Un défi important attend le gouvernement fédéral dans l’établissement du budget qu’il déposera le 28 mars : mettre sa politique climatique sur les rails tout en empêchant les investissements dans les actifs à faibles émissions de carbone d’affluer vers les États-Unis, sous l’impulsion de la loi américaine sur la réduction de l’inflation.
La concurrence dans les secteurs liés au climat sera au premier plan lorsque le président américain Joe Biden se rendra à Ottawa cette semaine. Grâce à la loi sur la réduction de l’inflation, les États-Unis sont parvenus à restaurer leur crédibilité sur le plan climatique ainsi qu’à changer la donne. Les généreuses subventions accordées aux producteurs pour faire baisser les coûts de la décarbonisation à l’échelle nationale font du pays un investisseur de taille dans le secteur mondial de la réduction des émissions. Le Canada devra redoubler d’efforts pour faire concurrence à son voisin du Sud dans ce domaine.
Contrairement à la croyance populaire, le Canada possède la capacité d’égaler les investissements pour le climat prévus dans la loi sur la réduction de l’inflation. Il pourrait allouer environ 12 milliards de dollars par année pour parvenir à une réduction de 10 % des émissions, comme le prévoit la loi. La plupart des provinces pourraient également accroître leurs actions. Pour ce faire, les deux ordres de gouvernement devront faire preuve de retenue à l’égard des dépenses consacrées à d’autres fins.
La question va toutefois bien au-delà de l’argent : il faut se demander comment le Canada peut être stratégiquement concurrentiel. S’il parvient à égaler la portée de la loi sur la réduction de l’inflation, il risque d’épuiser son enveloppe de financement et de limiter les retombées sur l’économie canadienne. Notons toutefois que les émissions du Canada diffèrent de celles des États-Unis. Des dispositions semblables à celles prévues par cette loi ne permettront pas de diminuer les émissions aussi fortement qu’au sud de la frontière.
Le Canada a besoin d’un nouveau plan judicieux pour maximiser sa capacité unique de favoriser la transition énergétique à l’échelle mondiale. L’adoption de mesures dans certains secteurs stratégiques lui permettra de saisir la valeur ajoutée associée à la technologie canadienne et de réduire les émissions.
Liste de contrôle climatique du Canada
~ 18 milliards de dollars contre 35 milliards de dollars
Investissements liés à la transition en 2022 par rapport aux besoins annuels pour l’atteinte des objectifs de 2030
12 milliards de dollars par année
Nouveaux investissements du gouvernement fédéral requis pour égaler ceux prévus dans la loi sur la réduction de l’inflation
Électricité, pétrole, gaz, transport
Secteurs où il faudra investir le plus pour atteindre les objectifs de 2030
19 $ contre 21 $ la tonne
Investissements du Canada et des États-Unis dans la transition énergétique en 2021
1. En considérant la loi sur la réduction de l’inflation comme un instrument de lutte contre les changements climatiques, et non comme un élément de concurrence
La loi sur la réduction de l’inflation ne constitue pas un appel à la concurrence en vue de la réduction des émissions. La politique climatique de base du Canada est solide. Elle comporte une tarification du carbone, des règlements et des investissements. Elle n’est toutefois pas assez ambitieuse pour que le pays atteigne ses objectifs de 2030. Le Canada doit commencer à planifier les mesures de réduction qu’il devra adopter immédiatement après cette année-là. Pour ce faire, il peut s’inspirer de l’approche prévue par la loi américaine sur la réduction de l’inflation.
Celle-ci prévoit des investissements en amont élevés dans les énergies propres, comme l’hydrogène, l’électricité et les carburants renouvelables, qui contribueront à la décarbonisation dans l’ensemble des secteurs. L’octroi de subventions favorise les investissements privés et réduit les coûts pour les ménages et les consommateurs industriels. Il favorisera donc l’adoption de technologies axées sur les énergies propres et la diminution des émissions aux États-Unis.
La tarification du carbone au Canada stimulera aussi les investissements, mais l’incertitude entourant la technologie, le manque d’infrastructures et d’autres obstacles pourraient se traduire par un déploiement technologique insuffisant pour réduire les coûts et les émissions à temps. La politique canadienne doit prévoir des mesures semblables à celles de la loi sur la réduction de l’inflation pour que le pays se dote d’une approche systémique de décarbonisation, car de tels investissements représentent un pas dans la bonne direction. Le secteur de l’électricité joue un rôle crucial : l’élimination des obstacles à la construction d’infrastructures électriques pourrait réduire les émissions du réseau, faire baisser les coûts de transition et maintenir les coûts de l’énergie à un niveau abordable.
Toutes ces mesures faciliteraient la décarbonisation. De plus, elles ouvriraient la voie à de nouveaux secteurs ne générant pas d’émissions et à des investissements supplémentaires dans des entreprises soucieuses des émissions, ce qui favoriserait le développement de la propriété intellectuelle, les exportations et la saisie de nouvelles occasions économiques.
2. En misant sur les avantages du Canada
L’élaboration d’une stratégie est primordiale. Une politique industrielle expansionniste visant à se livrer à une guerre de subventions dans trop de domaines risque d’aboutir à des résultats médiocres et de ralentir le rythme de la décarbonisation mondiale. Le Canada n’a pas besoin de s’engager dans l’ensemble des secteurs. Il devrait plutôt privilégier les activités économiques à forte valeur ajoutée pour lesquelles il bénéficie d’avantages sectoriels à l’échelle mondiale.
