Le décor de la 27e Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques avait de quoi surprendre.

Construite par les Israéliens dans les années 1970, à l’époque de l’occupation de la péninsule du Sinaï, la station balnéaire de Sharm El-Sheik est particulièrement prisée des touristes européens et arabes en quête de divertissements. Imaginez un semblant d’amphithéâtre romain, un parc d’attractions hollywoodien et des autoroutes à 10 voies qui sillonnent le désert. C’est là que 30 000 acteurs, défenseurs et militants du climat se sont entassés dans le Palais international des congrès Tonino Lamborghini, prêts à s’attaquer, et cela sans un soupçon d’ironie, à l’avenir de notre société de consommation.

Dès le départ, la COP27 s’annonçait comme une sorte de Truman Show des conférences sur le climat – une bulle ostentatoire, un récit en contradiction avec la réalité extérieure. Au centre de cette bulle, dans une « zone bleue » abritant des hangars d’inspiration militaire, les touristes du climat n’ont ménagé aucun effort pour attirer l’attention et présenter au monde leurs bonnes intentions. En fait, les enjeux de fond étaient trop importants. Et les perspectives de réussite, très incertaines.

En cette année de perturbations économiques, il s’agissait essentiellement de concilier les tensions croissantes entre la sécurité énergétique, la sécurité climatique et la sécurité économique. Voici quelques-unes de mes conclusions sur les réussites et les échecs.

1. La « COP de la mise en oeuvre » a besoin de renforts

La COP26 de Glasgow s’était distinguée par un projet ambitieux : les pays s’engageaient à réduire davantage leurs émissions d’ici 2030 pour assurer le respect des accords de Paris. Sharm El-Sheikh devait donc se consacrer aux plans de mise en oeuvre et à la concrétisation des engagements. Cinq dirigeants du G7 étaient présents : Emmanuel Macron (France), Olaf Scholz (Allemagne), Giorgia Meloni (Italie), Rishi Sunak (Grande-Bretagne) et Joe Biden (États-Unis).

Tous ont dû remarquer le panneau « Agissons » à l’entrée de la salle principale. L’Union européenne a rehaussé ses objectifs, ce qui est remarquable compte tenu de l’actuelle crise de l’énergie. L’Indonésie a emboîté le pas. Le Canada a souligné l’importance de ses mesures climatiques, depuis les projets de capture du carbone en Alberta jusqu’aux aciéries vertes en Ontario et aux usines de méthane de fumier au Québec.

Dans son discours d’ouverture, le président Biden a reconduit sa promesse de réduire, d’ici 2030, les émissions des États-Unis de 50 % par rapport aux niveaux de 2005, un élément clé de sa politique. Les entreprises ont elles aussi rehaussé leur engagement ; depuis 2019, le nombre de sociétés visant des objectifs fondés sur la science du climat a été multiplié par dix. Malgré tout, ces acteurs restent encore minoritaires. Sur 196 pays, seuls 29 sont venus en Égypte avec des plans d’intervention mis à jour.

2. La cible de 1,5 ne survivra peut-être pas longtemps

L’une des réalisations marquantes de Glasgow, l’objectif de 1,5 degré Celsius, a fixé le seuil qui doit être respecté par tous les acteurs pour limiter le réchauffement climatique, sans quoi les conséquences catastrophiques iront en s’accélérant. « Maintenir 1,5 en vie », tel était le mantra de Glasgow, car selon les spécialistes du climat de l’ONU, au-delà de cette limite, nous pouvons dire adieu aux récifs coralliens comme ceux qui jouxtent la plage de Sharm El-Sheik. Pour contenir les hausses de température, le monde doit réduire les émissions de GES d’environ 50 % au cours de la décennie.

Or, les émissions ont augmenté de 1 % l’an dernier (encore plus aux États-Unis) et sont en voie d’augmenter de 10 % pendant les dix prochaines années.

Dans la déclaration, on a maintenu l’objectif symbolique de 1,5 degré, mais en coulisses, le doute règne et on se demande si le monde ne devrait pas viser une cible plus réaliste, par exemple un niveau « largement inférieur à 2,0 degrés ».

3. Le charbon n’est pas mort

Glasgow a sonné le glas du charbon. Qu’il s’en passe des choses dans une année ! L’Allemagne consomme plus de charbon. La Chine et l’Inde aussi. Mais ce n’est pas inévitable.

