Le Canada est confronté à un triple défi économique, qui s’accompagne d’une triple occasion économique susceptible de jeter les bases de la croissance jusqu’aux années 2030.

Les trois sommets de ce nouveau triangle de croissance – la réconciliation économique, la productivité et l’action climatique – sont interdépendants. Autrement dit, nous ne pouvons pas en avoir un sans avoir les autres.

Cette idée est apparue clairement à la COP28 en décembre, où la croissance, la formation de capital et l’inclusion économique ont été présentées comme des axes importants pour atteindre nos objectifs climatiques. Le Canada pourrait en profiter pour adopter un positionnement stratégique, à condition de réaliser des ajustements conséquents.

Commençons par l’action climatique, avec une vérité crue : parvenir à zéro émission nette exigera des investissements d’une envergure jamais vue de notre vivant.

L’Institut d’action climatique RBC a récemment publié un rapport sur l’avancement de la transition au Canada, intitulé « Action climatique 2024 », dont le message principal est que nous faisons des progrès, mais que c’est loin d’être suffisant. En ce qui concerne le financement de la transition vers l’objectif zéro émission nette, nous devrons investir 60 milliards de dollars par année dans l’action climatique. Pour l’heure, nous investissons 22 milliards de dollars.

La bonne nouvelle est que l’investissement est à la hausse par rapport aux 15 milliards de dollars d’il y a trois ans à peine. La mauvaise nouvelle est qu’il faut au moins doubler ce chiffre, et de toute urgence. C’est pourquoi nous avons intitulé notre rapport « L’urgence de mettre les bouchées doubles ». (De plus, pour chaque année où nous n’investissons pas suffisamment, nous nous rapprochons de la nécessité de tripler l’investissement requis.)

Le montant semble intimidant, mais il ne représente que 1 % du PIB environ. Et si les capitaux sont bien investis, ils peuvent ajouter à la croissance économique et nous empêcher de retomber dans la stagnation qui prévalait depuis de longues années avant la pandémie.

Comme le savent tous les entrepreneurs, le capital n’est pas quelque chose qui est imprimé par les gouvernements ou par les banques, ou pas pour longtemps. C’est quelque chose que les entreprises et les secteurs en bonne santé attirent, génèrent et retiennent. Tout cela exige de la productivité.

Malheureusement, près de 80 % de l’action climatique canadienne de la dernière décennie a été financée par le gouvernement fédéral. Le Canada n’attire pas, ou ne retient pas le capital d’investissement, alors qu’en ce moment nous devons attirer des dizaines de milliards de dollars de plus par année pour financer à la fois la réconciliation économique et la transition vers une économie carboneutre. En fait, entre 2015 et 2022, les investissements des entreprises ont décliné de 16 %, avec notamment un recul massif des investissements dans les secteurs du pétrole et du gaz, des mines et de la foresterie. Et dans l’ensemble, les investissements ont été stables, au mieux, principalement soutenus par les investissements du gouvernement dans des domaines comme les hôpitaux et les autoroutes, et par notre investissement collectif dans l’immobilier.

Non seulement nous ne capitalisons et ne recapitalisons pas nos principaux secteurs de croissance, mais nous n’attirons pas suffisamment de capitaux internationaux. L’investissement canadien à l’étranger représente maintenant près du double de l’investissement direct étranger réalisé au Canada (102 contre 62 milliards de dollars).

Nous devrons revoir notre plan collectif pour financer la transition énergétique, un processus qui repose sur des projets à forte intensité capitalistique allant du captage du carbone à la réduction du méthane en passant par l’électricité éolienne et solaire, l’hydrogène et le stockage des batteries. L’un des catalyseurs est la réconciliation économique, en particulier le consentement et la participation des Autochtones, qui non seulement peut nous éviter des années de bataille judiciaire, mais aussi fournir le genre de responsabilité que recherchent les investisseurs à long terme soucieux du climat et de la nature.

