5,1 % cette année marquerait la deuxième année consécutive où son rythme dépasserait les 5 %. La montée en flèche des prix des marchandises et l’inflation élevée font encore gonfler le PIB nominal de la province (qui devrait dépasser 20 % cette année), ce qui constitue une base très élevée pour les recettes du gouvernement albertain. Le résultat est stupéfiant : la province s’attend maintenant à un excédent record de 13 milliards de dollars. Même si nous prévoyons que la croissance économique ralentira en 2023, l’Alberta sera bien placée pour surpasser la plupart des autres provinces, car l’activité et les prix dans le secteur énergétique devraient rester à des niveaux favorables. L’achèvement de l’expansion du pipeline Trans Mountain d’ici au milieu de l’année stimulera la capacité d’exportation d’énergie de l’Alberta.

Saskatchewan et Manitoba : Les économies des deux provinces sont en meilleure posture en 2022. L’état des cultures s’améliore nettement et les récoltes devraient revenir aux niveaux d’avant la pandémie dans la plupart des régions. Les agriculteurs profitent de la forte demande mondiale de produits agricoles et de la hausse des prix des marchandises, ce qui devrait se traduire par une augmentation substantielle des exportations provinciales. Le secteur de la potasse est en pleine expansion en Saskatchewan et devrait progresser davantage grâce aux importants investissements en cours dans les installations de production. Au Manitoba, le secteur manufacturier connaît une croissance rapide, notamment du fait de la mise en service d’une nouvelle usine de transformation d’aliments. Nous estimons que l’impact de la correction du marché du logement sera relativement faible dans les deux provinces, puisque l’investissement résidentiel constitue une part moins importante de leur économie. Nous prévoyons cette année une hausse de 3,7 % au Manitoba et de 6,4 % en Saskatchewan (la plus forte au pays), alors que ces chiffres étaient respectivement de 1,2 % et de -0,3 % en 2021.

Ontario: Le bilan est mitigé, mais globalement positif cette année. Les consommateurs ont joué un rôle important cet hiver et ce printemps, surtout après la levée des restrictions, mais le rythme des dépenses a été plus lent cet été. L’hôtellerie et d’autres secteurs de services durement touchés se sont largement redressés. Les fabricants de la province continuent de naviguer dans des eaux agitées en raison des difficultés causées par les problèmes de chaîne logistique, la hausse du coût des matériaux et les pénuries de main-d’œuvre. Les constructeurs sont également confrontés à de nombreux problèmes similaires. Après un démarrage en trombe au début de l’année, le marché du logement de l’Ontario a reculé en deçà des niveaux prépandémiques. Nous nous attendons à ce que la faiblesse persistante de l’économie entraîne un ralentissement de la croissance, qui devrait passer de 4,6 % en 2021 à 3,2 % cette année.

Québec : L’économie de la province a maintenu un bon rythme de croissance au début de l’année. Bien que partielle, l’accélération de la reprise dans les secteurs des transports, des arts, du divertissement et des loisirs, ainsi que de l’hébergement et de la restauration, a contribué à la vigueur de l’économie. La production manufacturière a renoué en grande partie avec les niveaux d’avant la pandémie, malgré le fait que le secteur aérospatial au Québec soit nettement à la traîne. La croissance a toutefois marqué le pas ce printemps, en raison du ralentissement de l’activité dans les secteurs de la construction et de l’immobilier. Nous pensons que cette situation marquera un point d’inflexion. À partir de maintenant, le resserrement de la politique monétaire devrait freiner l’élan, de sorte que le taux de croissance annuelle, qui était de 5,7 % en 2021, devrait passer à 3,5 % cette année, puis à 0,6 % l’an prochain.

Provinces de l’Atlantique : La région enregistre un solde migratoire interprovincial très positif, qui a atteint son plus haut niveau historique au cours de l’année dernière. Les investissements en cours pour accueillir cet afflux de nouveaux résidents, ainsi que la hausse de la demande de biens et de services qui en découle, continuent de soutenir la croissance cette année, en dépit d’une reprise plus lente que prévu du secteur du tourisme. Nous prévoyons un ralentissement en 2023 en raison du relèvement des taux d’intérêt, ce qui est conforme à la tendance observée dans le reste du Canada. Le redémarrage du projet extracôtier d’exploitation pétrolière West Rose aura une incidence notable sur l’économie de Terre-Neuve-et-Labrador l’an prochain, et cette province est donc la seule pour laquelle nous anticipons une accélération de la croissance.

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About the Authors

Robert Hogue fait partie du groupe d’Analyse macroéconomique et régionale au sein des Services économiques RBC. Il est responsable de la production d’analyses et de prévisions sur le marché canadien du logement et l’économie des provinces. Parmi ses publications, on trouve des titres tels que Perspectives provinciales et Tendances immobilières et accessibilité à la propriété, ainsi que des commentaires sur les budgets provinciaux.

Carrie Freestone est économiste à RBC. Elle produit des analyses sur le marché du travail et est membre du groupe d’Analyse régionale, où elle contribue à l’établissement des perspectives macroéconomiques de la province.

Rachel Battaglia est économiste à RBC. Elle est membre du groupe d’analyse macroéconomique et régionale et fournit des analyses des perspectives macroéconomiques provinciales.

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