Si vous n'avez pas entendu parler du forum de Davos aux nouvelles cette année, vous n'êtes pas seul. Dix ans après la crise financière, au moment où le Forum économique mondial (FEM) et son cadre hivernal féérique avaient été le théâtre de débats et de protestations, l'édition de 2019 du FEM s'est déroulée sous le signe de la modération.
Sans Donald Trump, Vladimir Poutine, Theresa May, Emmanuel Macron et Justin Trudeau, ainsi que leur entourage médiatique, le climat était indéniablement serein dans la petite ville des Alpes. Peut-être l’atmosphère plus calme était-elle nécessaire pour réfléchir au chemin parcouru par le monde depuis la crise et prédire son orientation future.
C’était ma quatrième participation au forum de Davos. Cette édition a été, de bien des façons, la plus animée. À l’évidence, la lutte commerciale entre les États-Unis et la Chine, ainsi que l’issue incertaine du projet Brexit, avaient rendu nerveux les participants. Mais, les conversations sérieuses ont porté sur des enjeux qui vont bien au-delà de ces crises. Cette année, le thème était la mondialisation 4.0, un concept imaginé à Davos pour expliquer le nouvel âge des technologies intelligentes et omniprésentes qui relieront entre eux les gens et les objets de manières que ne permettaient pas les précédents moteurs de la mondialisation – la vapeur, l’électricité et l’informatique. Dans cette nouvelle ère, les machines intelligentes façonneront nos entreprises et nos collectivités, et des technologies de pointe seront intégrées à chaque objet, et possiblement à chaque personne, que nous rencontrerons. Les données ne seront pas seulement le nouveau pétrole, mais la nouvelle eau, essentielles à tous les besoins et désirs de notre société. Même si les perspectives peuvent être déstabilisantes, j’ai quitté le forum encouragé, car j’avais mieux compris de quelle manière les technologies transformationnelles et une nouvelle génération d’idées faciliteront le passage de la planète à la prochaine étape de la mondialisation, pour un monde plus humain, plus démocratique et dont la répartition est plus juste.
Voici quelques enjeux qu’il faut prendre en considération pour y arriver :
1. Le défi de la Chine
Il y a deux ans, vedette du forum de Davos, Xi Jinping avait présenté une vision d’un nouveau monde où la Chine serait à l’avant-plan. L’an dernier, c’est Donald Trump qui avait volé la vedette de manière complètement différente, projetant une perception du monde au sein duquel les États-Unis prédomineraient. Conséquence inattendue de leur absence cette année : la mise en perspective de leur relation tendue. Les dirigeants du milieu des affaires présents à Davos ont exprimé l’assurance tranquille que le litige commercial entre les États-Unis et la Chine se réglerait au cours des prochains mois. Avec les négociations de l’ALENA qui tirent à leur fin, l’équipe commerciale de M. Trump, qui manque d’effectifs, a pu se concentrer sur la Chine. De plus, les Chinois en sont venus à comprendre avec qui, et avec quoi, ils doivent composer. Enfin, les deux parties semblent accepter la réalité économique des chaînes logistiques transpacifiques, qu’il serait trop difficile de démanteler sans préjudice grave pour les deux pays.
“ Les Chinois se sont imposé à Davos avec le message clair qu’ils ne se soumettront pas à la perception du monde de Washington.”
Même en cas de résolution du litige commercial, ce sera un début plutôt qu’une fin. Avec Xi, les Américains ont découvert la détermination des Chinois à créer un nouvel ordre économique mondial. Et avec Trump, les Chinois ont découvert la détermination des Américains à résister à cet ordre. Les Chinois se sont imposé à Davos avec le message clair qu’ils ne se soumettront pas à la perception du monde de Washington. Ils se voient incontestablement comme la deuxième puissance économique mondiale, en voie de devenir la première, et estiment qu’il incombe à l’Ouest de s’adapter. Compte tenu du succès de la Chine au cours des 25 dernières années, le pays est même persuadé que son modèle serait très avantageux pour le reste de la planète. Il n’y a pas de domaine plus controversé que la technologie et les droits de propriété intellectuelle, que les Chinois veulent exploiter à leur propre façon. Chef de délégation à Davos, Wang Qishan, puissant vice-président, a formulé un message sans équivoque : le monde doit permettre à la Chine de «participer au système de gouvernance technologique mondial d’égal à égal ». Cette notion d’égalité est revenue sans cesse.
