La guerre commerciale entre les États-Unis et le Canada a éclaté : les exportations canadiennes d’acier et d’aluminium, évaluées à 24 milliards de dollars par année1, seront taxées à hauteur de 25 % à compter d’aujourd’hui. Voici cinq thèmes à surveiller alors que les deux économies se préparent aux retombées de ces impôts :

1. Il est peu probable que ces droits de douane revigorent la production américaine

Lorsque les États-Unis ont imposé des droits de douane pour la première fois au titre de l’article 232, en 2018, en réponse à des préoccupations de sécurité nationale, la capacité de production américaine d’acier et d’aluminium n’a pas augmenté de façon significative (hausse de 7 % et de 4 %, respectivement)2. Il est fort probable que ce scénario se répète. L’industrie sidérurgique américaine se heurte à un problème beaucoup plus grand alors que la Chine inonde les marchés mondiaux de l’acier de ses excédents de production, ce qui limite la capacité des producteurs américains à accroître la production nationale. L’offre excédentaire mondiale a atteint 560 millions de tonnes (soit 6 fois la consommation des États-Unis) en 2024. En outre, 157 millions de tonnes supplémentaires en provenance de nouvelles capacités à fortes émissions de carbone devraient arriver sur le marché d’ici 2026, principalement depuis l’Asie3.

Depuis l’entrée en vigueur des droits de douane au titre de l’article 232, les importations totales des États-Unis (en poids) ont baissé de 15 % pour l’acier et de 13 % pour l’aluminium par rapport à 2018. Les importations nettes d’acier aux États-Unis demeurent à un niveau de 13 % de la consommation nationale, tandis que les importations nettes d’aluminium sont structurellement plus élevées, représentant 47 % de la consommation. Cependant, la consommation américaine totale a fléchi de près de 10 % pour ces deux métaux depuis 2018, ce qui explique pourquoi la dépendance à l’importation n’a pas reculé autant que ce qui transparaît dans les chiffres bruts4.

Cela est mis en évidence dans les tableaux 1 et 2.

Tableau 1 : Stagnation de la consommation et des importations nettes d’acier aux États-Unis

United States Geological Survey, Leadership avisé RBC

Tableau 2 : Les États-Unis demeurent fortement dépendants de l’aluminium importé

Source : United States Geological Survey, Leadership avisé RBC

2. L’accès de la Chine au marché américain est difficile à mesurer

La définition de l’acier est compliquée à établir, étant donné les centaines de lignes tarifaires du Système harmonisé correspondant aux codes 72, qui définissent le fer et l’acier, et aux codes 73 qui définissent les produits basés sur le fer et l’acier. Les codes du Système harmonisé (« codes SH ») classifient les produits aux fins du commerce international afin de faciliter les formalités douanières et administratives. Les États-Unis ont réussi à fermer une grande partie de leur marché à l’acier chinois (selon les définitions des codes SH 72), qui ne représente que 490 millions de dollars dans les importations américaines en 2024, soit environ 1,6 % du total des importations5.

Toutefois, les exportations chinoises d’acier vers le Mexique et le Canada sont plus de trois fois supérieures, avec un montant estimatif de 1,7 milliard de dollars (au total) en 2024, soit 8 % des importations totales de chaque pays6. Ce chiffre est à la hausse, et il a plus que doublé depuis 2017. Si nous incluons les exportations chinoises transitant officieusement par des pays alliés (Vietnam, Thaïlande, Indonésie, entre autres), le total des exportations chinoises officielles et officieuses vers le Mexique et le Canada a probablement dépassé les 2,5 milliards de dollars. Naturellement, les États-Unis ont fait part de leurs préoccupations aux deux pays.

Toutefois, derrière leurs soi-disant « préoccupations », les États-Unis importent directement de Chine de l’acier et des produits à base d’acier pour une valeur de 14 milliards de dollars (codes SH 72 et 73 combinés), ce qui représente un quart de leurs importations totales d’acier et de produits à base d’acier7. En comparaison, l’acier et les produits à base d’acier chinois ne représentent que 10 % des importations canadiennes et mexicaines, respectivement8.

Dans l’ensemble, la sécurité nationale des États-Unis s’est considérablement améliorée, car plusieurs pays alliés comme le Canada, le Japon, la Corée du Sud et le Mexique ont augmenté leurs livraisons d’acier et d’aluminium aux États-Unis au cours des six dernières années au détriment de la Chine. Plus précisément, le total des importations américaines d’acier et d’aluminium en provenance de pays exemptés a augmenté en valeur de 51 % en 2018 à 57 % en 2024, avec un déclin correspondant de 44 % à 36 % pour la Chine et ses alliés – soit une variation nette de +14 % (voir le tableau 3)9.

