Avantages et désavantages du plafonnement des GES
Il est enfin ici, mais pas encore là. Le gouvernement fédéral a jeté les bases de sa politique climatique la plus ambitieuse à ce jour, en dévoilant au milieu de la COP28 son cadre de plafonnement des émissions du secteur pétrolier et gazier, très médiatisé (et pour certains, très craint).
Aucun autre pays exportateur de pétrole et de gaz n’a plafonné ses émissions. Le Canada, quatrième producteur de pétrole au monde, vise maintenant à réduire ses émissions de 35 à 38 % d’ici 2030.
Pour y parvenir, le gouvernement veut limiter les émissions du secteur et établir un système de plafonnement et d’échange qui imposerait des pénalités aux producteurs qui dépassent le plafond. Les sommes ainsi amassées seraient investies dans des fonds de technologies propres ou, au besoin, serviraient à l’achat de crédits compensatoires de carbone.
Les grands producteurs de pétrole pensent qu’ils sont déjà en bonne voie d’atteindre ces objectifs, en utilisant des technologies de réduction comme le captage du carbone, mais ils n’y parviendront pas avant le milieu des années 2030. Il faut ensuite tenir compte des compétences territoriales. L’Alberta a été prompte à déclarer qu’Ottawa n’a pas le droit de dire aux provinces comment gérer leurs ressources naturelles.
Ottawa a publié son cadre de plafonnement et tiendra des consultations pendant 60 jours. Voici quelques-unes des questions que nous nous posons :
- À quoi ressemblera la demande de pétrole et de gaz dans les années 2030 ? Le gouvernement fédéral a fait état d’une prévision de la Régie de l’énergie du Canada qui table sur une augmentation de la production de pétrole en 2030, à 5,1 millions de barils par jour, la majeure partie de cette hausse étant attribuable aux sables bitumineux et au projet d’expansion de l’oléoduc Trans Mountain. La production de gaz restera stable, tandis que les exportations de GNL seront beaucoup plus élevées. Si rien n’est fait, les émissions du secteur passeront de 174 mégatonnes en 2019 à 199 mégatonnes en 2030. Mais grâce aux technologies de réduction, les émissions devraient baisser à 134 mégatonnes, ce qui s’alignerait sur le plafond.
- Où est l’argent ? Le secteur ne réussira pas à réduire autant ses émissions sans subventions massives d’Ottawa et des provinces. Tout d’abord, il y a l’Alliance Nouvelles voies, un groupe d’entreprises de sables bitumineux qui cherchent à élaborer un vaste projet de captage et de séquestration de leurs émissions. Ses membres négocient toujours les modalités avec le gouvernement et s’attendent à ce qu’un protocole d’entente soit signé d’ici quelques semaines. Ils devront toutefois obtenir des engagements financiers clairs avant de tout mettre en branle. Pour cela, Ottawa doit, entre autres, fournir beaucoup plus de précisions quant à sa proposition de crédits d’impôt à l’investissement, dont l’échéance actuelle est fixée à 2030.
- Ottawa peut-elle mettre sur pied une plateforme technologique crédible ? Les entreprises feront probablement pression pour obtenir le droit d’affecter leur propre argent à leurs projets de technologies propres, sous réserve d’engagements à réduire les émissions. D’autres demanderont la mise en place d’un fonds indépendant, à l’instar d’Emissions Reduction Alberta, pour recueillir de l’argent auprès des émetteurs et le verser ensuite à des projets crédibles. Ces montants se chiffreront en milliards, ce qui pourrait aider l’Alberta à se positionner comme un chef de file mondial dans la transition énergétique. Ou créer un bel imbroglio.
- Le plafond peut-il inclure une approche plus propre pour les crédits compensatoires ? Le cadre de plafonnement offre beaucoup de souplesse en regard des crédits compensatoires, y compris les crédits internationaux, afin d’aider les émetteurs qui ne parviennent pas à réduire leurs émissions en temps voulu. Le commerce mondial de la compensation a cependant fait l’objet de critiques croissantes cette année, surtout à cause de doutes quant à l’intégrité des activités favorables au climat comme le reboisement et la protection des terres. La crédibilité du plafond dépendra en partie de celle des crédits compensatoires achetés par les entreprises.
- Que pensent les autres provinces ? Tous les regards sont tournés vers l’Alberta et la question est de savoir si le plafond fédéral peut s’aligner sur le système provincial. Les enjeux d’« interopérabilité » ne s’arrêtent toutefois pas là. Le plafond s’applique également aux ambitions de la Colombie-Britannique en matière de GNL, aux rêves de forage pétrolier en mer de Terre-Neuve et aux activités pétrolières conventionnelles de la Saskatchewan, qui fonctionnent toutes selon un régime d’émissions différent. Chaque province peut vouloir conserver ses paiements de redevances d’émissions, mais un marché libre pourrait être nécessaire pour disposer de plus d’options.
- Quelle sera la marge de manœuvre ? Il serait présomptueux de penser que le secteur pourra réduire ses émissions d’ici 2030. Le cadre comprend donc d’importants « amortisseurs » pour tenir compte des fluctuations de la production – les marchés du pétrole et du gaz sont volatils par nature – et de retards éventuels dans le déploiement de la technologie. Il offre ce que l’on appelle des « périodes de conformité pluriannuelles » qui s’apparentent à une prolongation de trois ans si les projets de réduction du carbone n’étaient pas achevés d’ici 2030.
- Y aura-t-il des peines d’emprisonnement ? Jusqu’à présent, les sanctions prévues en cas de non-conformité sont vagues, allant d’une lettre d’avertissement à une possible peine d’emprisonnement en vertu de la législation sur la protection de l’environnement qui régira le plafond. Le manque de clarté des mesures d’application de la loi continuera de causer de l’anxiété chez les cadres qui doivent veiller à ce que tout fonctionne. Un plafond adéquat nécessitera une surveillance adéquate.
Après un hiver de consultations, le fédéral devra, selon toute vraisemblance, passer une autre année à intégrer le plafond à la loi. Et d’ici là – sinon avant – le Canada se trouvera en pleine campagne électorale. Ce qui signifie que tout cela pourrait être le prélude à un vif débat national sur le rôle futur du pétrole et du gaz au sein de notre économie.
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