Quand Derrick Rossi a cofondé la société de biotechnologie Moderna Inc., les pandémies étaient loin de représenter une préoccupation majeure. Une décennie plus tard, ses travaux sur les molécules d’acide ribonucléique messager (ARNm), qui transmettent des instructions aux cellules humaines, ont été reconnus comme essentiels au développement des vaccins actuellement utilisés dans la lutte contre la COVID-19. La société de Boston (dont le nom signifie modified RNA, c’est-à-dire ARN modifié) est connue de tous. M. Rossi, un biologiste des cellules souches originaire de Toronto, a quitté l’Université Harvard et Moderna au début de la cinquantaine pour fonder plusieurs entreprises de biotechnologie et se retrouve aujourd’hui sous les feux des projecteurs.
Il s’est entretenu avec John Stackhouse et Naomi Powell de son chalet de Squam Lake, dans le New Hampshire. Il a parlé de la réticence des gens à se faire vacciner, de l’entrepreneuriat et de la possibilité pour le Canada de devenir un chef de file en biotechnologie.
Avez-vous reçu deux doses de vaccin ?
Oh, oui. J’ai été vacciné en février.
Avez-vous reçu deux doses du même vaccin ?
Oui, j’ai reçu deux doses du vaccin Pfizer et non du Moderna, aussi étrange que cela puisse paraître. Je suis affilié à l’hôpital pour enfants de Boston. L’hôpital m’envoyait des courriels depuis un mois et demi, mais je ne les lisais pas. Puis un jour, sans trop savoir pourquoi, j’en ai ouvert un et je suis tombé sur une invitation à prendre rendez-vous pour me faire vacciner. Je me suis décidé. Le fait est que c’était le vaccin Pfizer qui était administré ce jour-là.
Cela doit surprendre les gens.
Je suis vraiment content d’avoir reçu le vaccin Pfizer, car je suis un ardent défenseur de la vaccination. Je pense que c’est une bonne chose, en tant que fondateur de Moderna, de dire que j’ai accepté le vaccin qui était disponible. Je ne cherchais pas à recevoir un vaccin en particulier. Les gens devraient accepter de recevoir n’importe quel vaccin qui a été approuvé.
“Les gens devraient accepter de recevoir n'importe quel vaccin qui a été approuvé.”
Qu’avons-nous appris sur notre relation avec les vaccins durant la dernière année ?
Nos premiers vaccins nous sont administrés en bas âge alors que nous en sommes à peine conscients. Et quand nous devenons des adultes, nous pensons simplement qu’ils ne semblent pas causer de tort. Personne ne comprend réellement ce qu’est un vaccin. Or, c’est de cette méconnaissance que découle la réticence au vaccin. Nous savons que tout manque d’information est de nos jours rapidement comblé par une désinformation.
Comment expliquez-vous le fonctionnement des vaccins aux gens ?
Notre système immunitaire surveille tout ce qui entre dans notre corps et se demande s’il s’agit d’un élément étranger ou non. Si c’est le cas, il réagit. Voilà ce que fait notre système immunitaire : c’est la deuxième partie de la vaccination et elle fonctionne toujours de la même manière.
Quelle est la première partie ?
La première partie de la vaccination porte sur la manière d’introduire l’élément étranger dans le corps. Il en existe plusieurs : ARN messager, protéine, adénovirus, virus inactivé, virus atténué.
Hésiteriez-vous à vacciner un groupe d’âge en particulier ?
Il ne devrait avoir aucune hésitation, quel que soit le groupe d’âge. Il s’agit simplement d’un autre vaccin qui vise à venir à bout d’une maladie réellement mortelle. De toute l’histoire de l’humanité, aucune entreprise médicale n’a fait l’objet d’autant d’études. Des centaines de millions de personnes sont désormais vaccinées. L’étude de l’innocuité bat des records.
Êtes-vous surpris de la rapidité à laquelle les vaccins ont été commercialisés ?
Non. Pendant toute l’année 2020, les experts ont affirmé qu’il n’y avait aucune chance qu’un vaccin soit mis au point avant deux ou trois ans. Eh bien, ils auraient eu raison si on avait eu recours à l’ancienne technologie. Les nouvelles technologies peuvent rapidement changer la donne. Au vu de ce que nous pouvons réaliser avec la nouvelle technologie, je savais que c’était réalisable. De plus, les gens qui travaillent sur ce projet saisissent l’occasion pour perfectionner la plateforme.
Quel rôle le gouvernement et l’opération Warp Speed ont-ils joué dans le processus de mise au point des vaccins ?
L’initiative s’est révélée très positive, puisque la science, comme toute autre industrie, évolue au rythme auquel elle peut accéder aux ressources. Les entreprises n’ont cependant pas toutes bénéficié des fonds de l’opération Warp Speed, notamment Pfizer, parce que c’est une très grande société et qu’elle ne voulait pas être redevable au gouvernement. Moderna, par contre, a reçu un financement de l’opération Warp Speed et n’a donc pas eu à investir ses propres fonds. L’atténuation des risques constitue un enjeu majeur dans le secteur de la biotechnologie.
Comment ce financement a-t-il accéléré le processus ?
En général, après la première phase des essais cliniques, on analyse toutes les données avant de planifier le déroulement de la deuxième phase. Les essais avancent donc de façon linéaire. Cette fois-ci, les essais cliniques se sont chevauchés, ce qui est très inhabituel. Cette façon de procéder comporte des risques puisque s’il s’avère, par exemple, à la fin de la phase 1 que le dosage n’était pas bon, on ne lancera pas la phase 2 pour limiter les pertes financières. Toutefois, les entreprises qui bénéficient d’un financement gouvernemental sont un peu moins hésitantes à procéder ainsi.
Auriez-vous pu accomplir au Canada le travail que vous avez effectué à Boston ?
L’écosystème qui existe à Boston/Cambridge nous a certainement favorisés. Il se caractérise avant tout par des établissements universitaires de haut niveau. Nos découvertes ont été faites dans mon laboratoire de Harvard, mais elles auraient aussi pu se faire à l’Université de Toronto. La région de Boston/Cambridge attire aussi des montants importants de capital-risque, car beaucoup de sociétés de biotechnologie ont vu le jour à Harvard et au MIT. On y trouve aussi tous les experts en propriété intellectuelle et de nombreuses grandes entreprises prospères y ont été créées. Il est possible d’embaucher des personnes d’expérience, car elles ne manquent pas dans la région. Enfin, les grandes sociétés pharmaceutiques y ont installé leur campus et acquièrent des entreprises de biotechnologie. Tous ces éléments étaient en place au démarrage de Moderna.
Cet écosystème est-il essentiel à une découverte majeure comme la vôtre ?
La technologie apportera sans aucun doute son lot de transformations. Ce genre de découverte, qui a de multiples applications, n’arrive qu’une fois tous les dix ans environ. Les petits ARN interférents (ARNi) ont été découverts avant et les CRISPR, après. Il s’est écoulé une dizaine d’années entre chaque découverte. Et toutes les trois ont eu lieu à Boston/Cambridge.
Vous participez à de nombreuses discussions sur la création d’un pôle canadien de biotechnologie. Quelles sont vos recommandations ?
Selon moi, ce pôle devrait être créé près d’un établissement universitaire de premier ordre. J’aimerais que Toronto soit choisie parce que c’est ma ville natale. Il faudra trouver un grand terrain et faire appel à un promoteur immobilier pour la construction de plusieurs incubateurs de biotechnologie. On parle donc d’un grand espace pour que les grandes sociétés pharmaceutiques puissent s’installer et prendre de l’expansion dans ce pôle.
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