2. Promesses et périls du réseau 5G
Avec ses allures de membre non officiel de la délégation d’Ottawa, le cas Huawei a fait sentir sa présence aux membres du cabinet fédéral lors de chaque rencontre, alors que ceux-ci tentaient de rallier des appuis pour le côté canadien. Mais l’intérêt pour cette société est allé bien au-delà de l’extradition de Meng Wanzhou. Avec l’émergence de Huawei comme chef de file mondial en équipement de télécommunications, les participants au forum de Davos se sont interrogés au sujet de la prochaine génération de technologie mobile, se demandant si le géant chinois montrerait la voie. J’ai trouvé intéressant de constater que, malgré tout le battage autour du réseau 5G, bon nombre de leaders du monde des affaires et de chefs de gouvernement semblaient peu le connaître. À première vue, cette technologie devrait permettre le téléchargement de données et la navigation sur Internet à des vitesses jusqu’à 100 fois supérieures à celle des téléphones intelligents d’aujourd’hui. Cela nous facilitera assurément la vie. Surtout, la technologie 5G pourrait aussi former la base d’une nouvelle économie, grâce aux vitesses et à la constance nécessaires pour relier entre eux de petits objets – voitures autonomes, drones de livraison, électroménagers numériques – au moment de la prise de décisions.
Il est emballant de penser que le 5G pourrait permettre à Internet d’avoir un fonctionnement semblable à celui de l’électricité – présent et accessible en permanence. Mais tout comme ce fut le cas lors du développement de l’électricité, avec la rivalité opposant le courant alternatif au courant continu, un débat fait rage au sujet de qui possède la meilleure technologie. Il ne fait aucun doute que Huawei est un chef de file et que la société ne fera que s’améliorer tandis que la Chine commence à implanter la technologie 5G dans ses grandes villes. En excluant Huawei, allons-nous passer à côté des avancées de la Chine ? Nous savons que Beijing a un pouvoir sur Huawei et peut contraindre celle-ci à remettre ses données étrangères pour des raisons de sécurité nationale. Mais nous devons aussi comprendre de quelle façon l’équipement de Huawei s’intégrerait à l’ensemble technologique qui représente le moteur de nos vies mobiles. La question de savoir qui peut accéder à nos données sera primordiale en 2019 – non seulement pour Huawei, mais pour tous ceux qui ont pour objectif de relier notre univers mobile.
3. Ralentissement ou stagnation?
Le risque est que nous ne soyons pas suffisamment ambitieux dans les années 2020 pour tirer parti des nouvelles technologies et des régions en croissance dans le monde. En restant prudents et en nous contentant d’une lente croissance, nous risquons de ne pas être en mesure de générer les rendements financiers exigés par nos actionnaires ni de pouvoir produire les retombées sociales – emplois, services, stabilité – attendues par nos sociétés. Pour faire mieux, les gouvernements devront offrir aux entreprises et aux investisseurs les bons incitatifs, y compris une réglementation plus judicieuse, des politiques fiscales plus cohérentes et un régime commercial prévisible. Dans son numéro sur le forum de Davos, la revue The Economist le fait remarquer sous le titre insolent « Slowbalisation » (mot-valise combinant lenteur et mondialisation) : il faut à la fois gérer le ralentissement et réfléchir avec plus d’audace au prochain cycle, afin que celui-ci soit axé sur le commerce et la responsabilité sociale, et l’ambition sur le plan mondial.