Si la COP27 peut prétendre à un succès significatif, c’est grâce à la naissance du partenariat JET, curieusement nommé, qui désigne une « transition énergétique juste ». Ce partenariat entre les pays riches et les institutions financières est conçu pour aider les pays en développement à abandonner le charbon. Le partenariat JET a trouvé son premier partenaire en Afrique du Sud et, à la COP27, il a vite recruté l’Indonésie. Il s’agit d’aider le pays à atteindre son pic d’émissions liées au secteur de l’énergie d’ici 2030, pour atteindre la carboneutralité en 2050. Le Vietnam suivra peut-être bientôt.

Les coûts de l’opération sont énormes et risquent d’accabler les pays les plus pauvres sous une dette accrue ; sans compter leur passage probable du charbon au gaz naturel, un autre facteur de réchauffement.

Cet effort masque aussi les éléphants dans la pièce. La Chine consomme 50 % du charbon thermique mondial et l’Inde avoisine les 20 %. Ni l’une ni l’autre ne s’éloigne du charbon pour le moment.

En fait, l’Inde a influé sur les débats de la COP avec une solution dérangeante : elle se dit prête à quitter le charbon quand le reste du monde renoncera au pétrole et au gaz. Elle n’a pas trouvé beaucoup de preneurs. Les pays africains ont préconisé avec beaucoup d’ardeur un rôle accru du gaz, qu’ils considèrent comme une source d’énergie essentielle pour s’éloigner du charbon et du bois.

4. Une COP pour le pétrole ?

Sharm El-Sheikh s’est avéré être un sommet bénéfique pour l’industrie pétrolière. Il suffit de regarder dehors pendant le trajet en voiture depuis l’aéroport. Le long d’une route à 10 voies, financée par les Saoudiens et nommée d’après le roi Salman, les participants de la COP ont droit à une nouvelle manifestation de l’audace saoudienne.

Avec ses deux coupoles illuminées en vert, le Saudi Innovation Park, bâti sur une parcelle de désert à côté du centre de conférence, annonce clairement le désir d’affirmation du monde pétrolier, dirigé par l’OPEP.

Le secrétaire général de l’ONU António Guterres a ouvert la COP avec une métaphore inquiétante – « en route vers l’enfer climatique, le pied sur l’accélérateur » –. Il visait juste, mais son plan de communication devait vite s’essoufler. Les Saoudiens, qui partagent la mer Rouge avec l’Égypte, ont promis d’augmenter les niveaux actuels d’extraction et de produire du pétrole au-delà de 2100 . Les Émirats arabes unis, qui accueilleront la COP28 à Dubaï, ont décrit la région comme une contrée de « superhéros ».

Les Arabes soutiennent qu’ils développeront des technologies de captage et stockage de carbone (CSC) qui annuleront leurs émissions nettes. En effet, les Saoudiens prévoient ouvrir la plus grande installation de CSC au monde d’ici 2027 . Les écologistes se sont battus pour dévaloriser les technologies dites « de réduction de la pollution », pour éviter qu’elles n’accentuent la production de combustibles fossiles. Je prévois qu’un débat sur le thème « réduction contre rabaissement »définira les couleurs de la COP de Dubaï.

5. Perte pour les pays en développement et dommages pour l’ONU

En accueillant la COP27, l’Égypte voulait surtout gagner un appui mondial au concept des « pertes et dommages » – une formule simple qui consiste à subventionner les pays les plus touchés par les changements climatiques, ceux qui, justement, sont le moins en mesure de payer la facture.

Le Pakistan a été le porte-parole de la campagne égyptienne : Ce pays d’Asie du Sud, doté d’une diplomatie experte, a mobilisé toute sa présence à la COP en faveur d’un mécanisme de compensation, au moins partielle. Cette année, le pays a subi des dommages estimés à 30 milliards USD à la suite d’inondations causées par le réchauffement de la planète et la fonte des neiges.

Après des négociations acharnées, environ 200 pays ont convenu de créer un fonds de couverture « pertes et dommages » pour les nations souffrant du changement climatique.

6. L’Amérique est de retour sans la Chine

Une caractéristique importante s’est dégagée de la COP27 : Les ambitions climatiques des États-Unis. Revigoré par les élections de mi-mandat qui ont reconduit le Parti Démocrate à la tête du Sénat, Joe Biden a fait escale à Sharm El-Sheikh alors qu’il se rendait au Sommet du G20 à Bali, en Indonésie. Il avait décidé d’annoncer sa loi sur la réduction de l’inflation et les 370 milliards USD qui seront consacrés au climat.

