Issue #04

Un plafonnement déjà condamné
Ce qu’impliquera la politique Trump au Canada
La capture du carbone selon l’Alliance Nouvelles voies
Les problèmes de calendrier de la COP 29


Points saillants

Relance du grand projet albertain de capture de CO2. L’appel d’offres lancé par l’Alliance Nouvelles voies auprès des fabricants de conduites et les discussions menées avec Ottawa sur la question du financement indiquent que le projet avance enfin. Conçu par les six principales sociétés du secteur des sables bitumineux et censé coûter 16,5 milliards de dollars, il consistera à transporter par pipeline le CO2 produit par 20 installations d’exploitation jusqu’à un terminal situé dans la région du lac Cold (Alberta), ce qui réduira leurs émissions de 22 mégatonnes par an, soit environ 10 % des émissions du secteur. Compte tenu de l’ampleur du partenariat et de l’ambition des protagonistes, cela pourrait changer la donne – si l’on nous permet cette image éculée.
Les rapports sur le climat se succèdent – c’est sans doute la saison des COP ! Pour atteindre les cibles de l’Accord de Paris, le monde doit dépenser quelque 9 000 milliards de dollars américains de plus chaque année, indique le rapport 2024 des Nations Unies sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions, parmi l’avalanche d’analyses qui prélude à la COP de Bakou (Azerbaïdjan). De son côté, l’AIE vient de publier son tome 1 (le rapport World Energy Outlook (Perspectives énergétiques mondiales, 398 pages) et son tome 2 (Energy Technology Perspectives 2024, 573 pages) ; quant au dernier rapport sur l’efficacité énergétique (Energy Efficiency), il est censé paraître aujourd’hui. Considérés comme des étalons de mesure, les rapports de l’AIE sont fréquemment cités. Pendant les longs vols qui les conduiront de Toronto ou de Calgary à Bakou, les délégués pourront se délecter du rapport des Nations Unies sur les plans climatiques des différents pays, ou du dernier bulletin de l’OMM sur les gaz à effet de serre.
La COP 16 se termine dans la désunion. Les participant au forum mondial sur la biodiversité, tenu à Cali (Colombie), n’ont pu se mettre d’accord sur le financement à prévoir au cours de cette décennie, ni sur les objectifs à atteindre. Fait symptomatique : la conférence s’étant prolongée, de nombreux délégués des pays en développement ont dû partir avant la fin, car ils n’avaient pas les moyens d’annuler leur billet de retour et de prendre un autre avion. On note cependant quelques progrès, notamment l’établissement d’un prélèvement mondial sur les produits reposant sur des données génétiques d’origine naturelle, ainsi que la volonté historique de tenir compte du point de vue des communautés autochtones lors des décisions qui seront désormais prises en matière de conservation de la nature.

Cela aussi, Les Simpsons l’avaient prédit. Les milliardaires – notamment Bill Gates et Sam Altman, le PDG d’OpenAI – songent à bloquer le rayonnement solaire. C’était déjà l’idée de Mr Burns, personnage d’une série de dessins animés dont les dons de prophétie sont devenus célèbres. Il est de plus en plus question de refroidir la planète en réfléchissant vers l’espace une part croissante du rayonnement solaire. Or les compagnies d’assurance préviennent qu’il pourrait en résulter des changements climatiques imprévisibles susceptibles d’entraîner des conflits internationaux. De plus, le procédé ne permet pas de réduire sensiblement les émissions de GES. L’année dernière, l’ONU en a qualifié la mise en œuvre d’inconsidérée. Cela arrêtera-t-il les milliardaires ?

Prix bimensuel de l’action climatique. Décerné aux chercheurs de l’Université de Zhengzhou (Chine) et de l’Université d’Australie-Méridionale, qui ont mis au point un tissu qui protège des vagues de chaleur. Contrairement aux tissus ordinaires, qui conservent la chaleur, celui-ci comprend trois couches conçues pour refroidir au maximum.

Prix bimensuel du flop climatique. Décerné au Kremlin qui, selon l’OTAN, refuse de publier des données vitales sur les changements climatiques en Arctique. Toujours selon l’alliance militaire occidentale, la Russie mène une intense campagne de désinformation contre la décarbonation.