4. Les suites du Brexit
Absente à Davos, Theresa May a tout de même dépêché un bataillon de ministres pour communiquer la confiance de son gouvernement en la possibilité de conclure une entente sur le Brexit d’ici le printemps. Le parti conservateur, en dépit de ses propres divisions, recherche de toute évidence un résultat qui lui permettrait de rester au pouvoir tout en empêchant l’économie de frapper un mur en cas de sortie abrupte. On peut s’attendre à des négociations assez tendues jusqu’à la dernière minute et à un résultat qui, possiblement, ne serait pas bien différent de ce que Mme May a présenté en décembre. Ce n’est pas exactement l’optimisme au sujet du Brexit dont les participants à Davos voulaient entendre parler. Lors d’une séance comptant quelque 300 participants, environ 90 % d’entre eux ont levé la main pour signifier qu’ils seraient en faveur d’un deuxième référendum, dans l’espoir que, cette fois-ci, le public voterait pour garder le pays dans l’Union européenne. En privé, le gouvernement britannique, et même des dirigeants du monde des affaires britannique, a affirmé que ce scénario est peu probable. Un vote serait trop long à organiser et trop fortement marqué par les divisions, et risquerait d’aboutir à un autre résultat controversé. Le gouvernement de Mme May croit plutôt qu’il est possible d’en arriver à un compromis au sujet de la frontière irlandaise, sujet vexatoire parmi d’autres.
Mais le plus difficile serait à venir. En effet, si Mme May réussit à obtenir l’appui de son parti et du parlement, elle devra rapidement regagner la confiance du milieu des affaires. Depuis le référendum, les investissements en Grande-Bretagne ont baissé d’environ 20 % et, avec chaque mois qui passe, les fabricants, les banques et d’autres transfèrent des emplois vers le continent ou ailleurs. Mark Carney a déclaré à un auditoire à Davos que le système bancaire de la Grande-Bretagne devrait s’en sortir, car il est capable d’encaisser les coups. Mais il a confirmé que si le Royaume-Uni n’est pas capable de dresser un plan cohérent pour ses frontières et échanges commerciaux, il n’y a pas grand-chose que le milieu des affaires puisse faire pour se préparer. Nouvelle potentiellement inquiétante, pendant que les ministres britanniques s’efforçaient de rassurer les participants à Davos, les responsables du gouvernement au pays élaboraient des plans en prévision de rationnement alimentaire, de patrouilles frontalières et, possiblement, d’agitation civile. Un tel scénario catastrophe devrait à tout le moins mobiliser les esprits des Britanniques à l’approche de l’échéance.
5. Un monde de murs
Les politiciens qui se sont rendus à Davos se sont penchés principalement sur les divisions croissantes en matière de gouvernance mondiale, bien résumées par Chrystia Freeland du Canada : « L’ordre international axé sur les règles fait face à des enjeux d’une ampleur jamais vu depuis sa création ». Pendant la majeure partie du 20e siècle, cet ordre a été maintenu par des institutions multilatérales pour que le monde puisse se concentrer sur la prospérité plutôt que sur les conflits. Mais la confiance du public à l’égard de cet ordre s’est érodée, favorisant la montée du nationalisme sur tous les continents. La chancelière allemande Angela Merkel, dont le pays connaît les périls du nationalisme extrême, s’est servie de sa tribune à Davos pour émettre une mise en garde.
Elle voit la montée d’organismes comme l’Organisation de coopération de Shanghai, menée par la Chine et la Russie, comme un effort de création de systèmes de rechange à la démocratie et au capitalisme de marché. Elle a fait l’éloge du G20 comme étant le type d’organisme dont le monde a besoin pour assurer l’adhésion des pays et des régions aux principes mondiaux, et même aux règles et normes mondiales. Il ne s’agit pas d’un enjeu impossible. Mme Merkel a donné comme exemple de collaboration internationale la Conférence générale des poids et mesures, tenue l’an dernier, qui a permis la modification de la mesure du kilogramme.
