L’expression « atterrissage en douceur », dans un contexte économique, désigne une situation dans laquelle les marchés du travail et les conditions économiques générales se stabilisent à des niveaux durables, sans contraction du PIB et avec des taux de chômage ne dépassant pas ceux des périodes de plein emploi. Ce scénario idéal semble de plus en plus compromis en ce qui concerne l’économie canadienne. Les marchés du travail demeurent exceptionnellement dynamiques dans la plupart des économies avancées, et les taux de chômage restent au niveau le plus bas jamais vu en plusieurs décennies. Mais les banques centrales, que ce soit au Canada ou dans les autres pays, continuent d’instaurer des hausses de taux d’intérêt énergiques destinées à ralentir la demande en surchauffe et à apaiser les tensions inflationnistes. À notre avis, l’année prochaine sera porteuse de récession au Canada, aux États-Unis, dans la zone euro et au Royaume-Uni.

Cela dit, nous estimons que le ralentissement attendu au Canada sera « modéré » par rapport aux normes historiques. Notre prévision est que le taux de chômage augmentera de 1,7 point de pourcentage entre son creux et son sommet au cours des 18 prochains mois. Ce serait un moindre mal, si nous comparons avec les ralentissements précédents. Certains signes indiquent que les tensions inflationnistes ont atteint un sommet, du moins en Amérique du Nord. Les prix mondiaux des marchandises redescendent de leurs niveaux très élevés, les perturbations de chaîne logistique se résorbent, et les marchés du logement connaissent une correction sous l’effet de la hausse du coût des emprunts hypothécaires. Néanmoins, les banques centrales continueront de recourir aux politiques monétaires pour freiner l’économie, jusqu’à ce que la demande des consommateurs ait suffisamment diminué pour faire revenir les taux d’inflation à leur cible.

L’inflation a peut-être atteint un sommet en Amérique du Nord…

La montée des prix continue de faire rage en Europe, car la guerre en Ukraine et les perturbations de l’approvisionnement depuis la Russie maintiennent les prix du gaz naturel à des niveaux records. En Amérique du Nord, cependant, la baisse des prix des marchandises et l’apaisement des perturbations de chaîne logistique semblent indiquer que le pic de l’inflation est derrière nous.

La croissance de l’IPC a ralenti en juillet aux États-Unis et au Canada d’une année sur l’autre, grâce au déclin du prix de l’essence (c’est la première fois que cela se produit au Canada en plus d’un an). Selon la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, les régimes de prix et de salaires moyens ont aussi plongé en juillet et en août après une ascension constante pendant la pandémie. Aux États-Unis, une situation semblable est observée. La mesure de l’inflation annuelle prévisionnelle établie par l’Université du Michigan est ressortie à 4,6 % pour le mois d’août, soit plus d’un point de pourcentage au-dessous de son sommet de mars. Les négociateurs ont continué d’intégrer des attentes d’inflation plus basses aux prix des marchés obligataires.

Les indicateurs relatifs aux expéditions mondiales ont continué d’afficher des améliorations, tant sur le plan de la durée que du coût du transport des biens. La croissance des prix de la production industrielle au Canada et aux États-Unis, à l’origine des premières tensions inflationnistes il y a un an, est maintenant en chute libre depuis juillet.

… mais elle ne s’apaisera pas complètement tant que la demande des consommateurs n’aura pas baissé

Néanmoins, les taux d’inflation ne seront pas entièrement maîtrisés si la demande des consommateurs ne ralentit pas davantage. L’inflation globale s’est établie à 7,6 % pour le Canada et à 8,5 % pour les États-Unis en juillet, ce qui est nettement supérieur au rythme souhaité par les banques centrales. Et juste au moment où la croissance des prix des biens a commencé à se modérer, la demande accumulée pour les voyages et les loisirs a fait grimper l’inflation des services. Les prix des restaurants, des voyages et des excursions, des hôtels et des billets d’avion ont bondi au cours de l’été, bien que les dépenses globales se soient légèrement tassées en août, selon notre propre suivi des opérations par carte de débit et de crédit.

