Le prix de l’énergie est le dernier bulletin de la série sur le climat des groupes Services économiques et Leadership avisé de RBC. Il fait suite au rapport phare de l’équipe, Une transition à 2 billions de dollars. Cette série sur le climat vise à informer et à donner des idées pour assurer la prospérité du Canada ; elle appuie également l’engagement de RBC à défendre des solutions climatiques intelligentes, un pilier clé de la Stratégie climatique RBC. Son électricité propre sera la pierre angulaire de l’économie carboneutre. Il sera essentiel au cours de la prochaine décennie de développer adéquatement le réseau électrique carboneutre du Canada.
Le Canada est-il prêt à faire face à une hausse de 50 % de la consommation d’électricité au cours de la prochaine décennie ? C’est un défi de taille, même improbable au rythme où les décisions sont prises à l’heure actuelle. Ajoutez à cela une autre complexité : nous nous sommes engagés à établir un réseau carboneutre d’ici 2035, mais le gaz naturel continue de présenter un argument convaincant en matière d’économie et de fiabilité.
La situation est devenue urgente en Ontario, le moteur économique du Canada, qui connaîtra des pénuries d’énergie dès 2026, et qui doit décider entre diverses sources d’énergie, y compris l’élimination totale du gaz de son réseau. D’autres provinces devront aussi bientôt prendre de telles décisions difficiles et coûteuses d’ici dix ans. Si elles se trompent, le Canada pourrait subir le même sort que l’Europe et être aux prises avec un réseau inadapté et peu sûr en matière d’énergie qui fait grimper les factures des consommateurs.
Il n’y a pas un moment à perdre, d’autant plus que les États-Unis et d’autres concurrents envisagent une décarbonisation rapide de leurs infrastructures énergétiques à la suite de la crise énergétique déclenchée par la Russie.
Le Canada ne devrait pas se contenter de leur emboîter le pas, il doit accélérer l’expansion de son réseau électrique ou risquer de prendre du retard dans une nouvelle course au réseau carboneutre.
Voici l’ampleur du défi que devront relever nos décideurs au cours des trois prochaines décennies :
Principales conclusions
L’énergie éolienne et solaire devraient être les principaux ajouts au réseau canadien à court terme, mais d’autres sources ont un rôle à jouer. Les décideurs devront gérer les coûts liés aux fluctuations de l’énergie éolienne et solaire en tirant parti de l’éventail d’options à notre disposition.
Le gaz naturel est inévitable dans le bouquet énergétique à court et à moyen terme. Le maintien des centrales au gaz existantes au moins jusqu’en 2035 est probablement la meilleure façon de relever les défis à court terme, tandis que nous tentons de favoriser une transition en douceur vers un réseau carboneutre.
L’Ontario sera la première à faire face à ce dilemme. La province pourrait connaître des pénuries d’énergie dès 2026, surtout à l’échéance des contrats des centrales d’énergie renouvelable et des centrales au gaz. Dans les années 2030, la demande accrue nous obligera à choisir entre de nouvelles centrales au gaz naturel en misant sur la capture du carbone, l’expansion du nucléaire ou de l’hydroélectricité ou miser tout sur l’énergie éolienne, solaire et le stockage.
L’Alberta et la Saskatchewan font aussi face à des choix difficiles. Les Prairies peuvent tabler sur leurs excellentes ressources solaires et éoliennes, mais le rôle important qu’a joué le charbon signifie que les producteurs prévoient se convertir au gaz à court terme. La question est de savoir combien de temps ces centrales et toute nouvelle centrale au gaz seront exploitées ; un débat plus politique compte tenu de l’abondance de gaz dans la région.
Le Canada a le choix entre une électricité carboneutre moins chère ou fiable, mais il lui sera difficile d’avoir les deux. Un projet d’énergie éolienne ou solaire coûte 40 $ US par MWh, contre 60 $ US par MWh pour l’énergie au gaz. Ajoutez 70 $ de plus par MWh pour une centrale au gaz équipée d’un système de captage du carbone, ou 230 $ par MWh pour la petite part d’énergie renouvelable que nous devons stocker par batteries, et l’énergie électrique et nucléaire commencent à devenir intéressantes même si elles sont plus chères.
