Emplois en environnement est le dernier bulletin la série sur le climat des groupes Services économiques et Leadership avisé de RBC. Il fait suite au rapport phare que l’équipe a publié en octobre 2021, Une transition à 2 billions de dollars. Cette série sur le climat vise à informer et à donner des idées pour assurer la prospérité du Canada ; elle appuie également l’engagement de RBC à défendre des solutions climatiques intelligentes, un pilier clé de la Stratégie climatique RBC. .

Principales Constatations

Au Canada, 3,1 millions d’emplois, soit 15 % de la main-d’œuvre, seront perturbés au cours des dix prochaines années, tandis que le pays transitionne vers une économie zéro émission nette.

L’adaptation de l’effectif touchera huit des dix principaux secteurs économiques.

Les secteurs canadiens du transport, de l’énergie et de la fabrication seront les premiers à connaître des changements majeurs, puisque 46 % des nouveaux emplois dans les ressources naturelles et l’agriculture et 40 % des nouveaux emplois dans le secteur des métiers, du transport et de la machinerie nécessiteront un rehaussement des aptitudes.

Les changements initiaux affecteront davantage les emplois hautement rémunérés et hautement qualifiés. Dans l’ingénierie, l’architecture, les services publics et la fabrication, plus de la moitié des tâches des équipes de direction ont déjà changé en raison de la transition climatique, soit cinq fois plus qu’en moyenne pour les gestionnaires.

Pour les travailleurs, le rehaussement des aptitudes pourrait également offrir des occasions importantes. Entre 235 000 et 400 000 emplois seront créés dans des domaines où des aptitudes plus pointues seront essentielles.

Grâce à un effectif du secteur zéro émission nette hautement qualifié, le Canada pourrait devenir une destination de choix pour les investissements verts, en tirant parti des avantages existants, notamment de l’accord de libre-échange avec les États-Unis et le Mexique et des importants gisements de ressources naturelles essentielles aux technologies propres.

La transition à 2 billions de dollars vers un Canada à zéro émission nette doit s’appuyer sur une stratégie rigoureuse en matière d’aptitudes, surtout lorsque d’autres pays se disputent les investissements.


Pourquoi les aptitudes sont-elles la clé de la croissance économique verte ?

Le Canada est au bord d’une crise générationnelle des aptitudes. En tant que pays, nous avons fixé des cibles climatiques qui figurent parmi les plus ambitieuses au monde, dans le but d’atteindre le niveau zéro émission nette d’ici 2050. Ces efforts créent une foule d’occasions pour le Canada, au chapitre de l’innovation, des nouveaux investissements verts et de la croissance économique.

Cependant, aucun objectif ne pourra être atteint sans les gens. Notre parcours vers la carboneutralité repose sur la mobilisation à grande échelle de capital financier, mais aussi, et surtout, de capital humain. D’après nos recherches, 3,1 millions d’emplois au Canada changeront d’une façon ou d’une autre au cours de la prochaine décennie en raison de la transition climatique. Les travailleurs du secteur de l’énergie traditionnelle devront être réorientés vers d’autres segments en croissance au fur et à mesure de cette évolution. Cependant, comme le montrent nos recherches, un changement tout aussi important et généralisé des aptitudes requises est déjà en cours dans d’autres volets de l’économie.

Ballard Power Systems, une société de Vancouver à l’avant-garde de la transition énergétique, aura besoin d’ingénieurs formés à la technologie en évolution rapide des piles à hydrogène. Comme d’autres géants industriels bien établis, Algoma Steel de Sault Ste. Marie devra recruter et recycler des travailleurs, tandis qu’elle réorganise ses activités pour passer à l’hydroélectricité. Samuel, Son & Co. d’Oakville, l’un des plus importants transformateurs de métaux en Amérique du Nord, et d’autres entreprises qui opèrent un virage vers l’automatisation, la robotique et des formes de fabrication novatrices, rechercheront de plus en plus d’ingénieurs, et de personnes possédant des aptitudes hybrides et ayant reçu une formation dans de nouvelles disciplines comme la mécatronique (intégration des génies mécanique, électronique et électrique), dans le but d’accroître l’efficacité des chaînes logistiques. Et dans presque tous les secteurs d’activité, les entreprises canadiennes auront besoin de personnes de métiers plus traditionnels : métallurgistes, soudeurs, machinistes et autres professions déjà en manque criant d’effectif.