Son administration se concentre sur cinq technologies clés : batteries, systèmes de chauffage et de refroidissement, réseaux électriques, carburant d’aviation et décarbonisation des industries chimiques, sidérurgiques et cimentaires. Il est clair que les États-Unis utiliseront plus souvent la carotte que le bâton pour réduire leurs émissions de 50 %, notamment s’ils comptent s’affirmer comme une superpuissance des technologies propres.

Il y a quelques années, la Chine convoitait le titre. Aujourd’hui, le régime Xi se trouve dans une relation hostile avec Washington, avec une démographie vieillissante et des fermetures de bureaux liées à la COVID-19. La Chine n’a pas abandonné ses éco-ambitions, car elle reste dominante sur les secteurs de l’éolien et du solaire, tout comme dans l’industrie des véhicules électriques. Mais Pékin n’est plus la championne qu’elle a été pendant le mandat du président Donald Trump, et elle n’est pas non plus à la tête d’un bloc de nations. Le reste du monde devra peut-être compter sur les États-Unis, plus que jamais. Pour le meilleur et pour le pire.

7. Où sont les fonds ?

On ne voit pas beaucoup d’économistes dans les COP, ce qui est particulièrement dommage quand on sait que l’économie conduit à des décisions au niveau politique. Et c’est encore plus vrai quand les budgets rétrécissent. La forte augmentation des taux d’intérêt cette année pose un fardeau discret sur les politiques climatiques, en particulier dans les pays en développement.

Mark Carney, l’ancien dirigeant de notre banque centrale, a de quoi se réjouir, puisqu’il a contribué au lancement de la Glasgow Financial Alliance for Net Zero à la COP26. L’alliance de M. Carney regroupe maintenant 550 établissements financiers qui gèrent des billions de dollars en actifs dans 50 pays. Il s’agit d’un vaste projet de mobilisation de capitaux pour l’objectif « zéro émission nette », mais qui s’est attiré des critiques de partout.

À la COP27, on a reproché à M. Carney d’avoir trop trop promis et trop peu donné ; dans la plupart des pays en développement, les fonds ne sont jamais arrivés. Cette question a même inspiré un mème COP : « #WTF », qui signifie « Où sont les fonds ?» (Where is The Financing?) Le manque de projets d’envergure serait à blâmer.

À la COP, l’Égypte a essayé d’aplanir cette difficulté en annonçant un énorme projet d’énergies renouvelables. M. Carney croit que le monde a besoin de 1 billion USD par an en projets de ce genre pour quadrupler le ratio des énergies renouvelables par rapport aux ressources non renouvelables. Les capitaux sont là. Toutefois, la campagne agressive de la Réserve fédérale des États-Unis face à l’inflation pose un défi, car elle a fait grimper les taux d’intérêt américains et attiré beaucoup de capitaux vers les États-Unis.

8. L’Agriculture, nouvelle championne du climat

Croyez-le ou non, c’était la première COP qui plaçait l’agriculture à l’avant-scène. Plutôt étonnant, quand on se rend compte que le système d’approvisionnement alimentaire représente environ un quart des émissions mondiales.

L’ONU et plusieurs de ses membres ont cessé les hostilités envers l’agriculture, car ils ne veulent pas s’aliéner ce secteur, placé au coeur de l’évolution mondiale. De plus en plus, on considère l’agriculture comme une solution climatique – peut-être même comme un bénéfice net pour le monde, si les agriculteurs peuvent transformer leur sol en puits de carbone rentables. Animée par ce nouveau sentiment d’innovation, la conférence a consacré une journée à la question agricole, et les pavillons de la « zone bleue » ont présenté des produits de tous les continents.

Les pratiques durables en matière d’engraissement des sols et l’utilisation de fertilisants à faible émission joueront un rôle essentiel. De même, il y aura de nouvelles technologies comme les digesteurs anaérobies qui convertiront les émissions d’origine animale en énergie. La Chine, responsable de 20 % du méthane mondial, doit être un chef de file dans ce domaine.

Mais la solution la plus radicale pourrait venir de l’agriculture régénérative – un ensemble de pratiques comme la culture de couverture et les semis directs qui assurent la capture et la séquestration des gaz à effet de serre. Les États-Unis ont pris les devants en créant des marchés volontaires qui permettront à des entreprises et à des investisseurs d’octroyer aux agriculteurs des crédits carbone pour l’exploitation de leurs sols. D’autres pays sont plus prudents, sachant que la science des sols n’est pas assez avancée pour déterminer les quantités capturées ou stockées.