Les tarifs d’électricité pourraient augmenter de 30 %. Parallèlement à la hausse des factures d’électricité, les dépenses globales en énergie des consommateurs diminueront à mesure que les véhicules électriques et les pompes à chaleur résidentielles plus efficaces remplaceront les voitures à essence et les générateurs d’air chaud à gaz naturel.1
Le nucléaire doit jouer un rôle dans le réseau canadien résilient aux changements climatiques. Notre modélisation montre qu’un réseau qui intègre et table sur le nucléaire (et l’hydroélectricité) pourrait être plus abordable. Un réseau ne reposant que sur l’énergie renouvelable avec stockage par batteries pourrait faire grimper les coûts annuels de 7 milliards de dollars, tandis que la hausse serait réduite d’environ de moitié dans le cas d’un réseau plus diversifié.
L’hydroélectricité est l’atout du Canada. La source sans émission peut servir d’énergie de base et les réservoirs peuvent pallier les approvisionnements intermittents en énergie éolienne et solaire. Exclure les projets hydroélectriques du réseau parce qu’on les juge actuellement chers – compte tenu du temps qu’ils prennent à construire – risque d’éliminer une source rentable et durable à long terme.
Le secteur canadien de l’électricité entreprend un changement générationnel
Aujourd’hui, le Canada est une centrale électrique propre. Grâce à nos vastes ressources hydroélectriques et au développement ambitieux de barrages depuis le début des années 1900, nous disposons d’une électricité à 80 % non émettrice partout au pays. L’hydroélectricité est aussi en grande partie responsable des tarifs d’électricité peu élevés au Canada2 , mais elle n’est offerte que dans certaines régions du pays.
Une révision majeure s’imposerait pour que le réseau double en importance d’ici 2050. Nous aurons d’abord besoin de mises à niveau importantes de l’infrastructure de distribution de l’énergie, quelle que soit la façon dont elle est produite, à mesure qu’un plus grand nombre d’entreprises s’électrifieront. À Hamilton, les aciéries remplacent le charbon par des fours électriques à arc, en Colombie-Britannique, les routes comptent plus de véhicules électriques que jamais auparavant, et des projets se dessinent au Québec pour la construction d’une grande centrale à hydrogène vert alimentée à l’hydroélectricité.
Ces entreprises espèrent que l’électrification les aidera à atteindre la carboneutralité. Les décideurs doivent s’attaquer à l’élimination progressive du charbon et prendre en compte la croissance du gaz naturel et ses émissions. Des décisions politiques éclairées face à l’incertitude entourant le moment où les véhicules électriques seront plus nombreux que les voitures ordinaires et où les pompes à chaleur remplaceront les générateurs d’air chaud à gaz pourraient ouvrir la voie à une renaissance du secteur de l’électricité, qui favorisera un réseau sécuritaire et résilient face aux changements climatiques.
Nous devons agir : ce que les provinces font aujourd’hui, surtout en ce qui concerne les centrales au gaz naturel, les infrastructures électriques et les programmes d’efficacité énergétique, commencera à réduire nos options ou à déterminer les coûts futurs. Mettre en branle de nouveaux projets d’énergie électrique en misant sur un vaste éventail d’options évitera d’avoir à décider des aspects plus difficiles – nouvelles centrales au gaz, batteries coûteuses – pendant un peu plus longtemps.
Le Canada peut emprunter un certain nombre de voies pour atteindre ses objectifs d’électricité carboneutre, mais chacune vient avec ses propres défis.
Les années 2020 : remplacement du charbon, nucléaire (et gaz ?)
Ne cherchez pas plus loin que l’Ontario pour le défi immédiat que représente l’électricité au Canada.