Pour sortir gagnant, le Canada doit se doter d’une stratégie évolutive et d’une main-d’œuvre suffisamment agile pour suivre les bouleversements technologiques et opérationnels qui favorisent la transition climatique. Nous aurons besoin de nouveaux modèles de collaboration entre les entreprises, le gouvernement et les établissements d’enseignement postsecondaire. Les entreprises qui stimulent l’innovation de pointe devront jouer un plus grand rôle dans l’apprentissage et la formation intégrés au travail. Les travailleurs et les étudiants devront être disposés à apprendre constamment. Il faudra en outre s’attaquer aux problèmes chroniques, notamment aux goulots d’étranglement qui nuisent depuis longtemps à notre pipeline de personnes de métier qualifiées ainsi qu’à l’incapacité de tirer parti des bassins sous-utilisés de talents tels que les femmes, les immigrants et les jeunes Autochtones.

Les aptitudes doivent être au cœur de toute stratégie visant à atteindre la nouvelle cible du Canada, qui consiste à réduire les émissions d’au moins 40 % d’ici 2030. Jusqu’à présent, nos discussions se sont limitées en grande partie au débat sur la réglementation et la technologie.

Dans le présent rapport, nous examinons les transformations qui sont déjà en cours au sein de la population active du Canada tandis que le pays progresse vers une économie zéro émission nette. Nous faisons état des secteurs et des professions qui subissent les plus grandes perturbations, des nouvelles aptitudes requises par certaines professions et de l’avantage concurrentiel que procurera un effectif vert. Le défi à venir est considérable, mais les travailleurs comme les employeurs ont beaucoup à gagner : jusqu’à 400 000 emplois seront créés dans des domaines qui exigeront des aptitudes rehaussées. L’importance de ces aptitudes vertes ne doit pas être sous-estimée, car c’est le seul moyen d’atteindre l’objectif zéro émission nette.

1. Nouvelles compétences dans les entreprises écologiques (« emplois nécessitant des compétences améliorées »)
Travailleurs qui doivent acquérir de nouvelles compétences pour œuvrer dans des entreprises concevant des technologies qui contribueront à accélérer la transition vers une économie carboneutre.
Défi: Apprentissage en cours d’emploi et intégré au travail de technologies exclusives
Exemple: Ingénieurs spécialisés en piles à combustible

2. Compétences existantes dans les entreprises écologiques (non incluses directement dans notre analyse)
Canadiens travaillant pour des entreprises qui facilitent la transition, mais exerçant des fonctions qui sont pour la plupart à l’abri des changements de compétences et de tâches.
Défi: Attirer les talents vers de nouveaux secteurs pour les aider à prendre de l’ampleur
Exemple: Ressources humaines chez un fabricant de panneaux solaires

3. Augmentation de la demande de compétences existantes (« demande accrue »)
Travailleurs possédant déjà les compétences requises pour de nouvelles tâches et dont le besoin de formation supplémentaire est limité. Il faudra toutefois plus de travailleurs dans ces domaines.
Défi: Encourager un plus grand nombre de Canadiens à choisir ces domaines
Exemple: Électriciens améliorant le service aux bâtiments partout au pays en fonction du chauffage à l’électricité et des appareils et véhicules électriques

4. Nouvelles compétences pour les emplois existants (« emplois nécessitant des compétences améliorées »)
Travailleurs dont l’emploi change, même en l’absence de changements dans leur industrie ou chez leur employeur.
Défi: Mise à niveau des compétences des travailleurs existants au fur et à mesure que leur emploi change
Exemple: Soudeurs assemblant acier et aluminium pour construire des véhicules électriques

 


Analyse du défi des aptitudes vertes

La pandémie a ébranlé la main-d’œuvre canadienne, retardant les départs à la retraite, suscitant une vague de changements d’emploi et attirant l’attention sur les goulots d’étranglement de longue date dans le pipeline des personnes de métier qualifiées. Le niveau d’emploi est supérieur à ce qu’il était avant la pandémie et les conditions tendues dans certains secteurs ont fait grimper le nombre de postes vacants à un record de près d’un million. La pénurie de personnes de métier qualifiées, essentielles aux secteurs de la fabrication, de la construction et autres, risque de s’aggraver dans les cinq prochaines années, selon notre recherche.