La loi sur la réduction de l’inflation a d’ailleurs renforcé les avantages du Canada en lui donnant accès à des marchés américains en pleine croissance. Les concessions obtenues de haute lutte sur la chaîne d’approvisionnement nord-américaine de véhicules électriques en sont un exemple. Cependant, dans certains cas, la saisie de valeur a été plus difficile, car les généreuses mesures incitatives américaines orientent les investissements vers les États-Unis.
La capture du carbone en est un bon exemple : les entreprises en démarrage canadiennes bénéficient d’énormes avantages liés à leur expérience, et le Canada est doté d’un vaste substrat géologique pour la séquestration du carbone.
En facilitant le déploiement des technologies de capture du carbone à l’échelle du pays, le Canada peut réduire ses émissions, poursuivre le développement de ces technologies et créer une industrie nationale qui exporte l’équipement et son savoir-faire en capture du carbone dans le monde entier.
Ces avantages sont certainement à notre portée. L’industrie lourde n’est pas établie ici par hasard : le Canada représente un endroit attrayant pour produire et vendre de l’acier, du ciment et des produits chimiques. Lorsque la décarbonisation de ces secteurs sera réalisée, ils bénéficieront de solides perspectives économiques à faible émission de carbone et la réduction de leurs émissions sera considérée comme définitive.
Les autres secteurs dans lesquels le Canada possède un avantage lié à l’expérience comprennent la recherche et l’innovation dans les technologies propres, la production à forte consommation d’électricité (puisque le réseau propre du Canada offre des avantages liés aux émissions de périmètre 2), les chaînes d’approvisionnement de minéraux essentiels et les carburants renouvelables.
3. En mettant en place des structures aptes à maintenir la valeur ajoutée
Le Canada gagnerait à aller au-delà des domaines de la chaîne de valeur où il dispose d’avantages liés à l’expérience. Il est essentiel pour le pays de faire appel à de nouveaux secteurs à forte valeur ajoutée pour se prémunir contre la baisse des revenus réels découlant de la transition hors des secteurs traditionnels.
Cela dit, la concurrence sera féroce dans les domaines où les avantages du Canada sont marginaux. Il sera nécessaire qu’il réagisse plus vigoureusement, notamment vis-à-vis de la chaîne d’approvisionnement des batteries, qui connaît un essor important. Les usines de ce secteur bénéficient de nombreuses subventions. Selon certaines estimations, les crédits d’impôt américains pour une seule méga-usine pourraient s’élever à deux milliards de dollars par année.
Le Canada renoncera à toute mesure de stimulation économique s’il ne peut allouer ces investissements aux secteurs où il bénéficie d’avantages, puisque les effets de réseau faciliteront la saisie de la valeur de la chaîne en amont ou en aval. La formation d’une main-d’œuvre qualifiée ou la recherche et le développement inciteront le pays à exploiter ces occasions.
Les chaînes d’approvisionnement de minéraux essentiels constituent un exemple convaincant : le Canada possède de solides avantages dans le secteur minier et un fort potentiel de raffinage grâce à son réseau propre. La fabrication cellulaire et l’assemblage de batteries font partie des principaux secteurs à valeur ajoutée susceptibles de stimuler la demande de minéraux canadiens et d’assemblage en aval. Compte tenu de la concurrence mondiale, le Canada doit d’abord améliorer sa position. Les investissements dans la qualification de la main-d’œuvre et l’infrastructure pour des batteries innovantes, combinés à l’accès aux marchés américains font du Canada un choix logique pour de futurs établissements, et ce, sans mesures budgétaires importantes.
4. En recourant à de vastes instruments transparents dans des secteurs ciblés
La rapidité et la transparence du régime fiscal concernant les décisions d’investissement et de prêt font partie des principaux atouts de la loi américaine sur la réduction de l’inflation. Les crédits d’impôt assurés et transparents aux États-Unis contrastent avec l’incertitude et la volatilité liées aux prix des crédits de carbone au Canada, et avec l’opacité de ses programmes de subventions. Il est plus facile d’obtenir des prêts avec des crédits d’impôt, qui favorisent la mobilisation de fonds privés pour la lutte contre les changements climatiques.
Le gouvernement devrait éviter d’avoir recours à des instruments sur mesure dont l’exécution est lente, comme le Fonds stratégique pour l’innovation. Il gagnerait plutôt à mettre en place des mesures fiscales précises pour favoriser le développement de l’ensemble des secteurs clés. La population canadienne aurait ainsi la possibilité de savoir exactement ce qu’elle finance et de s’unir autour d’une nouvelle stratégie économique.
Cynthia Leach contribue à façonner la description et le programme de recherche liés à l’analyse économique et stratégique prospective de l’équipe Services économiques et leadership avisé RBC. Elle s’est jointe à l’équipe en 2020. Auparavant, Mme Leach était cadre au ministère des Finances Canada où elle dirigeait tout récemment une équipe responsable de la politique de financement du logement.
Colin Guldimann est entré au service de RBC en 2019, à titre d’économiste. Il est titulaire d’un baccalauréat en économie de l’Université d’Ottawa et d’une maîtrise ès arts en économie de l’Université de Colombie-Britannique. Avant de se joindre à RBC, M. Guldimann analysait les politiques liées aux prêts hypothécaires, au logement et à l’économie au ministère des Finances du Canada.
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