Cet esprit de collaboration est mis à l’épreuve au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dont le destin repose sur un monde divisé. L’OMC représente la « plomberie centrale » du commerce mondial, servant de lien entre 400 ententes commerciales préférentielles et 3 000 accords d’investissement. Pourtant, au cours des dernières années, on lui a retiré sa capacité de fonctionner normalement. C’est l’une des raisons pour lesquelles le commerce international stagne depuis la crise financière. Dans le cadre de plusieurs séances à Davos, on a étudié le besoin d’une nouvelle approche en matière d’échanges commerciaux qui permettrait aux pays et aux blocs commerciaux d’adhérer à un nouveau système mondial réformé. On prétend que tant que les principes mondiaux seront maintenus, l’esprit du commerce international perdurera. Cette idée de multilatéralisme, ou d’un club de clubs, pourrait même servir de modèle pour les nouveaux enjeux de la mondialisation 4.0 : la bioéthique, la cybersécurité et les données.
“Dans le cadre de plusieurs séances à Davos, on a étudié le besoin d'une nouvelle approche en matière d'échanges commerciaux qui permettrait aux pays et aux blocs commerciaux d'adhérer à un nouveau système mondial réformé.”
6. Un nouveau contrat en matière de données
Compte tenu de la tradition de secret associée à la Suisse, il semble on ne peut plus approprié d’y tenir des discussions sur la protection de la confidentialité des données au 21e siècle. Même si, à une époque, le Forum a préconisé une approche mondiale relativement aux données, on y note actuellement une opinion de plus en plus répandue selon laquelle tout système de gouvernance en la matière sera davantage « balkanisé ». Comme l’a fait observer Satya Nadella, chef de la direction de Microsoft, nous étions « naïfs » de croire en la possibilité de gérer l’économie numérique selon une approche universelle. Le risque auquel nous sommes confrontés à l’heure actuelle, c’est que chaque pays adopte sa propre approche relativement aux données, de sorte que nous nous retrouverions avec un Internet comparable à ce qu’était l’industrie aéronautique dans les années 1950. Pas étonnant, donc, qu’on parle aujourd’hui de « splinternet », c’est-à-dire d’un Internet fragmenté. Maintenant que des pays comme l’Inde et la Thaïlande commencent à se tourner vers l’identification numérique de leurs citoyens, ils tiennent à garder leurs données sur leur territoire. Cet effort de « localisation des données » devrait s’amplifier, car les gens redoutent de plus en plus l’utilisation – et l’utilisation inappropriée – de leurs renseignements personnels.
La localisation des données pourrait aussi devenir un obstacle à l’innovation si elle freine l’infonuagique et les gains d’efficacité qui y sont associés. Dans les faits, nos données traversent chaque jour plus de frontières que nous ne le croyons généralement. C’est pourquoi Singapour, un pays à l’avant-garde sur de nombreux fronts numériques, met actuellement à l’essai certaines idées dans le domaine du traitement transfrontière – dans le but de permettre le libre déplacement de blocs de données tout en maintenant un lieu d’hébergement sécuritaire pour ces données. De tels efforts deviendront encore plus pressants quand des pays tenteront d’inclure l’économie des données dans des accords commerciaux, en ne réalisant peut-être pas que le pire frein imaginable pour le 21e siècle est la mise en place de murs de données. Les entreprises devront peut-être faire entendre leur voix, et cela avec l’esprit qui a animé l’industrie aéronautique au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale lorsqu’elle a établi des normes communes afin de donner confiance aux populations dans le monde entier. Comme les participants au sommet de Davos se le sont fait dire, en matière de données, la population de nombreux pays fait maintenant davantage confiance aux entreprises qu’aux gouvernements. Notre défi est de transformer cette confiance du public en bien commun.