Or, si nous n’intégrons pas un nombre suffisant de Canadiens possédant les aptitudes vertes recherchées dans la population active, notre potentiel de croissance risque d’en souffrir. Dès 2025, le pays pourrait se trouver à court d’environ 27 000 travailleurs en environnement, une catégorie qui englobe les emplois dans des entreprises vertes ou exerçant des activités vertes1. Ce manque à gagner sera plus marqué dans certains secteurs. Par exemple, il manquera environ 7 500 cadres supérieurs et de 7 300 ingénieurs et chercheurs en science physique, alors que la demande pour ces compétences montera en flèche. Par ailleurs, à mesure que l’électricité propre gagnera en importance en tant que source d’énergie clé, les travailleurs possédant des compétences en électricité seront très recherchés. Dans l’ensemble, d’ici 2030, on prévoit la création de 98 000 postes pour lesquels les aptitudes ne changeront pas, mais dont la demande grimpera à la faveur de la transition climatique.

Or, si nous n’intégrons pas un nombre suffisant de Canadiens possédant les aptitudes vertes recherchées dans la population active, notre potentiel de croissance risque d’en souffrir. Dès 2025, le pays pourrait se trouver à court d’environ 27 000 travailleurs en environnement, une catégorie qui englobe les emplois dans des entreprises vertes ou exerçant des activités vertes1 . Ce manque à gagner sera plus marqué dans certains secteurs. Par exemple, il manquera environ 7 500 cadres supérieurs et de 7 300 ingénieurs et chercheurs en science physique, alors que la demande pour ces compétences montera en flèche. Par ailleurs, à mesure que l’électricité propre gagnera en importance en tant que source d’énergie clé, les travailleurs possédant des compétences en électricité seront très recherchés. Dans l’ensemble, d’ici 2030, on prévoit la création de 98 000 postes pour lesquels les aptitudes ne changeront pas, mais dont la demande grimpera à la faveur de la transition climatique.

Au-delà de la pénurie grandissante de main-d’œuvre, la transition vers une économie zéro émission nette exigera un recyclage et un rehaussement des aptitudes existantes. Les comptables devront auditer les relevés d’émissions en plus des états financiers, et les urbanistes devront tenir compte d’inondations et d’incendies de forêt plus fréquents. Le changement qui s’opère dans de nombreux groupes professionnels est peut-être globalement modeste, mais pour certains emplois, de 25 % à 30 % des tâches, en moyenne, sont déjà en train de changer.

Ce sont aussi les postes qui devraient connaître la plus forte croissance. D’ici 2030, environ 13 % des emplois créés, soit 235 000, viseront des professions dont les descriptions sont en train de changer en raison de la transition vers la carboneutralité. Cette part pourrait monter jusqu’à 20 %, ou 400 000, si la croissance du transport et de l’industrie propres suit les tendances attendues par Clean Energy Canada, un groupe de réflexion de Vancouver2 . Une croissance encore plus rapide des aptitudes vertes dans les secteurs de la construction et des métiers spécialisés est possible si le Canada rattrape son retard en matière d’investissement et injecte 60 milliards de dollars supplémentaires par année, montant nécessaire pour atteindre nos objectifs climatiques, en commençant par d’importants projets de capture de carbone et d’infrastructures vertes.

Certaines professions voient déjà une réorientation considérable des aptitudes

Part des nouvelles tâches vertes, en % des tâches tasks

Sources : Services économiques RBC, O’NET, BLS, EDSC.

Répartition des emplois : Tâches existantes et tâches écologiques


Comment le climat perturbe les chaînes logistiques et la main-d’œuvre

L’accélération de la demande de technologies vertes est principalement attribuable au transport. Les premières mesures prises par le gouvernement pour lutter contre les changements climatiques visaient principalement à encourager l’adoption et la production de véhicules électriques. Ceux-ci ne sont toutefois pas assujettis aux mêmes exigences que les véhicules à essence. D’une part, ils nécessitent des matériaux plus légers et plus résistants pour gagner en efficacité. D’autre part, les constructeurs automobiles qui s’attachent de plus en plus à réduire les émissions de leurs chaînes logistiques et de leur production exigent les intrants les plus propres possible. À elle seule, cette demande de l’un des secteurs les plus importants de l’Amérique du Nord impulse les transformations opérationnelles et le recyclage des aptitudes dans l’ensemble du réseau d’approvisionnement. Les mesures prises pour lutter contre les changements climatiques modifient non seulement ce que nous faisons, mais aussi nos façons de faire.