Le plan de match climatique 2.0 de Donald Trump

Le retour en fanfare de Donald Trump à la Maison-Blanche soulève de graves questions quant à la politique climatique des États-Unis, à la loi sur la réduction de l’inflation (IRA) – une réalisation phare du président Joe Biden – et à l’Accord de Paris. Une deuxième administration Trump ne va pas nécessairement briser l’élan international en matière de climat, mais la situation sera peut-être bien différente dans quelques années.

Quel semble être le destin de l’IRA ? Trump a menacé de réduire à néant tous les fonds encore non dépensés au titre de l’Inflation Reduction Act, mais ce ne sera sans doute pas facile, car la loi profite à de nombreux États et districts républicains (voir tableau ci-dessous). Certains analystes affirment que la transition est trop bien engagée pour être stoppée, mais Trump pourrait fort bien exiger qu’on refonde la politique en cours et que certaines technologies soient privilégiées. Trump considère notamment que l’énergie éolienne est chose « infecte », ce qui pourrait en entraîner la mise hors-jeu. À l’annonce de la victoire de Trump, le cours des actions du secteur des énergies renouvelables a plongé, ce qui semble confirmer les craintes des investisseurs.

Le sort de l’Accord de Paris. Au cours de son premier mandat, Trump a retiré son pays de cette entente mondiale sur le climat ; il pourrait récidiver. Selon le secrétaire de l’ONU, Antonio Guterres, un second désengagement des États-Unis pourrait mettre à mal l’Accord de Paris. Mais ce ne sera probablement pas la fin de tout. Une fois Trump au pouvoir, les alliés devront s’accoutumer à des politiques énergétiques bien différentes. Peut-être verra-t-on se former un club de partenaires dirigé par les États-Unis et dont la Chine serait exclue. Il y aura peut-être aussi un changement de cap sur de multiples fronts, avec de nouveaux objectifs climatiques pour 2030 et 2050 ainsi que des politiques qu’accepteront mieux entreprises et consommateurs, parce qu’elles reposeront sur un compromis entre sécurité énergétique, abordabilité et émissions – des solutions sur mesure plutôt que ces ambitieuses politiques censées répondre à tout mais que de nombreux pays répugnent à mettre en œuvre.

L’ACEUM, cette partie de plaisir. La prochaine phase de renégociation de l’ACEUM (ex-ALENA) à laquelle se livreront le Canada, les États-Unis et le Mexique en 2026 sera probablement plus compliquée sous l’administration Trump, qui entendra protéger le secteur automobile américain. « Je vais bien m’amuser », a déclaré Trump – ce qui est de mauvais augure. Peut-être pas pour le Canada, cependant, du fait de son grand atout : les minéraux critiques. Ils n’étaient pas au centre des dernières négociations, mais le Canada pourrait les faire valoir en 2026. En matière énergétique, Trump veut en effet s’affranchir de la filière chinoise ; Ottawa a donc tout lieu de renforcer la chaîne d’approvisionnement dont disposent les constructeurs automobiles canadiens le long de l’autoroute 401, jusqu’au Michigan – qu’il s’agisse du nickel, du cobalt, des batteries ou de l’assemblage des véhicules. Cela nous protègerait, compte tenu du fait que Trump entend taxer lourdement tous les produits importés aux États-Unis.

Que ferait Elon Musk ? Acquis à Trump (dont il sera peut-être le prochain gourou en matière d’efficacité administrative), le patron milliardaire de Tesla est un acteur incontournable du secteur automobile nord-américain. Si le nouveau président vitupère contre le secteur manufacturier de la Chine, Musk, quant à lui, dépend fortement des moyens de production de ce pays. Cela pourrait générer des conflits ou avoir des effets déstabilisants dont la chaîne d’approvisionnement canadienne pourrait tirer profit pour se présenter comme une avantageuse solution de remplacement. Une approche ambitieuse, certes – mais la timidité ne paie pas, actuellement.