Comme nous l’avons indiqué dans notre rapport « 92 à zéro » de 2023, l’objectif zéro émission nette ne peut pas être atteint sans la réconciliation économique énoncée dans la recommandation no 92 de la Commission de vérité et réconciliation.

Dans cet esprit, le potentiel de développement des ressources est toutefois considérable. Notre recherche montre que les terres autochtones du Canada représentent :

  • 56 % des projets miniers essentiels de pointe ;
  • 35 % des meilleurs sites solaires ;
  • 44 % des meilleurs sites éoliens pour la production d’énergie.

Si elle était développée de manière appropriée et durable, cette richesse en ressources pourrait générer environ 225 milliards de dollars d’investissements.

Nous ne pourrons pas nous engager sur ces chemins convergents – l’objectif zéro émission nette, la réconciliation, et une croissance économique plus durable – sans une nouvelle approche du partenariat avec les communautés autochtones. C’est l’une des obligations imposées par la nouvelle législation sur le consentement préalable, libre et éclairé. Par ailleurs, nous devrons adopter un capitalisme fondé sur le bon sens en vertu duquel la propriété et la responsabilité locales sont essentielles pour produire des rendements sains à long terme. L’équité au sein des projets est le fondement d’un développement prévisible, de meilleurs résultats environnementaux et de retombées sociales axées sur les collectivités. En d’autres termes, cette approche réduit les risques liés aux projets et améliore le rendement économique pour toutes les parties prenantes, y compris les promoteurs de projets.

Au-delà des occasions de libérer des capitaux pour financer la transition, nous pouvons encourager collectivement la réconciliation économique en investissant dans les infrastructures de base, ce qui sera également favorable à la productivité économique.

Services économiques RBC a soutenu l’Assemblée des Premières Nations dans le cadre d’un important projet de recherche intitulé « Combler les lacunes en matière d’infrastructure », au cours duquel les besoins en infrastructures des Premières Nations ont été estimés à 350 milliards de dollars en incluant le logement et les services de base comme l’eau. Les besoins des communautés inuites et métisses font considérablement augmenter ce chiffre.

Bien déployées, ces infrastructures pourraient accroître la croissance du PIB de 0,5 % par an selon les conclusions de l’APN-RBC.

Il y a beaucoup d’argent en jeu, mais les besoins et les résultats ne se limitent pas à l’aspect financier. Nous devons aussi nous concentrer sur le consentement, la sécurité et les personnes.

Le consentement est ce qui donne aux investisseurs, aux exploitants et aux chaînes logistiques la confiance nécessaire pour prendre des risques.

La sécurité leur donne le sentiment que ces risques seront évalués et gérés équitablement.

Les personnes font en sorte que les choses avancent et continuent d’avancer.

Examinons d’abord la question du consentement. Il y a quelques années, Phil Fontaine, conseiller spécial de RBC, et moi-même avons lancé une initiative de « cercles d’écoute » afin de sonder les collectivités de tout le pays et de mieux comprendre ce qu’elles entendent par consentement. Il n’y a pas de définition figée, et il n’y en aura peut-être jamais. Mais il est de plus en plus clair que le consentement est une affaire de temps, de discussions et d’équité.

C’est compliqué, compte tenu des échéances pour le climat comme celle de 2030, mais les projets de décarbonation nécessaires pour parvenir à zéro émission nette (entre autres, les minéraux critiques et les pipelines de carbone) n’aboutiront pas sans l’adhésion significative et durable des collectivités. L’un des meilleurs exemples est celui de la participation au capital. L’initiative 50/50 lancée par Hydro One, qui permet aux communautés autochtones de posséder la moitié des lignes de transport qui passent sur leur territoire, démontre comment de tels partenariats peuvent fonctionner.