La province la plus peuplée du pays pourrait connaître une pénurie d’énergie dès 2026, et le problème s’aggravera à mesure que les contrats des centrales d’énergie renouvelable non hydroélectrique et des centrales au gaz viendront à échéance. Sans pouvoir compter sur ces installations pour produire de l’énergie, les Ontariens pourraient faire face à d’importantes pénuries d’ici 2030.
Alors que des générateurs constants d’énergie comme les centrales nucléaires et au charbon sont remis en état ou fermés, l’augmentation de la production de gaz naturel reste la solution privilégiée. L’exploitant du réseau électrique de l’Ontario a récemment publié une perspective selon laquelle les émissions devraient presque tripler d’ici la fin de la décennie, étant donné que les centrales au gaz répondent à la demande croissante et pallient la baisse de la production d’énergie nucléaire.
Les questions à se poser : la province devrait-elle prolonger l’utilisation des centrales au gaz existantes pour combler le manque à gagner à court terme et devrait-elle construire de nouvelles centrales au gaz ou construire beaucoup plus de centrales d’énergie renouvelable pour combler le manque à gagner des années 2030 ?
À court terme, conserver les centrales au gaz qui sont déjà en exploitation et combler le manque à gagner en construisant rapidement et à moindres frais des centrales d’énergie renouvelable semble la chose en faire, en plus que cela permettrait de maintenir les émissions du secteur de l’électricité.
La province l’a déjà fait par le passé. Entre 2008 et 2019, la production de charbon en Ontario a chuté de 22 térawattheures (TWh), passant de 14 % de la production d’énergie de la province à zéro. Initialement, la production de gaz a comblé jusqu’à 70 % de ce déficit, doublant entre 2008 et 2011. Par la suite, le nucléaire et l’énergie renouvelable se sont développés suffisamment pour remplacer le gaz. À la suite d’une politique délibérée, la capacité installée d’énergie renouvelable de l’Ontario est devenue la plus importante au pays3 .
D’autres provinces, où le manque créé par l’abandon du charbon est plus important et où le gaz joue un rôle plus significatif, sont confrontées à un plus grand défi. L’Alberta, la Saskatchewan et la Nouvelle-Écosse devront éliminer progressivement les centrales au charbon sans augmenter ni maintenir les émissions produites par leur réseau.
La bonne nouvelle : le coût de l’énergie éolienne et solaire a tellement diminué – d’environ 70 % et de 90 %, respectivement – qu’elles permettent maintenant de produire la nouvelle électricité la moins chère. Partout au Canada, le développement de l’énergie éolienne et solaire a connu une croissance exponentielle et continuera de croître rapidement, compte tenu de la construction rapide des centrales. Par ailleurs, les Prairies, où l’élimination du charbon est la plus difficile, comptent parmi les meilleurs sites de production d’énergie éolienne et solaire du Canada.
Les provinces qui font face à des défis à court terme devraient certainement miser sur la construction de centrales d’énergie renouvelable, la réduction des inefficacités et le maintien de leur capacité actuelle en gaz. Les choix les plus difficiles sont encore à venir.
Les années 2030 et 2040 : une croissance semée d’embûches
L’État ensoleillé de la Californie qui a intégré une grande part d’énergie solaire dans son réseau électrique présente un défi unique. Lorsque le soleil cesse de briller, elle doit trouver une quantité importante d’énergie rapide à produire. Le gaz est une solution, comme le sont les batteries. Le premier augmente les émissions et les secondes augmentent les coûts.
La Californie offre une belle leçon. Le Canada comptera probablement davantage sur l’énergie éolienne, qui présente moins de problèmes que l’énergie solaire, mais qui est moins prévisible au quotidien. Nous aurons besoin d’investissements dans le stockage, car les coûts de stockage d’électricité pourraient coûter 13 milliards de dollars de plus par année d’ici 2035 si le coût des batteries ne diminue pas.
Les provinces qui misent sur l’énergie renouvelable au lieu du gaz naturel verront leurs coûts diminuer à moyen terme, mais risquent de les voir grimper à long terme lorsque leurs besoins de stockage augmenteront.