Dans certains cas, les travailleurs qui connaîtront les plus grands bouleversements seront ceux qui orchestrent la transition. Plus de la moitié des tâches des gestionnaires spécialisés qui planifient de nouveaux processus de production dans les domaines de l’ingénierie, de l’architecture, des services publics et de la fabrication ont déjà changé. Certains de ces changements ne nécessiteront pas de recyclage important, mais ce n’est pas le cas pour tous.

L’un des plus grands défis d’Algoma Steel à l’heure actuelle est la gestion du changement. Pour décarboniser son acier – et accaparer une plus grande part d’un marché automobile dont le virage vert s’accélère – Algoma investira 700 millions de dollars dans l’électrification de ses processus. La fabrication de l’acier dans des fours électriques à arc, qui utilisent des arcs à haute intensité pour transformer la ferraille en acier liquide, remplacera la méthode d’oxygénation de base alimentée au charbon dans le cadre d’une transition qui devrait s’étaler sur une décennie et réduire les émissions de 70 %. Malgré l’ampleur de ce changement opérationnel, la plupart des descriptions de postes ne changeront pas et d’autres changeront plus tard. Les travailleurs qui manipulent de l’acier chaud, par exemple, continueront de le faire, peu importe le processus de production. Par contre, ceux qui se spécialisent dans la méthode de l’arc électrique, et assurent l’approvisionnement en ferraille et la gestion d’un approvisionnement en électricité beaucoup plus important, devront se perfectionner à mesure que leur rôle prendra de l’importance.


« Les constructeurs automobiles recherchent un partenaire d’affaires qui peut les soutenir tout au long du cycle. Étant donné que la teneur en carbone et le prix du carbone influent sur la chaîne logistique, ils veulent un partenaire capable d’en tenir compte. »

– Michael McQuade, chef de la direction, Algoma Steel

 

Algoma Steel
L’aciérie traditionnelle figure parmi les secteurs qui produisent le plus d’émissions de carbone, soit 8 % du total mondial. Estimant que le coût du carbone incitera un grand nombre d’acteurs à chercher des solutions de rechange, Algoma Steel a lancé un projet de 700 millions de dollars afin de basculer la totalité de sa production d’acier dans des fours électriques à arc, qui font fondre et recyclent la ferraille. Cette mesure réduira les émissions de 70 %, car l’hydroélectricité remplacera le charbon à coke comme principale source d’énergie.

Algoma devra réaffecter les travailleurs des hauts fourneaux aux fours électriques à arc. Les employés visés devront donc se recycler, mais une bonne partie de leurs aptitudes resteront pertinentes et applicables à leurs nouvelles responsabilités. L’entreprise prévoit que les changements les plus importants toucheront les fonctions administratives et l’encadrement. Les responsables de l’approvisionnement connaissent les marchés de la ferraille, mais la quantité nécessaire augmentera de manière substantielle, tout comme l’importance de la pureté de cette ferraille. Par ailleurs, comme sa consommation d’électricité doublera, pour s’établir à 300 mégawatts, soit la production d’une centrale au gaz naturel de taille moyenne, l’entreprise devra renforcer l’équipe chargée des installations à haute tension.

Algoma s’attend à ce que l’automatisation et la technologie représentent le principal défi en matière d’adaptation des aptitudes.


« Les compétences des prochaines générations d’ouvriers de la sidérurgie seront radicalement différentes et comprendront un volet technologique. Dans notre milieu, il pourra s’agir aussi bien de robotique que d’intelligence artificielle. »

– Michael McQuade, chef de la direction, Algoma Steel

 

 

Plus en aval dans la chaîne de valeur, l’aluminium devient le métal privilégié pour les véhicules électriques, en raison de sa légèreté. Cela complique la fabrication de ces véhicules puisque les soudeurs ont besoin de compétences particulières pour souder plusieurs types de métaux ensemble. Comme l’a révélé notre recherche précédente, ce métier fait déjà l’objet de graves pénuries. Cependant, l’innovation technologique, y compris celle dictée par la transition verte, modifie aussi les tâches des soudeurs. C’est aussi le cas pour les mécaniciens industriels et pour de nombreuses autres professions qui nécessitent des compétences techniques pointues. Selon nos recherches, environ 40 % des nouveaux emplois dans les métiers spécialisés, le transport et la machinerie auront besoin d’aptitudes rehaussées. Le fabricant de pièces automobiles Martinrea International, établi à Vaughan, a réagi en offrant davantage de formation à ses employés, qui sont responsables de la majeure partie de ses innovations, tout en incitant les établissements d’enseignement postsecondaire à proposer des programmes pour les aptitudes de base.


