L’état de l’économie canadienne demande une quadrature du cercle, comme l’indiquent deux tendances contradictoires qui semblent vraies.

Premièrement, dans l’ensemble, les bilans des ménages canadiens n’ont jamais semblé aussi solides. De manière générale, les ménages disposent d’un niveau d’épargne record. Mais sous la surface, des signes montrent clairement que le consommateur canadien moyen éprouve des difficultés. Les taux de défaillance augmentent, la demande concernant des services comme les banques alimentaires atteint des niveaux records et les dépenses par habitant des ménages diminuent comme si l’économie était en récession.

La pièce manquante qui relie ces deux observations est que l’accumulation de l’épargne des ménages n’a pas été répartie équitablement. Tout va bien dans le haut de l’échelle des revenus. En effet, un revirement spectaculaire s’est produit en faveur des dépôts à terme pour l’épargne dont les ménages n’ont pas besoin dans l’immédiat et qui ne sera probablement pas dépensée rapidement. Dans le même temps, les hausses des taux d’intérêt et des prix, ainsi que l’augmentation du taux de chômage, réduisent le pouvoir d’achat des groupes à faibles revenus.

Les personnes à revenu faible ou moyen ressentent de plus en plus de pression

Au Canada, les personnes aux revenus les plus faibles ont toujours consacré la plus grande partie de leur salaire net à des dépenses essentielles comme celles pour le logement, les services publics, l’épicerie et le transport. Celles qui sont dans la tranche inférieure de 20 % des revenus s’endettent pour acheter des produits de première nécessité.

Ce groupe a bénéficié d’un répit pendant la pandémie, lorsque les transferts gouvernementaux aux ménages ont compensé les pertes de revenus. Mais aujourd’hui, ceux qui en font partie sont de retour là où ils étaient en 2019, les produits de première nécessité représentant 105 % du revenu disponible de leur ménage.

La situation des personnes à revenu moyen (ceux qui sont dans la tranche de 40 % à 60 % de la distribution des revenus) est également devenue exceptionnellement tendue. En 2023, elles ont consacré la plus grande partie de leur salaire net aux produits de première nécessité depuis 1999. Elles ont dépensé 17 % de plus que leur salaire net en 2024, ce qui implique une « désépargne ». Ce pourcentage se compare à un taux de désépargne de 9 % en 2019. Pressé par des paiements hypothécaires plus élevés et l’augmentation des coûts des produits de première nécessité, ce groupe a complètement épuisé son « excédent » d’épargne accumulée lors de la pandémie.

Les personnes aux revenus les plus élevés augmentent leur épargne

En revanche, les Canadiens qui ont le revenu le plus élevé (la tranche supérieure de 20 %) accumulent collectivement une épargne abondante. Ils épargnent environ un tiers de leur salaire net chaque trimestre. Depuis 2020, ce groupe est le seul qui n’a pas connu de forte baisse de l’épargne accumulée lors de la pandémie. Les 40 % de personnes les mieux rémunérées du pays sont à l’origine de 60 % de l’appréciation des actifs financiers depuis 2019. Voilà qui explique pourquoi les dépôts des ménages ont augmenté sensiblement tandis que les banques alimentaires peinent à répondre à la demande.

Touchés par la hausse des prix et le marché de l’emploi

Les effets d’une inflation qui n’avait jamais été aussi élevée depuis des décennies continuent de nuire aux Canadiens à faible revenu. L’inflation est revenue à la cible de 2 % de la Banque du Canada et la croissance des salaires a tout juste éclipsé la hausse des prix, ce qui signifie que les niveaux de salaires moyens par rapport à 2019 ont dépassé l’inflation. Toutefois, cela ne reflète pas convenablement la façon dont les ménages canadiens ressentent l’inflation. Une part plus importante des dépenses totales des personnes à faible revenu est consacrée aux produits de première nécessité, dont les prix sont ceux qui ont le plus augmenté pendant la reprise consécutive à la pandémie. Les prix des produits alimentaires se sont accrus de 25 % par rapport à la période précédant la pandémie, tandis que les prix de l’essence ont augmenté de 33 %.

En outre, les personnes aux revenus les plus faibles au Canada ont été les plus vulnérables aux pertes d’emploi, alors que les offres d’emploi sont inférieures au nombre de demandeurs. La classe moyenne a également enregistré la plus faible croissance du revenu disponible des ménages. Pour ce groupe, la croissance du salaire moyen n’est que de 3,7 % sur trois ans, contre 13 % pour les mieux rémunérés. Il n’a pas bénéficié des importants transferts gouvernementaux reçus par les personnes aux revenus les plus faibles, mais il ne se porte pas non plus aussi bien que les personnes aux revenus les plus élevés du Canada. Les 40 % de personnes les mieux rémunérées du pays ont été à l’origine de 70 % de la croissance des salaires au cours des trois dernières années.

La Banque du Canada a pour objectif de promouvoir le bien-être financier de tous les Canadiens, mais une reprise inégale rend sa mission exceptionnellement difficile. Le haut niveau des taux d’intérêt fait augmenter le coût des emprunts et ralentit la demande, ce qui finit par exercer une pression à la baisse sur l’inflation. Cependant, des taux d’intérêt élevés se traduisent également par un accroissement des rendements des placements et de l’épargne pour les plus fortunés du Canada, créant ainsi une disparité de revenus plus prononcée entre tous les ménages.

Carrie Freestone est économiste à RBC. Elle produit des analyses sur le marché du travail et est membre du groupe d’Analyse régionale, où elle contribue à l’établissement des perspectives macroéconomiques de la province.

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