La sécurité financière constitue un autre défi. Les communautés autochtones ne peuvent pas accéder aux capitaux nécessaires pour investir dans les projets sans une forme quelconque de soutien ou de garantie. La plupart ne disposent pas de bilan financier – la Loi sur les Indiens ne leur permet pas d’emprunter – et les revenus excédentaires issus de leurs entreprises ou des transferts du gouvernement fédéral ne sont pas suffisants pour rembourser les prêts en question. Cependant, à l’aide de garanties de prêts à l’image de celle qui a été mise au point par le gouvernement de l’Alberta, nous constatons que les communautés autochtones sont désireuses et capables d’emprunter et d’investir dans la structure de propriété de grands projets.

Nous pensons que c’est une excellente raison d’établir un programme de garantie de prêts pour les Autochtones comme celui qui a été annoncé dans l’Énoncé économique de l’automne 2023. Cela pourrait aider à mobiliser 10 milliards de dollars pour les communautés autochtones, et en même temps lever 10 fois ce montant sous la forme de partenariats et de capital privé. Une garantie souveraine permettrait également de réduire les coûts d’emprunt de 100 à 150 points de base dans de nombreux cas. Les communautés autochtones, collectivement, économiseraient ainsi plus de 100 millions de dollars par année.

Cela nous amène au troisième grand besoin, qui se rapporte aux personnes et aux compétences. Les communautés autochtones nécessitent et désirent être plus que des partenaires financiers dans cette nouvelle économie. Ils veulent participer en tant que propriétaires, gestionnaires, travailleurs et fournisseurs. Ce besoin est encore plus pressant face au déclin démographique qui menace le Canada. Mais pour que cela se produise et fonctionne, nous devons investir beaucoup plus dans notre système scolaire, de l’école maternelle au doctorat, afin de préparer les jeunes Autochtones aux emplois et aux rôles d’une nouvelle économie.

Il ne pourrait pas y avoir de meilleur moment pour agir :

  • les règlements avec le gouvernement fédéral se déroulent maintenant à un rythme et à une échelle qui peuvent être transformateurs pour les collectivités et les nations ;
  • les incitatifs fiscaux du gouvernement fédéral et de nombreux gouvernements provinciaux, y compris les incitatifs à l’investissement, commencent à faire effet ;
  • Les taux d’intérêt sont à la baisse, ce qui incite de nombreux investisseurs à long terme à rechercher de nouvelles occasions.

Lorsque des occasions se présenteront, nous devrons veiller à ne pas leur fermer la porte à cause de restrictions indues sur le capital. Si nous prenons l’exemple des garanties de prêts pour les Autochtones, toute restriction sectorielle visant le pétrole et le gaz ou les pipelines serait considérée comme néocoloniale. Dans de tels cas, il existe d’autres outils modernes, tels que les normes d’émissions et les principes environnementaux, que de nombreuses collectivités apprécieraient et souhaiteraient diriger.

Le gouvernement fédéral doit veiller à ne pas laisser les nouveaux outils, tels que les garanties, ralentir davantage le processus d’approbation et de développement des projets. Sous l’impulsion de la Cour suprême du Canada, Ottawa envisage de modifier sa loi relative à l’évaluation des incidences sur l’environnement, connue sous le nom de C-69, afin de permettre une plus grande souplesse et une plus grande responsabilité de la part des provinces. Il serait judicieux de veiller à ce que les projets autochtones se déroulent dans le même esprit.

En fait, le gouvernement fédéral devrait considérer tout cela comme une occasion unique de déclarer au monde – et aux Canadiens – que lorsqu’il s’agit de développer les ressources appartenant aux Autochtones, dans le cadre de projets respectueux du climat, le Canada est prêt à faire des affaires. D’ici la fin de cette année, nous pourrions voir une harmonisation des avantages fiscaux et des subventions pour les projets zéro émission nette, un programme national de garantie de prêts pour les Autochtones et des cadres réglementaires simplifiés, ce qui constituerait un nouveau triangle de croissance pour le Canada.

Si nous ne faisons pas ces changements, nous risquons de tourner en rond.

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