« Nous recherchons des gens formés en mécatronique et en robotique, ainsi que des ingénieurs en matériaux. Après leur embauche, nous ne leur faisons pas suivre des formations à l’extérieur, mais dans nos installations. »

– Rob Wildeboer, président exécutif et cofondateur, Martinrea International

 

Il faut s’attendre à des bouleversements encore plus profonds : l’intérêt pour la durabilité attire l’attention sur de nouveaux modes de fabrication axés sur des chaînes logistiques allégées et la réduction des déchets. Le marché de la fabrication dite « additive », qui utilise l’impression 3D, devrait tripler pour atteindre 37 milliards de dollars américains d’ici 2026. Pour Samuel, Son & Co., un chef de file de ce domaine en Amérique du Nord, sa croissance dépendra de la capacité des ingénieurs à réinventer la fabrication de pièces métalliques destinées à l’aérospatiale et à d’autres applications techniques de pointe. Près de 30 % des tâches des ingénieurs évoluent de façon plus générale, dans des secteurs comme l’aérospatiale, le transport, l’exploitation minière et la planification municipale.


« Nous recrutons maintenant directement auprès des universités des diplômés qui n’ont pas trop d’idées préconçues sur la fabrication et la conception… afin qu’ils s’appuient d’abord sur les principes fondamentaux. »

– Colin Osborne, chef de la direction, Samuel, Son & Co.

 

Samuel, Sons & Co
Les constructeurs automobiles privilégient de plus en plus des matériaux différents, tels que les flans en aluminium légers, essentiels à la conception des véhicules électriques. Ils ont donc été obligés de former le personnel de leurs usines. Cependant, l’un des plus grands défis auxquels sont confrontés les constructeurs est de fidéliser des talents dans un contexte marqué par un manque de main-d’œuvre, voire, dans certains cas, l’absence totale de candidats. Samuel, Son & Co., a même pris des mesures extrêmes pour se doter en personnel, en allant jusqu’à déplacer des machines entre ses 100 usines afin de les installer là où se trouvent les talents. La disponibilité de la main-d’œuvre est désormais un critère décisif dans le choix de l’emplacement des nouvelles usines.

Les aptitudes recherchées en deviendront probablement un autre. Le marché mondial de la fabrication additive, dans lequel l’impression 3D pourrait raccourcir les chaînes logistiques et améliorer leur durabilité, devrait doubler pour atteindre 37 milliards de dollars américains en 2026. Étant donné que les innovations dans ce secteur émergent sont presque toutes introduites par les entreprises elles-mêmes, une grande partie des aptitudes clés nécessaires aux ingénieurs dans ce domaine sont enseignées par les employeurs. Samuel investit massivement dans la formation des jeunes diplômés afin qu’ils se familiarisent avec ce nouveau procédé.


« Il y a trois ans, je pouvais recevoir dix candidatures pour une offre d’emploi. Je gardais les trois meilleurs soudeurs et tout allait bien. Aujourd’hui, c’est sans espoir, je ne trouverai personne. »

– Colin Osborne, chef de la direction de Samuel Steel

 

 


Pourquoi les employeurs doivent-ils prendre les devants ?

Le défi des aptitudes qui sous-tend la transition vers la carboneutralité s’accompagne de l’incertitude entourant le rythme et la direction des transformations technologiques et l’orientation des politiques publiques. De façon plus générale, on ne sait toujours pas à quelle vitesse les travailleurs canadiens devront acquérir de nouvelles aptitudes. Cela dépendra largement des technologies émergentes qui seront adoptées ou qui se répandront, alors que d’autres seront vite oubliées. La politique gouvernementale influencera cette course. Une chose reste toutefois claire : à mesure que les politiques et les technologies évolueront, les travailleurs canadiens devront faire preuve d’adaptation. Ils devront être prêts à sans cesse apprendre et rehausser leurs aptitudes, et les employeurs joueront un rôle essentiel dans leur formation.