Nous prévoyons que la croissance des prix de base (en excluant les produits alimentaires et l’énergie) dépassera l’inflation globale tant au Canada qu’aux États-Unis à la fin de l’année, étant donné la persistance des tensions inflationnistes. Un plus fort recul de la demande des consommateurs, dans le contexte de la hausse des taux d’intérêt, sera probablement nécessaire pour ramener les taux d’inflation globaux au taux cible de 2 %.

Les banques centrales sont disposées à serrer la vis à court terme pour éviter une augmentation des risques à moyen terme

Pour les banques centrales, le fait de ne pas agir assez rapidement pour contenir la montée des prix pourrait avoir des conséquences plus graves que les risques associés à une hausse excessive des taux d’intérêt – ces conséquences incluraient le risque de perdre toute influence sur les attentes d’inflation des consommateurs et des entreprises à long terme. Si les attentes d’inflation se déstabilisaient, elles pourraient prendre un caractère prophétique, nuire aux contrats commerciaux à long terme, et amener la forte inflation à s’enraciner. Si un tel sentiment naissait en ce moment, le travail de la banque centrale pour juguler l’inflation pourrait être plus ardu, l’obligeant à mettre en place des taux d’intérêt encore plus élevés. En outre, le ralentissement de l’activité économique serait beaucoup plus prononcé que prévu. Dans ce contexte, les banques centrales sont clairement disposées à « faire souffrir » à court terme, selon les termes du président de la Fed, M. Powell, afin d’éviter un scénario de ralentissement beaucoup plus prononcé.

La Banque du Canada a déjà relevé le taux du financement à un jour à un niveau « restrictif » de 3,25 % en septembre, et a laissé entrevoir d’autres hausses à venir. Nous nous attendons maintenant à ce que la Banque du Canada augmente le taux du financement à un jour à 4 % d’ici la fin de l’année. Au sud de la frontière, nous prévoyons que la Réserve fédérale américaine haussera le taux cible des fonds fédéraux à une fourchette comprise entre 3,75 % et 4 %.

Cela pourrait conclure les hausses de taux de ce cycle, à condition que l’inflation continue de s’apaiser comme prévu. Des baisses de taux d’intérêt pourraient survenir dès le deuxième semestre de l’année prochaine si une récession se produisait, conformément à nos projections. D’un autre côté, il subsiste un risque que les taux d’intérêt augmentent davantage si les tensions inflationnistes ne montrent pas de signes de décélération au cours des prochains mois.

Le secteur des services, malmené pendant la pandémie, amortira le ralentissement de 2023

Le ralentissement qui s’annonce ne frappera pas tous les secteurs de façon égale. Et nous avons de bonnes raisons de penser que le secteur des voyages et de l’hôtellerie se comportera relativement bien. Ces activités ont durement souffert des restrictions liées à la pandémie, ce qui n’est pas un phénomène habituel. En effet, dans chacune des récessions des années 1980, 1990 et 2008/09, le secteur de l’hôtellerie a surpassé le secteur manufacturier.

Avec la levée des restrictions, nous estimons que le secteur des services renouera avec des rendements supérieurs. L’épargne excédentaire accumulée pendant la pandémie est plus importante pour les ménages à revenu élevé, lesquels représentent une part disproportionnée dans les achats non discrétionnaires. Les dépenses de ces ménages sont moins sensibles à une inflation et à des taux d’intérêt plus élevés. Et une partie de la demande accumulée pour ces services ne s’est pas encore traduite par des dépenses. De fait, les premiers signes de repli dans la demande des consommateurs ont largement concerné les achats de biens, tandis que les services voient un retour des dépenses.

La vigueur du marché du travail retardera le ralentissement, mais ne pourra pas l’empêcher

Les conditions du marché du travail semblent encore exceptionnellement tendues. Les emplois vacants ont dépassé la barre d’un million en avril, et n’ont cessé d’augmenter depuis. Et bien que la croissance des postes à pourvoir ait ralenti en juillet, ces derniers sont demeurés supérieurs de plus de 60 % aux niveaux d’avant la pandémie. Le nombre élevé de postes à pourvoir signifie que la demande de travailleurs peut encore chuter considérablement avant que cela ne se reflète dans le taux de chômage. Néanmoins, le taux de chômage au Canada a bondi à 5,4 % en août et nous prévoyons de futures augmentations à mesure que la conjoncture économique se détériorera. Les mises à pied sont également en hausse aux États-Unis depuis le printemps.