7. Un nouveau contrat social
Le baromètre de confiance Edelman est publié chaque année au début de la rencontre du Forum économique mondial, ce qui a l’effet d’une douche froide d’opinion publique sur les délégués alors qu’ils commencent tout juste à s’adapter à l’air vivifiant des Alpes. Ce baromètre, qui reflète l’opinion de 33 000 personnes réparties dans 27 marchés, continue de montrer qu’une nette majorité des gens font très peu confiance aux gouvernements et aux médias. Les entreprises, de leur côté, ont lentement regagné la majeure partie de la confiance qui leur avait été retirée durant la crise financière. Si l’on veut dégager une préoccupation dominante, il faut parler de la différence entre le degré de confiance du public informé et celui de la masse de la population. Cet écart est d’une ampleur record à l’heure actuelle. À l’échelle mondiale, seulement une personne sur cinq est d’avis que le système agit en sa faveur. Cette préoccupation est particulièrement répandue dans les pays développés, où une majorité écrasante de la masse de la population s’attend à ne pas être en meilleure posture dans cinq ans. Au Canada, seulement un tiers de ce segment de population entrevoit un avenir meilleur.
L’une des raisons de cet état de choses semble être la crainte croissante des pertes d’emplois. Ce n’est pas que les gens craignent l’automatisation, mais ils redoutent simplement de ne pas avoir accès à la formation ou aux compétences dont ils auront besoin pour occuper un emploi convenable au cours de la prochaine décennie. Nous savons que le contrat social qui a prévalu jusqu’à une époque récente est en déclin. Ce contrat nous assurait de recevoir une éducation de qualité dans le système public, de jouir d’une sécurité d’emploi, de toucher des pensions décentes, d’être protégés par un système de soins de santé accessible et de pouvoir nous loger à un coût abordable. Or, dans de nombreux pays, une carrière est maintenant une série d’emplois limités dans le temps tandis que le coût de l’éducation grimpe et que le prix du logement est hors de portée pour bon nombre de jeunes qui travaillent. Il ne faut pas s’étonner que l’inquiétude soit si répandue ni qu’elle s’exprime sur le plan politique par du populisme. Par le passé, les gens se tournaient vers les gouvernements pour obtenir des réponses ; maintenant, ils attendent du monde de l’entreprise qu’il s’exprime et investisse dans des solutions pratiques, par exemple en favorisant l’acquisition de compétences. Selon le baromètre de confiance, 76 % des gens (soit un bond spectaculaire de 11 points en un an) attendent des chefs de la direction des entreprises qu’ils prennent les commandes du changement – en s’employant en priorité à favoriser l’inclusion et à offrir une rémunération juste et de la formation.
8. Le dilemme des chefs de la direction
J’ai passé presque tout un après-midi en compagnie d’une cinquantaine d’autres chefs de la direction venus des États-Unis, d’Europe et d’Asie. Nous avons examiné ce qui est peut-être le plus important défi de l’heure pour les dirigeants d’entreprise : comment répondre aux exigences du monde d’aujourd’hui tout en positionnant nos entreprises de façon à ce qu’elles soient prêtes pour les complexités de l’avenir ? Selon ces dirigeants, le premier élément de la réponse se trouve du côté de la raison d’être des entreprises. À RBC, nous avons formulé clairement notre raison d’être, et il est encourageant de voir l’importance qu’accordent à une telle démarche un si grand nombre d’entreprises d’envergure mondiale. Aux yeux de ces dirigeants, une entreprise qui ne peut compter sur une raison d’être claire pour se guider ne parviendra pas à maintenir son cap, car les pressions constantes exercées par les médias et les investisseurs la feront dévier de sa course. Nous avons convenu que les dirigeants doivent absolument continuer de parler des objectifs à moyen terme – c’est-à-dire des objectifs qui, si nous dirigions des équipes de sport, créeraient un pont entre le pointage actuel de notre équipe et sa position au classement en fin de saison. Les dirigeants doivent aussi informer leur conseil d’administration et leurs principaux actionnaires des tendances qu’ils surveillent.