Les plus grandes métamorphoses surviendront à mesure que la part de l’électricité augmentera dans le secteur de l’énergie et que l’hydrogène et d’autres solutions se généraliseront. Comme c’est le cas pour le secteur énergétique actuel, les éléments d’un système plus propre varieront en fonction de l’emplacement : par exemple, les centrales solaires et éoliennes seront construites là où le soleil et le vent sont le plus présents. Par conséquent, les travailleurs canadiens devront être mobiles. Pour faciliter cette mobilité, les provinces devront supprimer les obstacles, y compris ceux qui empêchent la reconnaissance des titres professionnels

Simplifier la transition pour les travailleurs du secteur de l’énergie3

En ce qui concerne la main-d’œuvre, peu de secteurs seront transformés plus profondément par les changements climatiques que celui de l’énergie.

La transition sera inégale : bien que tous les signes indiquent une croissance rapide de l’électricité, les perspectives pour le pétrole et le gaz sont moins claires. À l’échelle nationale, l’utilisation des combustibles fossiles diminuera à mesure que nous passerons aux véhicules électriques et aux pompes à chaleur, mais la demande mondiale pourrait fléchir plus lentement. Par ailleurs, de nouvelles technologies comme la capture de carbone pourraient nous permettre de continuer à utiliser le pétrole et le gaz pendant un certain temps sans endommager l’atmosphère.

Ces avancées pourraient atténuer l’impact sur les travailleurs et réduire l’urgence d’un plan de transition de l’effectif. Nous ne pouvons cependant pas attendre éternellement : une stratégie qui ne parvient pas à anticiper les changements et à préparer les travailleurs des secteurs les plus touchés risque d’éroder le soutien aux mesures globales de lutte contre les changements climatiques. De plus, si les politiques faisaient grimper le taux de chômage parmi les quelque 80 000 travailleurs du secteur pétrolier et gazier, les économies locales qu’ils soutiennent se replieraient, augmentant ainsi les tensions régionales.

Nous avons un peu de temps pour élaborer une stratégie, car la demande de combustibles fossiles demeurera robuste à court terme. Nous avons aussi des options : une étude récente du Conference Board a révélé qu’il existe de nombreuses voies de transition entre les secteurs perturbés et ceux en croissance. Après une année de recyclage, la plupart des travailleurs peuvent occuper de nouveaux postes sans grandes répercussions sur leur salaire. Cependant, la transition sera plus difficile pour certains travailleurs des secteurs minier, pétrolier et gazier : l’importante formation de recyclage dont ils ont besoin coûte plus de 150 000 $. Si la plupart de ces personnes devaient changer d’emploi, il faudra une stratégie pour couvrir ces coûts.

Pour l’instant, le Canada en est à la phase de planification ; il étudie différents scénarios de transition, et essaie de déterminer où réorienter les travailleurs touchés et comment financer la formation. Lorsque l’avenir du secteur canadien de l’énergie sera plus clair, nous devrons passer à l’action. Jeter les bases de cette transformation et aider ceux qui souhaitent commencer à se recycler atténuera les obstacles sur la voie de la transition.

Certaines grandes entreprises auront les moyens de concevoir leurs propres programmes de formation. Ballard, par exemple, a nommé un chef de l’apprentissage et la société cherche des façons d’utiliser les médias sociaux, comme LinkedIn, pour rehausser les aptitudes de ses employés. En revanche, les petites entreprises canadiennes auront besoin de soutien pour investir dans leur personnel.

La formation en cours d’emploi jouera un rôle de plus en plus important pour les jeunes travailleurs, compte tenu du rythme effréné de l’innovation technologique. Les entreprises mettront au point des technologies et des processus privatifs afin de réduire leurs émissions, allant de la pile à hydrogène à la fabrication additive. Par conséquent, les entreprises devront d’abord embaucher des personnes dotées de compétences de base et investir ensuite massivement pour leur inculquer les aptitudes nécessaires à leurs activités.

Toutefois, le fait de miser essentiellement sur la formation propre aux employeurs présente aussi des inconvénients. Trouver le bon électricien relèvera du défi si l’installation de chaque type de panneaux solaires exige des aptitudes légèrement différentes, ce qui entraînera d’importantes inefficiences. Les organismes sectoriels, les entreprises et les universités devront travailler de concert pour uniformiser la formation sur les technologies les plus couramment utilisées ; de leur côté, les entreprises devront standardiser les technologies autant que possible.