Vers de nouvelles émissions. L’appel lancé par Trump aux producteurs de gaz et de pétrole (« forez, les gars, forez ») va provoquer une hausse des émissions de GES américaines, surtout si la déréglementation s’accélère. Trump pourrait bien insister pour que le Canada (premier exportateur de pétrole aux États-Unis) maintienne sa production afin que les cours ne s’envolent pas. Or Ottawa vient de proposer de plafonner les émissions du secteur pétrogazier (voir point suivant). Quiconque aura à s’entendre avec la prochaine administration Trump en matière de commerce, de climat et d’énergie devra trouver l’adéquation entre les ambitions et les besoins du Canada d’une part, et, de l’autre, la nouvelle réalité américaine.

Un plafonnement déjà condamné

Comme on pouvait s’y attendre, le projet de règlement fédéral visant à plafonner les émissions de GES du secteur pétrogazier a été accueilli froidement par l’Alberta. La future politique climatique, qui est peut-être la plus controversée qu’ait conçue le gouvernement libéral, ressemblerait au cadre de plafonnement-échange proposé en décembre 2023.

  • Contenir les émissions. Le plafond sera fixé en 2029 et il faudra s’y conformer dès 2030 ; les quotas d’émissions, accordés gratuitement, devront être inférieurs de 27 % aux émissions déclarées en 2026. Ces droits d’émettre devront représenter au moins 80 % des émissions totales ; afin d’assurer la souplesse du mécanisme, les crédits de pollution et les paiements seront versés dans un fonds voué à la décarbonation.
  • Ce sur quoi reposent les calculs. À compter de 2030, les émissions devront être inférieures de 27 % à leur niveau de 2026. Seulement, quel sera ce niveau ? Selon Shaz Merwat, responsable principal, Politique énergétique, Ottawa table sur une baisse de 22 % des émissions au cours des deux prochaines années, ce qui semble quelque peu ambitieux. Si l’on tient pour acquis que les émissions amont du secteur pétrogazier ne changeront pas d’ici 2026, le plafond fixé en 2030 correspondra à une diminution de 15 % par rapport au niveau de référence prévu dans l’Accord de Paris (2005) ou, peut-être, à une hausse de 7 % si l’on tient compte de la souplesse accordée en matière de conformité. On entend déjà les écologistes protester.
  • N’oubliez pas le méthane. Ce gaz est censé entrer pour au moins la moitié dans la réduction des émissions. Les émissions antérieures du secteur pétrogazier canadien ont été revues à la hausse cette année (+12 %), en partie parce qu’on sous-estimait le potentiel de réchauffement climatique du méthane. Le Canada a déjà prévu des règlements visant à réduire les émissions de méthane de 75 % entre 2012 et 2030. Pour une industrie qui a du mal à réduire ses émissions, le méthane n’est pas le problème le plus difficile à résoudre.
    Faut-il repenser les marchés du carbone ? Le règlement projeté ajouterait une autre couche de complexité à la mosaïque canadienne des marchés du carbone. Comme nous l’avons souligné dans un récent rapport, le manque d’unité entre provinces nuit au bon fonctionnement de ces marchés. Les entreprises signalent régulièrement que l’incertitude réglementaire et le manque d’harmonisation freinent leurs investissements.
  • Que nous réserve l’avenir ? Des consultations officielles débutent actuellement ; une proposition définitive est attendue au printemps. La première ministre de l’Alberta Premier, Danielle Smith, dit envisager « toutes les options juridiques » lui permettant de contrer le projet de plafonnement. On peut par ailleurs se demander si les libéraux seront au pouvoir jusqu’en octobre 2025 et pourront donc appliquer leur nouvelle politique, sachant que le Parti conservateur, auquel les sondages sont favorables, a promis de supprimer le plafond.