Les provinces où l’abandon du charbon signifie que de nouvelles installations au gaz peuvent encore réduire les émissions les utiliseront probablement pour éviter les problèmes de stockage.
Une norme fédérale en matière d’électricité propre – une série de règlements limitant la quantité d’électricité polluante que les centrales peuvent émettre – pourrait empêcher cette nouvelle production de gaz, ou favoriser les systèmes de capture du carbone qui pourraient coûter 5 milliards de dollars par an d’ici 2035.
Dans les deux cas, la transition risque d’être freinée. Si les émissions de l’électricité augmentent, les entreprises qui dépendent de l’électricité propre pour réduire leur empreinte carbone pourraient avoir du mal à se tailler une place sur les marchés qui accordent de plus en plus d’importance à la durabilité. Des factures d’électricité plus élevées pourraient aussi décourager les consommateurs d’adopter les véhicules électriques et les pompes à chaleur, ce qui ralentirait la réduction des émissions à l’échelle de l’économie.
Les incertitudes entourant la croissance de la demande dans les années 2030 et les défis à long terme de l’énergie renouvelable intermittente signifient que les provinces doivent se demander s’il vaut mieux construire des installations au gaz naturel supplémentaires et risquer de rater la cible de 2035 d’un réseau flexible en service, ou s’il vaut mieux se fier entièrement à l’énergie non émettrice.
De nombreuses prévisions supposent une forte croissance de la demande, même à court terme, alimentée par la politique gouvernementale. Les prévisions supposent souvent que le gouvernement renforcera ses cibles de VE, par exemple. Mais les gouvernements peuvent changer. Les facteurs de la demande de véhicules sont aussi complexes : l’infrastructure de recharge des véhicules électriques demeure un obstacle important au Canada, comme l’ont souligné 85 % des Canadiens qui ont participé à un récent sondage de KPMG et qui se soucient des temps d’attente aux chargeurs publics qui sont trop peu nombreux.
Construire de nombreuses installations aujourd’hui, dans une perspective de demande incertaine, risque d’augmenter considérablement les coûts du réseau. L’analyse pour l’Ontario montre déjà que les coûts de production d’électricité augmenteront, bien que les factures globales d’énergie soient susceptibles de diminuer, puisque les consommateurs qui ont des VE évitent les coûts de l’essence.
Bien que les réseaux d’énergie solaire et éolienne puissent être construits rapidement, ils présentent tout de même des défis. Pensons à ce qui s’est produit en Europe cet été : avec la pénurie de gaz russe, les perturbations provoquées par les changements climatiques ont profondément affecté les prix de l’énergie. La sécheresse a considérablement fait baisser le niveau des réservoirs hydroélectriques dans des régions habituellement humides de Norvège, et des vagues de chaleur record ont pesé sur la disponibilité de l’énergie éolienne et réchauffé les rivières à un point tel que les centrales nucléaires ne peuvent pas les utiliser pour refroidir les réacteurs sans exemption des exigences environnementales.
Au cours de cet horizon temporel, les planificateurs devraient se demander s’il existe des moyens de réduire l’utilisation du gaz et de limiter la fréquence à laquelle il est nécessaire d’en produire en évaluant le besoin d’énergie renouvelable (avant que le coût de stockage par batteries commence à diminuer). Alors que nous déciderons de la voie à suivre dans les années 2030, les solutions de rechange qui permettent d’éviter ces choix difficiles méritent d’être examinées plus en détail.
À quoi pourrait ressembler un réseau carboneutre ?
Il y a de bonnes nouvelles : le Canada dispose de quatre options principales pour l’intégration des sources d’énergie intermittentes à long terme.
Chacune d’elles présente certains avantages, mais pose aussi plusieurs défis. Nous utiliserons probablement une combinaison des quatre, mais elles valent la peine d’être explorées séparément.
