La menace d’imposition de tarifs douaniers considérables au Canada, au Mexique et à la Chine aurait été (et pourrait encore être) le choc commercial le plus violent aux États-Unis depuis l’adoption de la loi Smoot-Hawley Tariff Act dans les années 1930. Même si les pires effets du choc peuvent être retardés ou atténués, notre attention reste centrée sur le revirement fondamental d’une politique commerciale américaine en place depuis près d’un siècle. En ce qui concerne la croissance et l’inflation, ce changement aura probablement des répercussions dont l’ampleur dépendra de l’orientation politique à venir. Fait important, alors que nous attendons ce qui adviendra des tarifs douaniers applicables au Canada et au Mexique (reportés au 1er mars), les États-Unis ont appliqué des tarifs additionnels de 10 % frappant les produits chinois. La riposte de la Chine, qui a imposé des tarifs sur les importations américaines, est un signe de ce qui s’annonce pour le commerce des États-Unis. Le premier mandat du président Donald Trump offre un schéma économique limité, vu l’ampleur de l’évolution des politiques commerciales dont il est question actuellement. Comme nous l’avons souligné dans Choc commercial entre les États-Unis et le Canada : premiers éléments économiques à retenir, en 2018, le taux tarifaire effectif des États-Unis a doublé en 2018, passant de 1,5 % à 3 %. Toutefois, le tarif de 25 % envisagé pour les produits canadiens et mexicains est presque quatre fois plus percutant et porterait le taux tarifaire moyen des États-Unis à 10,6 %.
Le président Trump est toujours déterminé à faire avancer le projet America First Trade Act d’ici le 1er avril et à entreprendre la renégociation de l’accord commercial AEUMC, prévue pour juillet 2026. En fait, que les tarifs douaniers soient reportés ou non, le commerce n’est pas près de disparaître de l’ordre du jour économique des États-Unis. En outre, il est difficile de prévoir l’incidence des chocs commerciaux. À cette fin, il faut dresser une longue liste d’hypothèses sur la durée, les représailles possibles et les bouleversements de la demande. Ce faisant, il sera possible en définitive d’évaluer les répercussions sur l’économie américaine. Ces incertitudes ne sont pas non plus unilatérales en ce qui a trait à l’impact. Certains facteurs sont susceptibles d’aggraver le coup porté par les tarifs à la croissance, et d’autres, y compris la possibilité que la politique soit annulée rapidement, pourraient en atténuer une partie (comme nous l’avons vu dans le cas de la Colombie). Pour l’instant, le Plan de match pour mesurer l’impact d’un choc tarifaire de Services économiques RBC continue de nous servir de modèle d’évaluation des perspectives dans le présent climat d’incertitude. Vous verrez ci-dessous les questions les plus fréquentes que nous recevons et la façon dont nous envisageons les risques.
Les tarifs douaniers sont-ils une source d’inflation ?
Oui, les tarifs douaniers entraînent presque toujours une hausse des prix. En 2018, le coût des biens de base (selon l’indice de prix des dépenses de consommation personnelle) a augmenté de 0,5 point de pourcentage après l’annonce des tarifs douaniers visant la Chine. Au cours de cette période, la stabilité des prix des services et de l’énergie a permis de limiter l’augmentation de l’inflation globale à environ 0,3 point de pourcentage. Toutefois, le contexte actuel des prix est très différent et il est peu probable que des effets déflationnistes compensatoires proviennent d’autres secteurs. Par conséquent, l’interruption de la déflation des biens que nous avons observée pourrait avoir plus d’impact en l’absence de stabilité des prix. En fin de compte, ce qui importe pour les consommateurs et la Réserve fédérale, c’est la mesure dans laquelle les entreprises répercutent les hausses de leurs coûts. L’augmentation de 0,6 point de pourcentage de l’indice des prix à la production (IPP) en 2018 laisse croire qu’une partie des hausses de prix n’a pas été entièrement transmise au consommateur. À l’heure actuelle, la solidité des marges bénéficiaires aux États-Unis pourrait limiter la mesure dans laquelle les hausses seront répercutées.
Toutefois, nous nous attendons à ce que le maintien prolongé de tarifs de 25 % frappant le Canada et le Mexique provoque une augmentation de 0,5 à 1,0 point de pourcentage du rythme annuel de l’inflation selon les dépenses personnelles de consommation aux États-Unis. En fait, cela signifie que l’inflation globale pourrait remonter au-dessus de 3,0 % d’une année sur l’autre d’ici la fin de 2025 si les tarifs entrent en vigueur le 1er mars. En particulier, les États-Unis sont dépendants des importations d’énergie au Canada (la probabilité d’une baisse de la demande des États-Unis est donc moindre) parce que les Américains ne peuvent réellement remplacer les importations de marchandises canadiennes. L’absence de substituts implique une augmentation des prix pour les producteurs et les consommateurs américains. L’ampleur de la remontée des prix hors énergie dépendra des taux de change, et surtout de l’appréciation continue du dollar américain par rapport aux autres monnaies.
Les tarifs douaniers entraveront-ils la croissance?
À court terme, les tarifs douaniers sont plus préjudiciables à la Chine qu’aux États-Unis. Ils frappent l’économie chinoise à une période où elle a déjà du mal à maintenir son taux de croissance cible. Les problèmes de la Chine découlent du vieillissement de la population, de la dépréciation des biens immobiliers et de la montée du chômage chez les jeunes. Au moment où le pays continue d’être aux prises avec une offre excédentaire, il compte de plus en plus sur le commerce (notamment avec les États-Unis) pour stimuler la croissance du PIB.
