Le budget de 2024 a révélé un résultat net légèrement décevant pour l’ensemble du plan budgétaire du gouvernement fédéral comparativement aux estimations précédentes, mais le déficit respecte la cible établie. Pour y parvenir, toutefois, le gouvernement a introduit plusieurs nouvelles mesures fiscales après l’annonce d’une myriade de nouvelles dépenses au cours des dernières semaines. Des revenus supérieurs aux prévisions contrebalancent les tendances dépensières.

Une série de nouvelles mesures fiscales, dont l’augmentation du taux d’inclusion des gains en capital, l’introduction d’une taxe sur les services numériques, et l’instauration d’un taux d’imposition minimum mondial, devrait faire grimper les revenus (7 %). Les nouvelles mesures fiscales sont cependant plus modestes que ce que l’on craignait. Les tendances dépensières du gouvernement ont été contrebalancées par une hausse des revenus. Les recettes fiscales sont supérieures de 2 % (8,9 milliards de dollars en 2023-2024) aux projections précédentes, faisant monter la moyenne de référence à 7 milliards de dollars par année de la période de projection.

Le budget de 2024 en chiffres

  • Le déficit budgétaire demeurera pratiquement inchangé à 39,8 milliards de dollars pour l’exercice 2024-2025, soit un peu moins que le plafond du déficit fixé à 40,1 milliards de dollars.
  • Le budget de 2024 fait passer le taux d’inclusion des gains en capital réalisés annuellement excédant 250 000 $ de 50 % à 67 % pour les particuliers et pour l’ensemble des gains en capital réalisés par les sociétés et les fiducies à compter du 25 juin 2024.
  • Impôt rétroactif sur les revenus gagnés par les multinationales et les sociétés numériques depuis janvier 2022 par l’intermédiaire d’une nouvelle taxe sur les services numériques de 3 %.
  • Introduction d’un nouveau taux d’imposition effectif mondial de 15 % sur les bénéfices des multinationales.
  • 4,5 milliards de dollars sur cinq ans pour répondre aux besoins en logement des Canadiens à faible revenu et des réfugiés, dont 1,2 milliard de dollars pour la stratégie canadienne de lutte contre l’itinérance et 1,1 milliard de dollars pour offrir un soutien au logement aux demandeurs d’asile.
  • 4 milliards de dollars sur cinq ans pour accroître l’offre de logements, dont 1,5 milliard pour un nouveau Fonds canadien pour les infrastructures liées au logement et 1 milliard pour accélérer la construction de logements.
  • 4,9 milliards de dollars sur cinq ans pour une nouvelle prestation canadienne pour les personnes handicapées, y compris des prestations pour les Canadiens admissibles (à compter de juillet 2025) et des modifications apportées aux frais admissibles au titre de la déduction de soutien aux personnes handicapées.
  • 8,1 milliards de dollars en nouvelles dépenses dans la défense sur cinq ans. Les dépenses dans la défense devraient donc atteindre 1,76 % du PIB du Canada d’ici l’exercice 2029-2030, soit un grand pas vers l’atteinte de l’objectif de 2 % de l’OTAN.

Le gouvernement dépense des recettes inattendues, augmente les impôts

Plusieurs changements fiscaux seront mis en œuvre pour surmonter les obstacles budgétaires. Il s’agit notamment d’une augmentation du taux d’inclusion des gains en capital (de 50 % à 67 %) pour un revenu supérieur à 250 000 $ à compter de juin 2024. Cette mesure devrait générer un revenu supplémentaire de 19,4 milliards de dollars en impôt des particuliers et des sociétés sur une période de cinq ans, y compris un montant élevé de 6,9 milliards de dollars pour l’exercice 2024-2025, alors que les entreprises et les particuliers se hâteront de matérialiser les gains en capital avant l’entrée en vigueur de ce changement en juin.

Les changements fiscaux pour les multinationales et les sociétés numériques sont d’autres mesures clés qui entreront en vigueur au cours du présent exercice. L’impôt rétroactif sur les revenus réalisés par les multinationales et les sociétés depuis janvier 2022 s’appliquera aux grandes entreprises (étrangères et nationales) qui gagnent des revenus totaux de plus de 750 millions d’euros (1,1 milliard de dollars) et plus de 20 millions de dollars canadiens en revenus « visés » au cours de l’année civile. Les revenus visés comprennent ceux tirés des services de place de marché en ligne, des services de publicité numériques, des médias sociaux ou des données d’utilisateur. Cette mesure devrait générer 5,9 milliards de dollars sur cinq ans à compter de l’exercice 2024-2025.

Le gouvernement mettra également en place un impôt mondial minimum complémentaire sur le revenu des sociétés, qui assujettira les multinationales à un taux d’imposition effectif minimum de 15 %. Cette mesure s’appliquera aux exercices des contribuables qui commencent cette année civile et devrait augmenter les revenus de 6,6 milliards de dollars sur trois ans à compter de l’exercice 2026-2027.