En tirant parti de l’étendue géographique du Canada, l’énergie peut être transportée de l’endroit où il est possible de la produire le plus efficacement possible à l’endroit où elle est nécessaire. Cela exigerait d’échanger de l’énergie entre les provinces qui ont de bonnes ressources éoliennes et solaires et celles qui produisent beaucoup d’hydroélectricité. Pendant les périodes où la production d’énergie solaire et éolienne est élevée, nous enverrions de l’énergie renouvelable aux provinces productrices d’hydroélectricité, et la nuit ou les jours plus calmes, l’hydroélectricité pourrait prendre le chemin inverse. Dans la plupart des études, cela contribuerait à la décarbonisation de l’Alberta, de la Saskatchewan, de la Colombie-Britannique, du Québec et des Maritimes.
Le défi ? La construction des infrastructures de transport d’énergie s’est toujours avérée difficile sur le plan politique. À l’échelle transfrontalière, un projet d’Hydro-Québec est actuellement examiné par la Cour suprême du Maine. Les lignes interprovinciales ne sont pas plus faciles à mettre en place : alors qu’une ligne de transport a pu être établie du Manitoba au Minnesota sans subvention, une ligne semblable vers la Saskatchewan a profité d’un important financement du fédéral, probablement parce que l’aspect économique de la ligne était moins convaincant. Un réseau qui dépendrait fortement de l’énergie renouvelable pourrait nécessiter de doubler la capacité de notre système de transport de haute tension actuel. Cela pourrait être difficile.
En l’absence d’une infrastructure de transport plus robuste, nous nous sommes appuyés sur des générateurs à gaz souples pour atténuer les fluctuations de l’énergie éolienne et solaire. À long terme, cette solution entraînerait des émissions problématiquement élevées. Pour atteindre la carboneutralité, nous devons équiper les centrales au gaz d’unités de capture, d’utilisation et de stockage du carbone (CUSC). Cela les rendrait beaucoup plus coûteuses à exploiter, comme nous l’avons mentionné plus haut, mais maintiendrait la capacité de répondre à la production changeante d’énergie renouvelable en temps réel.
Le défi est que la capture du carbone est encore relativement peu éprouvée : la seule centrale au gaz au monde à capter le carbone a cessé ses activités en 2005, et si la technologie subit de fréquentes pannes, elle pourrait entraîner des émissions plus élevées que prévu (ce qui s’est récemment produit dans plusieurs nouvelles installations). Le stockage de carbone nécessite également une géologie précise (il n’est donc une option que dans certaines régions du pays), et suppose que l’extraction du gaz naturel va aussi complètement se décarboniser. Bien que les investissements proposés dans le CUSC puissent offrir des percées, ces risques sont importants et, s’ils ne sont réalisés que tard dans les années 2030, cela pourrait menacer l’activité économique que la production d’énergie propre du Canada pourrait attirer.
Le stockage de l’énergie générée par l’énergie renouvelable, soit en chargeant des batteries pendant qu’elles en produisent plus que nécessaire, soit en utilisant l’énergie excédentaire pour pomper l’eau dans les réservoirs et la libérer par la suite par des turbines est une option viable. Traditionnellement utilisées pour arbitrer les prix de l’électricité, les centrales hydroélectriques de pompage présentent un réel potentiel au Canada ; cependant, avec une seule installation en exploitation construite en 1957, il est difficile de savoir combien une nouvelle centrale pourrait coûter. Il sera utile d’aplanir les différences saisonnières dans le domaine de l’énergie éolienne, qui sera probablement concentrée dans des régions montagneuses du pays, comme la Colombie-Britannique4 . Même si les centrales hydroélectriques de pompage constitueront une nouvelle ressource importante pour certaines régions clés du pays, comme l’Ontario, de nombreuses provinces compteront davantage sur les batteries.
Le principal défi d’un réseau à capacité de stockage élevée est le coût. Une capacité de production supplémentaire et le coût des batteries elles-mêmes augmenteraient encore le prix de l’électricité, alors que l’inflation les fait déjà grimper. Par rapport au coût des centrales au gaz susmentionnées, le stockage de l’électricité pourrait coûter sept milliards de dollars de plus chaque année. L’avantage de payer cette prime : la garantie d’un réseau à faibles émissions.