Ces groupes devront également élaborer des programmes pour la création de nouveaux titres professionnels hybrides : par exemple, des couvreurs ayant un savoir-faire en électricité suffisant pour installer des panneaux solaires ou des électriciens domestiques capables de mettre en place des bornes de recharge de véhicules électriques. Ressources humaines, industrie électrique du Canada, un organisme sans but lucratif établi à Ottawa, a pour mission de répondre aux besoins en matière de main-d’œuvre au sein du secteur. Il établit des normes professionnelles au niveau national pour ces aptitudes, et souhaite la création de programmes de microcertification dans les établissements d’enseignement postsecondaire. Un tel système permettrait de combiner plusieurs types de compétences et de produire d’un ensemble d’aptitudes adapté à l’économie zéro émission nette.

Tout cela exigera de redoubler d’efforts et d’investir davantage. Le Canada a suivi ses pairs en se dotant d’objectifs climatiques ambitieux et en finançant des projets écologiques comme la transformation d’Algoma et des initiatives destinées à accélérer la capture de carbone. Mais jusqu’à présent, le perfectionnement des aptitudes n’a pas été considéré comme un pilier de notre stratégie de transition climatique. À titre de comparaison, le Royaume-Uni a intégré la réorganisation du marché de l’emploi et le rehaussement des aptitudes dans son plan en dix points et dans sa stratégie zéro émission nette. Le pays s’est ainsi fixé pour objectif ambitieux de créer deux millions d’emplois verts d’ici 2030.


« Selon les prévisions dont j’ai connaissance, il faudra doubler voire tripler nos capacités de production. Aussi, je pense que la taille de notre main-d’œuvre sera probablement multipliée par deux ou deux et demi d’ici 2030. Nous n’avons pas le choix, car nous devons continuer à construire.»

– Mark Chapeskie, vice-président, Élaboration des programmes, Ressources humaines, industrie électrique du Canada

 

Le rôle des établissements d’enseignement postsecondaire

Pour les travailleurs de la nouvelle économie, l’apprentissage ne finira pas une fois sortis de l’école.

Les aptitudes professionnelles évolueront aussi rapidement que les technologies permettant de réduire les émissions. Aussi, les établissements d’enseignement postsecondaire ne devront pas se contenter d’enseigner des compétences non techniques, ils devront inculquer aux étudiants la capacité d’apprendre tout au long de leur carrière.

Au Southern Alberta Institute of Technology (SAIT), des étudiants dans des domaines de fabrication de pointe participent à des marathons de programmation pour acquérir ce type d’aptitude. Ils les mettent ensuite en pratique lors de cours de synthèse durant lesquels ils travaillent avec des clients du secteur sur des problèmes concrets.

Par ailleurs, les écoles manquent de moyens financiers pour moderniser constamment leurs installations et suivre les progrès technologiques. Elles devront donc nouer des partenariats étroits et dynamiques avec des entreprises du secteur privé, en particulier celles qui sont à la pointe de l’innovation. Dans cette optique, l’Université Simon Fraser a mis sur pied un laboratoire en collaboration avec la société Ballard.

On demande de plus en plus souvent aux comptables d’évaluer la crédibilité des plans d’action sur le climat des entreprises en plus d’auditer les états financiers. Par conséquent, les comptables agréés devront acquérir une compréhension approfondie des changements climatiques. Les professionnels de la formation devront élaborer de façon proactive des programmes qui reflètent l’importance croissante des enjeux climatiques pour les entreprises et pour la société.


Sept recommandations pour une stratégie sur les aptitudes du secteur zéro émission nette

Mettre les aptitudes au cœur de la stratégie zéro émission nette du Canada. Pour y parvenir, Ottawa et les provinces devront créer un groupe d’experts qui se penchera sur le financement, l’attestation des aptitudes et la mobilité de la main-d’œuvre.

Cerner les retards et les atouts du Canada en matière d’aptitudes environnementales. À cette fin, Emploi et Développement social Canada devra recueillir, analyser et publier des données sur les changements dans les aptitudes requises et la situation de l’emploi dans une économie carboneutre. À l’heure actuelle, le Canada est devancé par d’autres pays, tels que la France, qui se sont dotés d’observatoires pour suivre les transitions professionnelles. Disposer de données fiables sur l’évolution de notre main-d’œuvre au cours des prochaines décennies s’avère indispensable pour définir une politique de l’emploi pertinente.

Prévoir une ligne au prochain budget pour financer l’élaboration d’une stratégie proactive de recyclage des travailleurs des secteurs actuellement touchés par le changement climatique. Il sera indispensable de faciliter le transfert d’aptitudes entre les métiers et les professions touchés par la transition. La stratégie devra encourager la mobilité de la main-d’œuvre. Les organismes de réglementation doivent collaborer en vue de supprimer les obstacles à la mobilité intraprovinciale de la main-d’œuvre et, ainsi, de faciliter les transitions.