Tableau 3 : Les pays alliés ont accru leur part de marché aux États-Unis au détriment de la Chine

Sources : U.S. International Trade Commission, Leadership avisé RBC

3. Malgré toutes les discussions sur la Chine, le Canada est devenu la cible numéro un

D’un point de vue fondamental de marché, les exportations canadiennes d’acier et d’aluminium vers les États-Unis ont augmenté de 35 % depuis 2018 pour s’établir à 17,7 milliards de dollars américains. Ce rythme de croissance est supérieur à la moyenne mondiale, les dernières années dépassant de loin les taux de croissance historiques du Canada. Par conséquent, l’excédent commercial d’acier et d’aluminium du Canada par rapport aux États-Unis a plus que doublé par rapport à 2018, passant à plus de 9 milliards de dollars américains l’an dernier10.

Cependant, le Mexique et le Vietnam ont tous deux augmenté leurs exportations au cours de la même période, tant en valeur absolue (11,8 milliards de dollars et 4,9 milliards de dollars, respectivement) que sur une base relative (+62 % et +410 %)11. Le bond des volumes vietnamiens pourrait être particulièrement inquiétant pour l’administration américaine et justifier une hausse des tarifs. Cependant, la nature réciproque des guerres commerciales s’est traduite par le fait que le Canada est souvent ciblé – peut-être au-delà des réalités fondamentales du marché.

Enfin, en ce qui concerne le Canada, les États-Unis sont également préoccupés par la forte présence du groupe luxembourgeois ArcelorMittal au Canada, cette société produisant probablement la moitié de l’acier canadien. La société a également établi un partenariat stratégique avec China Oriental Group et détient 37 % des actions de la société.

4. Il sera difficile d’obtenir des exemptions pour le Canada

Bien qu’il existe encore une chance pour que Trump accorde un sursis au Canada, ce dénouement demeure peu probable.

Tout d’abord, le durcissement de la position canadienne, faisant état de droits de douane réciproques, crée un climat de négociation plus difficile. Deuxièmement, il est peu probable que les grandes sociétés américaines se battent pour le Canada, étant donné que les droits de douane sont imposés à des secteurs spécifiques et qu’ils sont moins perturbateurs pour l’économie, relativement aux droits de douane généraux.

Enfin, nous avons eu une expérience comparable par le passé : ce n’est qu’après la signature de l’AEUMC en mai 2019 que les droits de douane imposés au Canada en vertu de l’article 232 ont été levés, soit quatorze mois après leur entrée en vigueur.

Bien que les produits canadiens puissent encore obtenir une exemption s’ils sont considérés comme irremplaçables, ce scénario est difficile à envisager au vu des données disponibles. Dans le domaine de l’acier, les États-Unis ne dépendent des importations nettes qu’à hauteur de 13 %. De plus, l’utilisation finale de l’acier canadien à l’échelle nationale est répartie entre divers secteurs : manufacture générale (40 %), automobile (20 %), pétrole et gaz (15 %) et construction générale (10 %)12. Il est peu probable que l’acier canadien soit utilisé aux États-Unis à des fins stratégiques qui en feraient un produit difficile à remplacer. L’aluminium canadien pourrait avoir plus de chance, étant donné que le Canada représente 75 % des importations américaines d’aluminium primaire13.

5. Les chances de réussite dépendent des concessions qui seront faites

Le temps presse maintenant pour le Canada et pour les autres partenaires commerciaux des États-Unis. Au cours des trois prochaines semaines, soit jusqu’au 2 avril, l’administration Trump cherchera à obtenir des concessions avant l’entrée en vigueur des droits de douane réciproques et l’expiration des droits de douane généraux de 25 % à l’encontre du Canada et du Mexique.

Dans le passé, la Corée du Sud a « volontairement » limité ses exportations au moyen d’un mécanisme de quotas, ce qui lui a permis de bénéficier d’exclusions relativement à l’acier et à l’aluminium en vertu de l’article 232. Le Japon a entamé des négociations commerciales bilatérales pour éviter des droits de douane potentiels sur l’automobile. Le Canada et le Mexique ont tenu bon jusqu’à la signature de l’AEUMC au milieu de 2019. Le succès futur repose sur les concessions qui seront accordées aux États-Unis.

Un signe peut-être encourageant est que le Canada s’apprête à changer de premier ministre, que le pouvoir passe aux mains du libéral Mark Carney ou du conservateur Pierre Poilievre. Ces deux candidats représentent une occasion de réinitialiser la relation personnelle avec le président américain. Le changement de gouvernement pourrait aussi faciliter la renégociation de l’AEUMC en suivant un plan similaire, et apaiser les tensions avec une administration Trump de plus en plus belliciste (et imprévisible).

  1. U.S. International Trade Commission (DataWeb), U.S. Federal Register
  2. U.S. Geological Survey Mineral Commodity Summaries 2025
  3. European Steel Association (Eurofer), OECD, U.S. Geological Survey
  4. U.S. Geological Survey Mineral Commodity Summaries 2025
  5. U.S. International Trade Commission (DataWeb)
  6. Innovation, Science and Economic Development Canada, UN Comtrade
  7. U.S. International Trade Commission (DataWeb)
  8. Innovation, Science and Economic Development Canada, UN Comtrade
  9. U.S. International Trade Commission (DataWeb)
  10. Ibid
  11. Ibid
  12. Statistics Canada, Symmetric input-output tables
  13. Aluminum Association of Canada

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