Un autre défi important : la production des principaux métaux entrant dans la fabrication des batteries, comme le nickel, le cobalt et le lithium, et des batteries elles-mêmes, dans des territoires amis, afin d’assurer la sécurité de l’approvisionnement.
La dernière option disponible remonte à la fondation du réseau électrique actuel du Canada. À mesure que la demande d’électricité augmentera, nous devrons fournir plus d’électricité presque toutes les heures de la journée. De tels besoins en énergie « de base » ont souvent été comblés par l’énergie hydroélectrique et, dans certains cas, par l’énergie nucléaire. Il y a des raisons de penser que nous en aurons encore besoin.
D’abord, les centrales nucléaires ont perdu de leur envergure : Ontario Power Generation (OPG) installera un nouveau petit réacteur nucléaire d’environ un tiers de la taille d’un réacteur traditionnel à Darlington. À titre de cas d’essai, il pourrait nous renseigner sur l’expansion du nucléaire dans d’autres régions du pays qui abandonnent progressivement le charbon et qui ont de la difficulté à installer des centrales de pompage, ainsi que dans d’autres industries. Dans ce cas, les petits réacteurs nucléaires remplaceraient certaines centrales d’énergie renouvelable et contribueraient à réduire la part de l’électricité intermittente, participant ainsi à réduire les coûts de stockage. Les leçons tirées du déploiement de ces petits réacteurs pourraient contribuer à réduire les coûts des réacteurs à venir.
Il existe aussi un important potentiel de production d’hydroélectricité au Canada. À court terme, l’optimisation et la remise en état des centrales hydroélectriques existantes sont plus sensées. Des études révèlent que, à mesure que la demande d’électricité augmente, l’hydroélectricité fournit plus de valeur au réseau, ce qui signifie que les sites hydroélectriques plus chers pourraient encore s’avérer moins chers que d’autres sources d’énergie5 . Les centrales hydroélectriques traditionnelles à réservoir offrent deux avantages principaux : elles peuvent fournir de l’énergie propre en tout temps, ce qui contribue à satisfaire la demande de base, et pallier de façon souple les énergies renouvelables intermittentes.
Pourtant, comme tous les grands projets, l’hydroélectricité et le nucléaire sont confrontés à une opposition locale plus vive. Bien que l’hydroélectricité soit dans certains cas plus chère que l’énergie renouvelable, les problèmes de coûts sont encore plus pertinents pour le nucléaire. Quoi qu’il en soit, un scénario dans lequel certaines provinces ajoutent plus d’hydroélectricité, d’énergie nucléaire et moins de batteries pour remplacer la production de gaz fait grimper leurs coûts de 4 milliards de dollars (comparativement à 7 milliards de dollars pour un scénario ne reposant que sur l’énergie renouvelable avec stockage).
Fermeture du circuit
Chaque technologie ci-dessus permet de surmonter un défi particulier, mais pose aussi ses risques uniques. Un réseau qui repose sur la technologie de CSC risque des émissions élevées, un réseau qui dépend de l’éolien souffrira des changements saisonniers et peut-être de coûts de stockage élevés, et l’hydroélectricité pourrait souffrir de sécheresses ou de dépassement des coûts.
Il y a aussi de l’incertitude quant aux technologies à venir. La technologie de CSC, le stockage par batteries et les petits réacteurs nucléaires modulaires sont cités comme des technologies susceptibles de connaître la même diminution de coûts que l’énergie éolienne et solaire a connue au cours de la dernière décennie. La disponibilité des batteries et la volatilité des prix qui en découle, les risques technologiques et l’évolution de la réglementation pourraient cependant freiner la baisse des coûts.
Pour éviter ces écueils, il faut miser sur la diversification et reconnaître que les voies menant à l’énergie carboneutre et les défis de chaque décennie ne s’excluent pas mutuellement. Ce qui est fait au cours d’une décennie aura une incidence sur une autre, et emprunter plusieurs voies à la fois peut permettre d’atténuer le risque que pose chacune d’elle.