Soutenir les petites et moyennes entreprises pour créer les emplois verts de demain. Les grandes entreprises possèdent généralement les ressources nécessaires à la mise en œuvre de stratégies sur les aptitudes. Par contre, les petites entreprises et les entreprises en démarrage, qui contribuent elles aussi à la transition vers zéro émission nette, auront besoin d’être soutenues. Les organismes gouvernementaux qui travaillent directement avec les petites entreprises, comme la Banque de développement du Canada, peuvent contribuer efficacement à l’élaboration et au financement des stratégies de transition. L’aide du gouvernement peut prendre la forme de crédits d’impôt fédéraux et de subventions provinciales destinées aux petites entreprises qui souhaitent rehausser les aptitudes de leur personnel et aux travailleurs autonomes qui ont besoin de se recycler.

Revoir les stratégies en matière d’immigration afin que le Canada attire, recrute et intègre de nouveaux arrivants ayant les aptitudes adaptées aux emplois verts. Les cibles d’immigration devraient être revues afin de prendre en compte les aptitudes qui sont nécessaires à la transition dès maintenant et plus tard. Des efforts supplémentaires devraient être consentis en matière de reconnaissance des diplômes afin que les immigrés intègrent plus rapidement le marché du travail.

Demander aux organismes provinciaux de réglementation du travail de collaborer pour uniformiser les exigences liées aux fonctions dans les secteurs qui devront attirer de la main-d’œuvre venue d’autres régions du pays ou du monde. Le Canada devra puiser dans de nouveaux bassins de talents tant au niveau national (notamment les femmes, les Autochtones et les jeunes) qu’à l’étranger (immigrants).

Proposer de nouvelles voies faciles d’accès vers les métiers verts et l’acquisition d’aptitudes environnementales grâce à l’apprentissage intégré au travail, et à des programmes de recyclage et de rehaussement des aptitudes. Les établissements d’enseignement postsecondaire et les employeurs devraient trouver de nouveaux modèles de collaboration en vue d’élaborer des programmes de qualité débouchant sur des emplois verts. Une attention particulière devrait être accordée aux petites et moyennes entreprises, aux Canadiens sous-représentés et aux personnes dont le mode de vie est le plus perturbé par les changements climatiques.

Contributeurs

  • Colin Guldimann, économiste
  • Naomi Powell, directrice de rédaction, Services économiques et Leadership avisé
  • Darren Chow, premier directeur, Médias numériques
  • Trinh Theresa Do, première directrice, Stratégie de leadership avisé
  • Jennifer Marron, productrice, Les innovateurs
  • Ben Richardson, associé, Recherche

 

Remerciements
En complément des noms déjà cités dans le présent rapport, nous remercions les personnes et les organismes suivants pour leurs contributions:

  • Nelson Leite, chef de l’exploitation, FuelPositive Clean Energy Solutions
  • Kim Olson, directeur général, EnviroTREC
  • Mark Kirby, président et chef de la direction, Association canadienne de l’hydrogène et des piles à combustible
  • Beth McMahon, directrice générale, Institut canadien des urbanistes
  • Gordon Beal, vice-président, Recherche, orientation et soutien, CPA Canada
  • Gord Forstner, président, Groupe Forstner Inc.
  • Jim Szautner, doyen, School of Manufacturing and Automation, SAIT
  • Alan McClelland, doyen, School of Transportation, Centennial College
  • Mehran Ahmadi, directeur général associé et conférencier, School of Sustainable Energy Engineering, Université Simon Fraser

 

Le présent article vise à offrir des renseignements généraux seulement et n’a pas pour objet de fournir des conseils juridiques ou financiers, ni d’autres conseils professionnels. Veuillez consulter un conseiller professionnel en ce qui concerne votre situation particulière. Les renseignements présentés sont réputés être factuels et à jour, mais nous ne garantissons pas leur exactitude et ils ne doivent pas être considérés comme une analyse exhaustive des sujets abordés. Les opinions exprimées reflètent le jugement des auteurs à la date de publication et peuvent changer. La Banque Royale du Canada et ses entités ne font pas la promotion, ni explicitement ni implicitement, des conseils, des avis, des renseignements, des produits ou des services de tiers.