J’ai souligné le fait que RBC s’était efforcée de gérer la montée de la tendance au court terme du marché en formulant ses objectifs financiers à moyen terme, et en consacrant ensuite beaucoup de temps à expliquer aux actionnaires sa stratégie distinctive, la démarche qu’elle a planifiée et la carte routière qui lui sert de guide dans cette démarche. Nous croyons qu’à une époque d’innovation numérique, nous pouvons créer quelque chose de puissant pour contribuer à la réussite des clients et à la prospérité des collectivités. C’est notre raison d’être. Un dirigeant de Hitachi a expliqué au groupe pourquoi l’entreprise japonaise est en train de se doter d’un secteur axé sur l’innovation sociale. Ce secteur soutiendra les efforts de l’entreprise en ce qui a trait à certains objectifs à long terme, notamment en matière de lutte contre les inégalités de revenu à l’échelle mondiale et les changements climatiques. L’atteinte de ces objectifs fait maintenant partie des critères pris en compte dans l’établissement de la rémunération des dirigeants. La raison est simple : ce qui menace l’équilibre du monde menace celui de Hitachi. Pepsi a présenté sa propre étude de cas concernant son choix de formuler une raison d’être ayant comme principe de base le bien-être des êtres humains. Cela peut sembler étrange de la part d’une entreprise qui s’est taillé une réputation en vendant des boissons gazeuses, mais cette raison d’être claire l’a aidée à mettre l’accent sur des produits plus sains et l’utilisation d’emballages durables. L’année dernière, lorsque le conseil d’administration de Pepsi a nommé Ramon Laguarta au poste de chef de la direction, en remplacement d’Indra Nooyi, qui a été à la barre de l’entreprise pendant de longues années, il a examiné son aptitude à diriger une entreprise durable et à traiter avec des sociétés inclusives –, ainsi qu’à communiquer les besoins sur ces plans avec passion et humanité. En raison de la complexité et des exigences croissantes du monde qui nous entoure, il faut s’attendre à ce que l’on recherche de plus en plus ce type de profil chez les dirigeants.
9. Volatilité : la nouvelle norme
Même si le mois de janvier a été plus favorable aux investisseurs en actions, tous avaient encore à l’esprit la déroute qu’ont connue les marchés en décembre. Le repli a-t-il été trop prononcé et trop soudain ? Si oui, dans quelle mesure a-t-il été amplifié par les systèmes automatisés ? J’ai participé à une table ronde portant sur le rôle croissant des machines dans nos marchés, ainsi que sur les choses auxquelles nous devons réfléchir afin que les efforts axés sur l’efficacité favorisent aussi l’équité. Adena Friedman, chef de la direction de Nasdaq, a indiqué qu’il n’y a jamais eu de meilleur moment pour être un investisseur, en raison de l’efficacité que l’automatisation a conférée aux marchés. Les coûts ont chuté de plus de 75 %, a-t-elle dit ; les écarts entre les cours acheteurs et les cours vendeurs se sont rétrécis de 90 % dans certains cas. Bien sûr, l’automatisation avait progressé durant des décennies à l’arrière-plan des marchés. Toutefois, ces dernières années, elle a joué un rôle plus profond au premier plan en déterminant ce dans quoi nous investissons et le mode d’exécution des placements.
À titre d’exemple, un plus grand nombre d’investisseurs optent maintenant pour des placements passifs – comme les fonds négociés en bourse (FNB) – plutôt que de choisir eux-mêmes des titres. Cette tendance marquée est positive, car les petits investisseurs se trouvent ainsi dans une position qui se rapproche de celle des gros investisseurs. Elle fait aussi surgir certains risques à long terme, comme l’a noté Bill Ford, chef de la direction de General Atlantic. Au cours de notre table ronde, celui-ci a mentionné que les actionnaires passifs contrôlent maintenant 44 % des actions américaines, contre 9 % il y a dix ans. Dans bien des cas, cela se traduit par une diminution du nombre d’acheteurs et de vendeurs d’actions. Comme on ne s’attend pas à ce que l’automatisation des marchés ralentisse, les institutions financières devront continuer de trouver des façons d’aider les clients à composer avec cette diminution de la liquidité et avec la volatilité qui peut en résulter. Plus généralement, nous devrons aussi continuer d’approfondir notre compréhension des conséquences de l’investissement passif – ses conséquences tant sur les investisseurs que sur les sociétés qui observent ces mouvements en se demandant s’il s’agit vraiment du meilleur moyen de mesurer la valeur de ce qu’elles s’efforcent de créer.