Cela ne signifie pas que les pénuries de main-d’œuvre appartiennent déjà au passé. Les défis démographiques à long terme liés au vieillissement de la population semblent indiquer que les pénuries de main-d’œuvre sont la nouvelle norme. Ces tensions pourraient s’apaiser en période de récession, mais elles reviendront sur le devant de la scène une fois que l’économie et les marchés du travail se seront ressaisis.

Sur le plan positif, les investissements des sociétés sont robustes et les prix des marchandises sont élevés

Face à la concurrence accrue sur le marché du travail, les sociétés ont consacré plus de fonds aux investissements en immobilisations. Au Canada, les investissements des sociétés ont bondi de près de 14 % (en taux annualisé) au deuxième trimestre et de 8,8 % par rapport à l’an dernier. Cette tendance est encourageante, compte tenu des piètres antécédents du Canada en matière de productivité du travail.

Le PIB nominal (qui tient compte de l’incidence des prix) a augmenté trois fois plus vite que le PIB réel au cours de la dernière année. Cela reflète en partie la croissance des prix à la consommation, mais les prix élevés des marchandises ont aussi fait grimper les prix à l’exportation de 25 % par rapport à l’an dernier. Les dépenses d’investissement du secteur pétrolier et gazier ont progressé de 17 % d’un coup au deuxième trimestre 2022, et les activités de forage ont continué de se développer durant la saison estivale. Cette envolée de la valeur de la production économique entraîne une augmentation des liquidités disponibles pour l’investissement. Elle se traduira aussi par une hausse des recettes fiscales du gouvernement, en particulier dans les régions productrices de pétrole.

Ralentissement du marché du logement pour préserver l’épargne accumulée pendant la pandémie ?

Les ménages détiennent encore plus de 300 milliards de dollars d’épargne accumulée au cours de la pandémie, étant donné que les occasions de dépenses sont rares et que les aides publiques exceptionnellement importantes ont fait grimper les revenus des ménages. Cependant, les dépenses de consommation commencent à pénaliser les marchés du logement, qui jusque là étaient favorisés.

Nous pensons que l’indice composé des prix des maisons cédera plus de 12 % par rapport à son sommet, ce qui équivaudrait à une coupe de plus d’un 1 000 milliards dans la valeur nette des ménages. Il faut toutefois préciser que cette chute n’estomperait qu’en partie la hausse de 2 400 milliards de dollars accumulée par les ménages au cours de la pandémie. Et de manière générale, les variations de la valeur nette des ménages ne se répercutent que faiblement dans leurs dépenses à court terme et leurs décisions d’épargne.

Cependant, les Canadiens se sentiront moins fortunés à mesure que les prix des maisons s’effriteront et que les coûts d’emprunt augmenteront. Par conséquent, ils seront moins susceptibles de dépenser leurs liquidités accumulées lors de la pandémie. Les tensions inflationnistes potentielles s’en trouveront quelque peu allégées.


À titre d’économiste en chef, Craig Wright dirige une équipe d’économistes qui mènent des recherches sur l’économie, les titres à revenu fixe et les devises pour le compte de clients de RBC. M. Wright collabore régulièrement à un certain nombre de publications de RBC, et il est l’un des principaux animateurs des séances d’information que les Services économiques organisent de façon périodique pour communiquer les résultats d’analyses économiques aux clients et aux médias.

Nathan Janzen travaille à RBC depuis 2008, où il s’occupe principalement de la couverture des perspectives macroéconomiques du Canada et des États-Unis. Il est titulaire d’une maîtrise en économie de l’Université McMaster et d’un baccalauréat en économie de l’Université de Regina.

Claire Fan est économiste à RBC. Elle se concentre sur les tendances macroéconomiques et est chargée d’établir des prévisions relatives au PIB, au marché du travail et à l’inflation pour le Canada et les États-Unis, en fonction des principaux indicateurs.


 

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