9. Atmosphère, atmosphère. L’océan est en détresse. Les forêts tropicales aussi.

Pour la première fois, une COP se penchait sur l’état des océans. Une démarche appropriée, car Sharm El-Sheikh n’est pas seulement une ville du désert ;elle abrite quelques-uns des plus beaux récifs coralliens de la mer Rouge, qui risquent l’extinction en l’absence de mesures plus concrètes.

J’ai assisté à une séance qui réunissait le Prince Albert de Monaco, Sylvia Earle, grande défenseure des océans, et Johan Rockström, une éminente climatologue de l’Institut Potsdam pour la recherche sur le climat. M. Rockström a expliqué les conséquences de la hausse des températures sur le monde et les océans.

L’Arctique affiche déjà une hausse de 2 degrés qui entraîne la disparition des plateformes de glace dans la mer. Cela perturbe la circulation de l’air, provoquant des vagues de chaleur comme celle qui a accablé l’Ouest du Canada en 2021.

Les océans absorbent environ 93 % de cette chaleur excédentaire par un transfert massif d’énergie qui altère les organismes vivant sous la surface. La température mondiale des océans a atteint un sommet record en 2021. Une tempête se prépare. Depuis des siècles, les scientifiques étudient ce genre d’interaction entre les océans, les terres émergées et l’atmosphère, mais le sujet a été un peu délaissé ces dernières années. Or, aujourd’hui, la biodiversité et le climat sont de nouveau perçus comme les deux faces d’une même médaille.

Les participants de la Conférence de l’ONU sur la biodiversité, qui se tiendra à Montréal en décembre, se pencheront très attentivement sur la question. Dans les derniers jours de la COP27, le nouveau président du Brésil, Luiz Inácio Lula da Silva, en a fait une priorité. Lula, comme on l’appelle partout, a été applaudi plus chaleureusement que le président Biden lorsqu’il s’est engagé à reprendre la lutte pour protéger l’Amazonie. La tâche ne sera pas facile, alors que la planète se soucie plus de la croissance économique que de la croissance du vivant. Mais le message de Lula sur la biodiversité était clair : « Sans la protection de l’Amazonie, il ne peut y avoir de sécurité climatique dans le monde. »

10. À qui appartient la COP ?

Pour la première fois à une COP, le Canada s’est présenté avec un pavillon, comme d’autres pays. La technologie n’y était pas à l’honneur comme dans le pavillon voisin de l’Inde ; on n’y imitait pas l’audace des États-Unis. Mais, fidèle à sa tradition, le Canada s’est distingué par son caractère inclusif. Avec son design qui rappelait un peu une beignerie haut de gamme (on y servait même du café gratuit), ce pavillon a accueilli une variété d’opinions et d’expériences que je n’ai vue nulle part ailleurs.

Militants, leaders autochtones, chefs d’entreprise, maires, entrepreneurs, investisseurs : le Canada était représenté en entier. Et c’est là un défi constant pour les futures COP. L’Égypte s’est conformée aux lois strictes et aux normes de sécurité qui empêchaient toute manifestation sérieuse de protestation. Même Greta Thunberg, la jeune militante écologiste, a jugé qu’il n’était pas nécessaire de faire acte de présence. De l’autre côté d’un important passage routier, une zone verte était aménagée à l’intention des groupes communautaires et des militants. Les débats y étaient plus pertinents et réjouissants que dans les salles de conférence. Mais le sentiment d’urgence manquait là aussi.

La COP a permis d’entendre une diversité de voix qui s’est accrue au fil des ans. Seuls les délégués les plus arrogants ou les plus naïfs croient posséder une réponse définitive au défi climatique ; ils sont aussi les seuls à faire fi des divergences d’opinions.

Maintenant que Sharm El-Sheikh s’ajoute à la longue liste des pays ayant accueilli une COP, et que tous les regards se tournent vers Dubaï, il faudra développer plus que jamais cet esprit de saine curiosité. Il pourrait s’agir de la meilleure contribution du Canada à la COP28 et aux futures conférences.


John Stackhouse est un auteur à succès et un porte-parole de premier plan en matière d’innovation et de perturbations économiques au Canada. À titre de premier vice-président, Bureau du chef de la direction, il dirige la recherche et exerce un leadership avisé concernant les changements économiques, technologiques et sociaux. Auparavant, il a été rédacteur en chef du Globe and Mail et éditeur du cahier « Report on Business. » Il est agrégé supérieur de l’institut C.D. Howe et de la Munk School of Global Affairs and Public Policy de l’Université de Toronto, en plus de siéger aux conseils d’administration de l’Université Queen’s, de la Fondation Aga Khan Canada et de la Literary Review of Canada.

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