Dans les années 2020, la meilleure option sera de se concentrer sur la conservation, sur l’utilisation des installations au gaz existantes un peu plus longtemps et sur la construction de centrales d’énergie renouvelable pour combler les lacunes. Les provinces dépendantes du charbon construiront aussi probablement de nouvelles centrales au gaz durant cette décennie. Le recours à quelques nouvelles centrales au gaz pour équilibrer un grand nombre de nouvelles centrales d’énergie renouvelable pourrait tout de même réduire les émissions à court terme. Les provinces devraient envisager de les jumeler à la capture du carbone – en faisant part des leçons tirées de cette démarche à d’autres industries – ou de cesser de les exploiter d’ici le milieu des années 2030.
D’ici là, l’hydroélectricité et le nucléaire peuvent fournir une valeur significative en empêchant que le réseau ne dépende trop de l’énergie éolienne et solaire et qu’il ait besoin de la stocker. Les sites existants peuvent être optimisés et remis en état aujourd’hui, et les planificateurs peuvent en inclure de nouveaux dans leurs perspectives. Une planification et une gestion de projet intelligentes, y compris des économies d’échelle, peuvent aider à contrôler les coûts de ces ajouts. Nous devons cependant être conscients que les mégaprojets peuvent souvent, pendant un certain temps, produire un surplus d’énergie de façon coûteuse. Associer des projets à des sources de demande précises pourrait être un bon moyen de couvrir ce risque.
L’économie verte de l’avenir exige une énergie verte, et à mesure que la population et l’économie du Canada prendront de l’expansion d’ici 2050, elle en exigera énormément. Le moment est venu de commencer à agir, si nous voulons faire la transition du secteur et répondre aux normes de fiabilité et d’accessibilité auxquelles les Canadiens s’attendent.
L’utilisation de l’énergie comme arme par la Russie a forcé le monde à réinventer ce à quoi pourrait ressembler un réseau carboneutre adaptable et abordable après 2030. Les économies développées et émergentes sont maintenant pressées de lancer de nouveaux projets de transition et d’énergie renouvelable, attirant des investissements, des matières premières et de la main-d’œuvre qualifiée. Pour demeurer dans la course, le Canada doit accélérer sa promotion de l’électricité : entre les provinces, pendant des décennies et partout au pays.
Recommandations :
Maintenir les niveaux actuels de production d’énergie au gaz dans les provinces où les défis du milieu des années 2020 sont majeurs. Bien que les émissions doivent rapidement diminuer, l’élimination progressive des installations au gaz existantes tandis qu’il est difficile de répondre à la demande de base à court terme fera considérablement grimper les coûts.
Se concentrer davantage sur la conservation à court terme. Les mesures d’efficacité énergétique peuvent réduire considérablement la demande de manière rentable. La consommation d’électricité de l’Ontario pourrait chuter de 6 % uniquement grâce au passage aux ampoules à DEL6 . En retardant la nécessité de bâtir de nouvelles installations jusqu’à ce que les perspectives soient plus sûres, se concentrer sur la conservation au cours de la présente décennie réduira le coût global de la transition.
Prolonger les cycles d’approvisionnement pour tenir compte de l’hydroélectricité et du nucléaire. Les services publics et les exploitants de réseau se procurent souvent de l’énergie de façon intermittente, lorsqu’un besoin est identifié. Cela permet de gérer le risque de surcapacité, mais signifie aussi que les projets de longue durée, comme l’hydroélectricité, figurent rarement parmi les concurrents. La participation à des processus d’approvisionnement à plus long terme permettrait aux provinces de déterminer les sites à valeur élevée en vue de leur expansion.
Récompenser les fournisseurs d’énergie souple. Au fur et à mesure que l’énergie renouvelable se développe, les producteurs qui fournissent de l’énergie constante et qui en cessent la production en période de production élevée d’énergie renouvelable devraient être récompensés pour les avantages qu’ils procurent.