Les dépenses en pourcentage du PIB continueront d’augmenter

Dans l’Énoncé économique de l’automne dernier, le gouvernement a resserré ses cibles budgétaires en établissant trois objectifs budgétaires :

  • Maintenir le déficit de 2023-2024 à 40,1 milliards de dollars ou moins que prévu dans le budget de 2023.
  • Réduire le ratio de la dette au produit intérieur brut en 2024-2025, par rapport à l’Énoncé économique de l’automne, et le maintenir sur une trajectoire descendante par la suite.
  • Maintenir le ratio du déficit au PIB en baisse en 2024-2025 et maintenir les déficits en deçà de 1 % du PIB en 2026-2027 et les années suivantes.

Le budget de 2024 comprend des plans pour atteindre les trois objectifs, ce qui indique un abandon des pratiques antérieures qui consistaient à faire table rase des objectifs après avoir échoué à les atteindre. Toutefois, Ottawa ne prévoit pas atteindre ses objectifs en limitant les dépenses. En fait, les dépenses en pourcentage du PIB devraient continuer d’augmenter au cours du plan budgétaire, atteignant 19,7 % au cours de l’exercice, alors qu’elles étaient de 17,2 % en 2023-2024, avant de s’établir à 19,1 % d’ici l’exercice 2028-2029. C’est le taux le plus élevé que nous avons observé depuis les années 1990, en dehors d’une année de pandémie (exercice 2020-2021).

Les nouvelles dépenses sont principalement affectées au logement, à la santé et à la défense

Les dépenses devraient bondir de 7,1 % en 2024-2025 (à 538 milliards de dollars) par rapport au dernier exercice, la majeure partie de l’augmentation étant consacrée au logement, à la santé (y compris l’assurance médicaments et les prestations aux personnes handicapées) et à la défense.

Logement

L’accessibilité à la propriété est demeurée un thème majeur dans le budget de 2024, obtenant 8,5 milliards de dollars du montant net, dont un milliard de dollars devrait entrer en vigueur au cours du présent exercice. De nouvelles mesures ont été prises, car de nombreux marchés du pays luttent contre la détérioration de l’accessibilité à la propriété, certains ayant même atteint les pires niveaux jamais enregistrés.

Les mesures visant à accroître l’offre de logements ont obtenu 3,9 milliards de dollars sur cinq ans, dont 1,5 milliard de dollars pour un nouveau Fonds canadien pour les infrastructures liées au logement et 1,1 milliard de dollars sur cinq ans pour accélérer la construction de logements destinés à la location. Des déductions pour amortissement (qui sont passées de 4 % à 10 %) seront disponibles pour les nouveaux projets de logements locatifs dont la construction commence immédiatement et qui seront prêts à être occupés d’ici le 1er janvier 2036.

Les mesures en faveur des personnes en situation d’itinérance et des demandeurs d’asile ont complété ces investissements, obtenant 4,5 milliards de dollars sur cinq ans. Ces mesures comprennent 1,3 milliard de dollars pour la stratégie canadienne de lutte contre l’itinérance et 1,1 milliard de dollars pour prolonger le programme temporaire de soutien au logement pour les demandeurs d’asile.

Le budget de 2024 prévoit également la prolongation de la période d’amortissement pour les prêts hypothécaires assurés des acheteurs d’une première propriété nouvellement construite (de 25 à 30 ans) et l’augmentation de près du double de la limite des retraits permis au titre du Régime d’accession à la propriété pour les acheteurs d’une première propriété (de 35 000 $ à 60 000 $), afin de promouvoir une plus grande accessibilité à la propriété.

Le financement et les politiques liés au logement ne se limitaient toutefois pas à la propriété. Un nouveau fonds de protection des locataires de 1,5 milliard de dollars a également été mis à l’ordre du jour pour acquérir et préserver davantage de logements locatifs. Une charte des droits des locataires sera aussi élaborée en partenariat avec les provinces. Cela comprend des modifications à la charte hypothécaire canadienne pour s’assurer que les antécédents de location sont comptabilisés dans les cotes de solvabilité. Si elle est adoptée, la charte des droits exigera également que les propriétaires divulguent les montants antérieurs des loyers.

L’inclusion des résidents étudiants dans l’exemption de la TPS sur la construction de logements locatifs annoncée précédemment, l’examen de terrains publics pour le logement et la prolongation de l’interdiction pour les acheteurs étrangers jusqu’en 2027 ont été d’autres annonces importantes liées au logement.