10. Une nouvelle équation énergétique
Il y a dix ans, Tony Blair est venu à Davos pour dire qu’il fallait tirer profit du contexte de crise financière pour relever le défi climatique. Selon lui, des milliards – et bientôt des milliers de milliards – pourraient ainsi affluer vers les bilans des économies stagnantes et servir à stimuler la transition vers une économie à faible intensité de carbone. Dix ans plus tard, l’économie mondiale se porte beaucoup mieux, mais on ne peut pas en dire autant de l’environnement. Notre incapacité collective à relever le défi climatique est le risque le plus important dans l’esprit des participants au sommet de Davos. Dans l’édition de cette année du Global Risks Report (rapport sur les risques mondiaux), trois des cinq principaux risques classés selon la probabilité qu’ils se réalisent sont des risques environnementaux ; de même, quatre des cinq risques classés selon l’importance des incidences qui résulteraient de leur réalisation sont aussi des risques environnementaux. Les événements météorologiques extrêmes ont été la première préoccupation des 1 000 membres du Forum économique mondial consultés lors de l’établissement du rapport ; viennent ensuite les inquiétudes concernant l’incapacité d’atténuer les changements climatiques et de s’y adapter. Même si l’on continue de se préoccuper des divergences entre les politiques climatiques des États-Unis, de la Chine et de l’Europe, on a beaucoup discuté à Davos du fait que l’évolution se poursuit malgré tout dans les secteurs économiques. La société DHL, par exemple, a conçu des véhicules électriques afin que son parc de véhicules de livraison dans les villes d’Europe puisse atteindre la carboneutralité d’ici 2025. Boeing a mis à l’essai avec succès un avion-cargo utilisant uniquement des biocarburants. De leur côté, deux aciéristes, Mittal et Tata, sont en train de mettre au point un « acier vert » au moyen de nouvelles sources d’énergie et de plus grandes quantités de matériaux recyclés.
“La réglementation doit évoluer aussi rapidement que les besoins de la planète afin de stimuler l'utilisation de nouveaux procédés et le retrait d'anciens procédés.”
11. Un pont entre les générations
L’une des surprises les plus agréables de la rencontre de Davos de cette année a été la diversité des générations présentes. On pouvait ainsi côtoyer tant Jane Goodall, l’une de mes héroïnes, que les six coprésidents du sommet de Davos, tous des jeunes leaders de calibre mondial et aussi des héros. L’interaction entre les générations a été une source d’inspiration, et devrait nous inciter tous à rechercher davantage de façons de mettre en relation des gens de tous les âges. À 84 ans, Mme Goodall est remarquable, participant chaque année à plus de 300 événements, en bonne partie pour faire la promotion de l’initiative Roots & Shoots (« racines et pousses ») qu’elle a lancée, et incitant les jeunes à soutenir des initiatives environnementales partout dans le monde. « La génération montante est prête à tout pour protéger la nature », nous a-t-elle dit. À l’occasion d’un lunch, Mme Goodall et le chanteur vedette Bono, âgé de 58 ans, ont partagé les projecteurs avec l’activiste environnementale suédoise Greta Thunberg, âgée de quinze ans, qui leur a volé la vedette en lançant une mise en garde au nom de sa génération : « Notre maison est en feu. Je veux vous voir paniquer. »
Dave McKay est président et chef de la direction de RBC, la plus importante banque au Canada et l’une des plus grandes au monde selon la capitalisation boursière. M. McKay a contribué à transformer les services de détail de la banque et à intégrer de nouvelles technologies pour permettre à RBC de s’adapter à l’évolution rapide des demandes de la clientèle.
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