Inclure la résilience aux chocs climatiques dans les perspectives. Les planificateurs doivent tenir compte des perturbations de production causées par la rareté de l’eau et du vent, ainsi que des dommages causés par la chaleur extrême à notre infrastructure de transport et de distribution. Les installations moins sensibles aux événements météorologiques extrêmes, comme l’énergie nucléaire, ont une valeur plus élevée dans un monde incertain.
Davantage de mesures incitatives que de mesures dissuasives. Les principales économies du monde dévoilent des mesures incitatives pour toutes les formes d’énergie non émettrice. Au Canada, les subventions favorisent l’énergie éolienne et solaire et la technologie de CSC, mais excluent l’hydroélectricité et le nucléaire. Les mesures incitatives et dissuasives favoriseront toutes les formes d’énergie non émettrice et maintiendront les factures d’énergie à un niveau abordable pendant la transition vers un réseau carboneutre.
Coordonner les grands projets à l’échelle des provinces pour réduire les coûts. Comme toutes les provinces envisagent d’importants projets d’électricité, la coordination de l’approvisionnement pourrait contribuer à gérer les coûts. L’approvisionnement en turbines pour 10 barrages hydroélectriques ou en réacteurs pour 10 petits sites nucléaires modulaires permettra de générer des économies d’échelle, et les ingénieurs et d’autres experts pourront éviter les temps d’arrêt. Bien que difficile, la coordination provinciale est la norme pour d’autres enjeux nationaux importants.
Yadullah Hussain, directeur de rédaction, Climat et énergie, Services économiques et leadership avisé
Cynthia Leach, première directrice, Économiste en chef adjointe
Darren Chow, premier directeur, Médias numériques, Services économiques et leadership avisé
Zeba Khan, directrice des publications, Services économiques et leadership avisé
Aidan Smith-Edgell, associé, Recherche, Services économiques et leadership avisé
1. https://climateinstitute.ca/wp-content/uploads/2022/05/Electric-Federalism-May-4-2022.pdf
2. https://www.oeb.ca/sites/default/files/rpp-price-report-20210422.pdf, table 2
3. https://renewablesassociation.ca/by-the-numbers/
4. https://www.nature.com/articles/s41467-020-14555-y
5. https://www.nrel.gov/docs/fy21osti/79225.pdf
6. https://www.ieso.ca/2019-conservation-achievable-potential-study
Remerciements
En complément des noms déjà cités dans le présent rapport, nous remercions les personnes et les organismes suivants pour leurs contributions:
- John Gorman, Association nucléaire canadienne
- Gary Sutherland, Hydro Québec
- Heather Ferguson et Eric McGoey, Ontario Power Generation
- Julia McNally et Salvatore Provvidenza, Société indépendante d’exploitation du réseau d’électricité
- David Butters, Association of Power Producers Of Ontario
- Paul Norris et Stephen Somerville, Ontario Waterpower Association
- Paisley Sim, Accélérateur de transition
- Brad Griffin, Université Simon Fraser
Colin Guldimann est entré au service de RBC en 2019, à titre d’économiste. Il est titulaire d’un baccalauréat en économie de l’Université d’Ottawa et d’une maîtrise ès arts en économie de l’Université de Colombie-Britannique. Avant de se joindre à RBC, M. Guldimann analysait les politiques liées aux prêts hypothécaires, au logement et à l’économie au ministère des Finances du Canada.
Le présent article vise à offrir des renseignements généraux seulement et n’a pas pour objet de fournir des conseils juridiques ou financiers, ni d’autres conseils professionnels. Veuillez consulter un conseiller professionnel en ce qui concerne votre situation particulière. Les renseignements présentés sont réputés être factuels et à jour, mais nous ne garantissons pas leur exactitude et ils ne doivent pas être considérés comme une analyse exhaustive des sujets abordés. Les opinions exprimées reflètent le jugement des auteurs à la date de publication et peuvent changer. La Banque Royale du Canada et ses entités ne font pas la promotion, ni explicitement ni implicitement, des conseils, des avis, des renseignements, des produits ou des services de tiers.