Par contre, aux États-Unis, l’économie connaît une croissance supérieure à la tendance et le taux de chômage demeure à des creux inédits. Voilà pourquoi la Réserve fédérale a interrompu son cycle de baisse de taux lors de la réunion du FOMC tenue en janvier. Néanmoins, même si l’économie américaine part d’une position relativement forte (et que sa croissance est beaucoup moins tributaire du commerce), elle pourrait être frappée de plein fouet par la stagflation si le Canada et le Mexique décidaient d’exercer des représailles.
Nous nous attendons à ce que l’entrave à la croissance des États-Unis soit beaucoup plus forte si des tarifs douaniers de 25 % sont imposés au Canada et au Mexique. La pire entrave serait probablement l’application de tarifs persistants (c’est-à-dire d’une durée supérieure à six mois), qui pourraient retrancher plus d’un point de pourcentage à la croissance du PIB. Dans ce cas, les États-Unis n’entreraient pas nécessairement en récession (par rapport à nos prévisions de base, cela signifie que l’économie américaine serait stagnante en 2025). Cependant, toute mesure de rétorsion supplémentaire ou l’application de tarifs douaniers à d’autres pays ou groupes (p. ex., l’Union européenne figure parmi les prochaines cibles potentielles) pourrait provoquer une récession aux États-Unis.
Les tarifs douaniers risquent de frapper démesurément les consommateurs à faible revenu, qui sont déjà à la traîne. La consommation a sensiblement augmenté, mais nous avons déjà souligné que la tranche supérieure de 20 % dans l’échelle des revenus représente plus de 40 % de la consommation aux États-Unis. De nouvelles hausses de prix susciteront pour tous les consommateurs des tensions entraînant vraisemblablement une remontée des retards de remboursement des prêts automobiles et des cartes de crédit, le recours au crédit renouvelable et un repli de la consommation des personnes à faible revenu.
Quels secteurs devraient être les plus vulnérables ?
Compte tenu des tarifs supplémentaires imposés à la Chine, les secteurs les plus susceptibles d’être touchés sont ceux des biens de consommation (notamment parce que les marges dans le commerce de gros et le commerce de détail seraient comprimées), ainsi que des chaînes logistiques de fabrication, notamment pour les pièces d’ordinateur et les composants électroniques. La situation pourrait aussi se répercuter sur la demande de transport et d’entreposage.
Étant donné que les tarifs douaniers visant le Canada et le Mexique sont reportés pour le moment, il est encore bon de mentionner quels sont les secteurs vulnérables si des tarifs sont adoptés le 1er mars. Du point de vue des États-Unis, les secteurs les plus menacés sont l’énergie, la production d’automobiles et de pièces automobiles, la fabrication aérospatiale, les métaux et les produits agricoles.
Comme nous l’avons indiqué dans notre plan de match sur les tarifs, nous sommes aussi conscients que les industries secondaires du secteur tertiaire, par exemple, risquent de subir des effets de domino. Prenons une usine d’automobiles dont la demande se contracte et qui est ensuite forcée de licencier des ouvriers. Ces travailleurs sont moins susceptibles d’aller au restaurant et au cinéma ou de faire d’autres dépenses « discrétionnaires », ce qui peut entraîner une nouvelle baisse de la demande, une compression des marges bénéficiaires des entreprises et, en fin de compte, des licenciements.
Conséquences pour la Réserve fédérale
Le choc tarifaire complique la tâche de la Réserve fédérale. Les tarifs douaniers nuisent à la croissance et font augmenter l’inflation en allant dans la direction opposée des deux aspects du double mandat de la banque centrale. Il est juste d’affirmer que ces tarifs feront en sorte que la Réserve fédérale aura du mal à ramener l’inflation à sa cible. Cela dit, nos stratégistes en matière de taux des États-Unis s’attendent à ce que la Fed continue de s’en remettre aux données et ne réagisse pas immédiatement aux annonces de tarifs. Blake Gwinn, chef, Stratégie des taux américains, a écrit ce qui suit :
« Nous pensons que la Fed va réagir aux données, et non aux attentes. Il est vrai que la politique (en théorie) a un effet décalé et, par analogie avec le hockey, la Fed veut généralement se rendre à l’endroit où la rondelle se dirige, et non pas là où elle se trouve. Mais l’incertitude est trop grande à l’heure actuelle pour exprimer à l’avance toute opinion particulière sur la situation tarifaire d’ici neuf à douze mois et sur ce que cela signifierait pour chaque aspect du double mandat de la Fed. »
Alors que la Fed continuera de surveiller attentivement les tendances inflationnistes sous-jacentes (c.-à-d. en ce qui concerne les services de base), le choc à court terme sera probablement davantage ressenti dans le secteur des biens de base. Les forces déflationnistes qui ont été à l’œuvre dernièrement seraient alors presque assurément enrayées, de sorte que l’inflation de base pourrait se rapprocher de 3,0 % d’une année sur l’autre. Or, les risques les plus grands incluent également la possibilité de propagation à d’autres secteurs, à savoir une nouvelle accélération des coûts de construction et de logement. Si les coûts du logement, des aliments et d’autres produits de première nécessité continuent d’augmenter sans cesse, les consommateurs seront probablement prompts à exiger de meilleurs salaires, ce qui risquerait de déclencher une spirale prix-salaires.
Mike Reid est premier économiste, États-Unis, à RBC. Il est chargé d’établir les perspectives économiques de RBC pour les États-Unis, de commenter les indicateurs macroéconomiques et de rédiger des analyses concernant le contexte économique.
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