LES PROBLÈMES DE CALENDRIER DE LA COP 29

Plusieurs experts ont rayé de leur agenda la 29e conférence des Nations Unies sur les changements climatiques, prévue à Bakou (Azerbaïdjan). Les élections américaines y sont pour quelque chose, mais il se trouve aussi qu’en raison de la semaine du climat organisée à New York, beaucoup n’ont pas jugé nécessaire d’aller rencontrer les mêmes interlocuteurs un mois plus tard, à 9 000 kilomètres de là. Bizarrement, une partie de la COP aura également lieu en même temps que le sommet du G20, qui se tiendra les 18 et 19 novembre à Rio de Janeiro, soit à l’autre bout du monde. Bref, un calendrier peu harmonieux.

Pour ceux qui auront la chance de se rendre en Azerbaïdjan, d’y déguster les spécialités locales (kababs, plovs et autres dolmas, comme le recommande Farhad Panahov, natif de Bakou) ou de visiter un peu le Bakou historique, le programme ne s’arrête pas là.

La COP en version allégée. Joe Biden et d’autres ténors mondiaux ne participeront pas à la COP, ce qui signifie que les ONG et les délégués des pays en développement se feront davantage entendre.

Bakou est le deuxième de trois grands sommets. Les Émirats arabes unis (EAU), qui ont accueilli la COP 28, ont fait équipe avec l’Azerbaïdjan et le Brésil (futur hôte de la COP 30). Cette troïka doit élaborer le plan directeur de la mission « 1,5 °C ». La COP 28 visait à dresser l’inventaire mondial des besoins, la COP 29 porte sur le financement et la COP 30 aura pour but d’examiner la prochaine série de contributions déterminées au niveau national (CDN) – autrement dit, les plans climatiques des différents pays.

En attendant les CDN. Si la rencontre de Bakou aura moins d’éclat, c’est aussi parce que la plupart des pays ne divulgueront leurs nouvelles contributions qu’en février 2025. Les Nations Unies les veulent généreuses, mais depuis la mouture antérieure, qui remonte à 2020-2021, plusieurs pays se sont dotés de nouveaux dirigeants et les consommateurs comme les entreprises sont plus réfractaires aux politiques climatiques audacieuses.

L’héritage à attendre de Bakou. Un consensus sur le financement serait le résultat le plus important de la rencontre. À court d’argent, l’Europe souhaite que la Chine assume une partie de la facture mondiale, laquelle pourrait atteindre 1 000 milliards de dollars par an. De fait, comme le nouvel objectif collectif quantifié à atteindre après 2025 sera nécessairement ambitieux (l’engagement annuel n’étant actuellement que de 100 milliards de dollars américains), il faut accroître le nombre de pays donateurs. La question de savoir qui paiera la note divisera certainement les esprits.

Détournement cognitif. La COP 28 s’était terminée sur un mot fameux : c’était « le début de la fin » des combustibles fossiles. L’Azerbaïdjan, un géant du gaz, ne semble pas de cet avis. Il faut s’attendre à voir l’Europe croiser à nouveau le fer avec les pays producteurs de pétrole.

Pour le stockage d’énergie verte. La COP 28 tournait autour du méthane et de l’énergie nucléaire. L’Azerbaïdjan propose aux autres pays de s’engager à se doter d’une capacité de stockage d’énergie de 1 500 gigawatts d’ici 2030. Autres propositions sur la table : rendre le secteur du tourisme moins polluant et créer un marché mondial de l’hydrogène propre.

L’institut à l’œuvre

Lors du salon Royal Agricultural Winter Fair, qui s’est tenu le 1er novembre, Lisa Ashton, responsable de la politique agricole, a animé une table ronde sur les solutions naturelles auxquelles se prête le paysage agricole. Découvrez ici les trois traits saillants qui s’en sont dégagés.

Le 4 novembre, nous avons tenu notre deuxième rencontre de la série « Matière à réflexion » à Montréal, où le responsable de l’institut, John Stackhouse, a entendu des innovateurs exposer leurs idées sur la réduction des coûts et des émissions.

Nos lectures préférées du moment : Revenge of the Tipping Point (Malcolm Gladwell), Climate Capitalism (Akshat Rathi), Not The End of the World (Hannah Ritchie), Fire Weather (John Vaillant), Vampire State: The Rise and Fall of the Chinese Economy (Ian Williams). John parle de ces ouvrages ici.

ICYMI

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