Soutien aux personnes handicapées et assurance médicaments

Le régime d’assurance médicaments tant attendu du gouvernement a aussi fait son apparition dans le budget de cette année. À compter de l’exercice 2024-2025, le gouvernement soutiendra l’accès aux médicaments en finançant certains médicaments sur ordonnance. Le nouveau programme coûtera 1,5 milliard de dollars sur cinq ans.

La nouvelle prestation canadienne pour les personnes handicapées était un autre poste important qui a obtenu 4,9 milliards de dollars sur cinq ans. Le programme comprend des prestations pour les Canadiens admissibles à compter de juillet 2025 et des modifications aux frais admissibles au titre de la déduction de soutien aux personnes handicapées.

Coûts du service de la dette

Les coûts du service de la dette grimpent en flèche comme prévu. Le coût de la dette devrait dépasser la barre des 50 milliards de dollars pour l’exercice 2024-2025, ce qui représente 10 % (54 milliards de dollars) des dépenses totales. Cela représente plus que les transferts en santé du Canada aux provinces, aux territoires et aux municipalités (52 milliards de dollars).

De plus, ces coûts devraient augmenter de 84 % par rapport à l’exercice 2022-2023, pour atteindre 64 milliards de dollars d’ici la fin du plan budgétaire en 2028-2029. À ce rythme, le service de la dette devrait éclipser toutes les autres catégories de dépenses (à l’exception des 100 milliards de dollars réservés aux prestations aux personnes âgées).

Besoins financiers inférieurs au niveau de l’Énoncé économique de l’automne pour l’exercice 2024-2025, plus élevés pour les années suivantes

Malgré un déficit légèrement plus important pour l’exercice 2024-2025, les besoins financiers pour l’exercice qui vient de débuter ont diminué à 102,4 milliards de dollars, comparativement à 110,9 milliards de dollars dans l’Énoncé économique de l’automne en raison d’un nombre moindre de besoins non budgétaires. Le profil quinquennal des besoins financiers (504 milliards de dollars) était supérieur d’environ 21 milliards de dollars à celui indiqué dans l’Énoncé économique de l’automne. Les données tirées de l’Énoncé économique de l’automne et du budget d’aujourd’hui tiennent compte de 30 milliards de dollars par exercice financier pour financer les achats d’Obligations hypothécaires canadiennes par le Centre des opérations du gouvernement. L’émission d’obligations a été portée à un montant prévu de 228 milliards de dollars pour l’exercice 2024-2025, comparativement à 204 milliards de dollars pour l’exercice 2023-2024. Tous les secteurs devraient augmenter pour 2024-2025 sur l’ensemble de l’exercice, mais les montants pour les émissions à deux ans (88 milliards de dollars) et à 30 ans (16 milliards de dollars) ont été inférieurs aux attentes et au rythme accru du dernier trimestre. Les émissions à 5 ans et à 10 ans ont été maintenues à un rythme plus élevé récemment, avec 60 milliards de dollars pour chacune des émissions prévues pour l’exercice 2024-2025. Comme prévu, un nouveau bon du Trésor à un mois a été introduit pour aider le marché monétaire à délaisser les acceptations bancaires.

Simon Deeley, directeur général, Stratégiste, Taux canadiens

Les hausses des coûts des entreprises auront des répercussions sur les consommateurs

Bien que nous soyons heureux de voir le gouvernement respecter ses cibles budgétaires – notons que cela constitue un pas vers l’établissement de la crédibilité à court terme – nous sommes préoccupés par l’incidence que ces nouvelles mesures fiscales pourraient avoir sur l’économie canadienne à moyen et à long terme.

Nous continuons de voir que le ciblage étroit des mesures liées aux revenus pèse sur les investissements des entreprises, qui sont essentiels pour que la croissance de la productivité du Canada atteigne des niveaux plus durables. Le Canada perçoit déjà l’impôt le plus lourd sur les bénéfices des sociétés parmi les pays ayant une cote triple A et les économies du G7.

Nous croyons également que la probabilité que la hausse des coûts des entreprises se répercute sur les consommateurs exacerbe davantage le défi de l’accessibilité à la propriété au Canada et la forte inflation. La rigueur des dépenses est une stratégie privilégiée pour atteindre les cibles budgétaires d’Ottawa, et elle protégerait les ménages et les entreprises contre la hausse des coûts de financement de la dette fédérale.

L’économie canadienne a surpassé les attentes, ce qui a incité le gouvernement à hausser considérablement ses prévisions de croissance des revenus par rapport à l’Énoncé économique de l’automne 2023, et à les dépenser rapidement. Bien que les hypothèses de croissance économique soient prudentes et continuent de s’aligner sur les nôtres, les dépenses élevées repoussent les limites des cibles budgétaires fédérales, ce qui laisse peu de marge de manœuvre en cas de coup dur.

Collaborateurs

Rachel Battaglia Économiste

Craig Wright Premier vice-président et économiste en chef

Robert Hogue Économiste en chef adjoint

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