Issue #03

Relance du nucléaire : les leçons à tirer au Canada
Une victoire de Trump pourrait bouleverser les marchés de l’énergie
Halloween et les changements climatiques
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Points brûlants

Quoi de neuf dans le dernier rapport annuel de l’AIE? Un chapitre entier a été consacré à la sécurité, l’abordabilité et la durabilité. Ce n’était pas le cas dans les Perspectives énergétiques mondiales de 2023, et il n’était que temps. Nous sommes peut-être entrés dans l’« âge de l’électricité », mais loin de se limiter à 1,5 °C, comme le préconisait l’Accord de Paris, l’augmentation de la température moyenne du globe pourrait bien être de 2,4 °C si nous ne parvenons pas à garantir la production des minéraux critiques qu’exigent les énergies propres et si les consommateurs ne peuvent utiliser celles-ci à un coût suffisamment bas. Une bonne nouvelle, toutefois : l’existence de surplus (gaz naturel liquéfié, énergie photovoltaïque, etc.) signifie que nous pourrions bientôt être en présence d’un marché favorable aux acheteurs, toujours selon l’AIE qui, étant donné l’essor des énergies renouvelables, prévoit que les émissions de CO2 mondiales vont bientôt plafonner.

Les Canadiens peuvent à la fois économiser et profiter d’un mode de vie à moindre empreinte carbone. C’est ce qu’on lit dans un nouveau rapport de Clean Energy Canada. Entre autres exemples, l’installation d’une thermopompe et l’achat d’un véhicule électrique (VE) permettraient aux occupants britanno-colombiens d’une maison isolée d’économiser jusqu’à 777 $ par mois. Malheureusement, la fin de la subvention canadienne pour des maisons plus vertes et la pénurie de VE abordables pourraient rendre la transition plus coûteuse.

Une victoire de Trump pourrait bouleverser les marchés de l’énergie. D’après les sondages, le 45e président des États-Unis a autant de chances que sa rivale de gagner les élections du 5 novembre. L’impact géopolitique ne serait pas mince, explique Helima Croft, de RBC Marchés des Capitaux. L’Iran pourrait en effet devenir la principale cible des sanctions américaines. La limitation de sa production de pétrole ferait grimper les cours mondiaux, ce qui galvaniserait évidemment les producteurs nord-américains mais freinerait les efforts déployés par le Canada et (plus modestement) par les États-Unis pour réduire leurs émissions de CO2.

Réfection des infrastructures routières et de gestion des eaux : une facture de 350 G$ pour le Canada. Depuis la période 2020-2022, les différents ordres de gouvernement ont fait poser des aqueducs, des réseaux d’assainissement et des égouts à un rythme record, mais le coût de remplacement des infrastructures en mauvais ou en très mauvais état a grimpé à 357 G$, soit 100 G$ de plus que le coût estimé jusqu’ici. Le problème est criant, comme l’ont montré récemment les incidents survenus à Vancouver, à Montréal ou à Toronto. Par leur fréquence et leur gravité, de tels incidents ont d’énormes impacts économiques. D’après les assureurs, les réclamations pour dommages à la propriété causés par les inondations représentent désormais 36,8 % de toutes les déclarations de sinistre.

La COP 16 vient avant la COP 29. Elle a lieu à Cali (Colombie). Depuis la Conférence de Montréal de 2022 sur la biodiversité, qui a fait date, la COP 16 est le premier sommet bisannuel du genre organisé par les Nations Unies. L’ordre du jour prévoit notamment la mise sur pied d’un cadre de lutte contre le « biopiratage » afin que, notamment, chaque pays reçoive une rétribution en échange des empreintes numériques des espèces végétales rares poussant sur son territoire et utilisées par les compagnies pharmaceutiques. Vous assistez à la COP 16 ? Faites-nous part de vos impressions à cette adresse.

Les producteurs de citrouilles subissent revers après revers. Tam Andersen gère Prairie Gardens, une exploitation de 35 acres située dans le comté de Sturgeon, en Alberta. Elle dit avoir subi, en début de saison, des pertes causées par les froids inhabituels du mois de juin. L’an dernier, c’était la sécheresse qui avait frappé. « Une fois de plus, les changements climatiques sont en cause, explique Tam au téléphone. Nous parlons entre nous de la saison Lemony Snicket », ajoute-t-elle, en référence à l’auteur de A Series of Unfortunate Events. Comme d’autres exploitants, Tam cherche à s’adapter : l’année prochaine, elle sèmera dans des terrains surélevés, afin de protéger les plants des avalanches de neige fondante.

Prix bimensuel de l’action climatique. Le prix est décerné à Lennard de Kler. Ce chercheur spécialisé dans les émissions de GES en temps de guerre animera une table ronde lors de la COP 29 qui aura lieu à Bakou (Azerbaïdjan) en novembre.

Prix bimensuel du flop climatique. Décerné à une proposition délirante du gouvernement britannique qui, pour atteindre ses objectifs de carboneutralité, envisageait de brûler du bois importé en Corée du Nord, en Afghanistan ou ailleurs.

La course au nucléaire reprend

Comme le dit l’AIE, nous allons entrer dans l’âge de l’électricité. Pour l’énergie nucléaire, c’est la Renaissance qui s’amorce, grâce aux géants du numérique. Après le contrat de 960 MW qu’elle a conclu en mars avec Talen Energy, Amazon a signé avec X-energy une entente de 500 millions de dollars américains afin de pouvoir disposer de petits réacteurs modulaires (PRM) d’une puissance totale de 5 000 MW. Google a dévoilé des plans similaires et Microsoft va faire rouvrir la centrale de Three Mile Island. Nvidia, elle, lorgne les centrales japonaises. Il s’agit d’assouvir l’appétit insatiable de l’intelligence artificielle et des centres de données.

L’industrie nucléaire a reçu le feu vert des acteurs politiques à Dubaï, lors de la COP 28, mais le décollage s’est fait attendre. Les récentes annonces en cascade ont fait grimper le cours des actions, loin devant l’indice S&P 500 en valeur annuelle.

Voici ce que cela implique pour le Canada, selon Shaz Merwat, responsable principal, Politique énergétique :

Le Canada est à la manœuvre. En matière de nucléaire, nous ne sommes pas des novices. Les provinces s’appuient de plus en plus sur ce secteur ; en Ontario, il est censé répondre à la hausse de 75 % de la demande prévue d’ici 2050, notamment en raison de l’IA. Nous pouvons également faire profiter de notre savoir-faire les pays qui ne font que s’engager dans cette voie – c’est l’un des objectifs assignés aux PRM d’Ontario Power Generation. Déjà, les États-Unis font l’article en Asie avec leur propre technologie.

On réalise que la mise en œuvre des nouvelles technologies de décarbonation dépend étroitement de la signature de conventions de vente et d’achat. Le Canada ne pourrait-il pas suivre cette voie dans le secteur de la capture de CO2 ? La loi américaine sur la réduction de l’inflation (IRA) prévoit un mécanisme ambitieux reposant sur un crédit d’impôt garanti de 85 $US par tonne. L’approche canadienne consiste à atténuer le risque lié aux dépenses en immobilisations par le jeu des crédits d’impôt à l’investissement. Du point de vue économique, cela se tient, mais jusqu’ici, l’incertitude a régné autour du prix du carbone (donc des revenus).

Les marchés du carbone à l’ère des changements climatiques

Selon un nouveau rapport de la Commission on Carbon Competitiveness (C3), qui vient d’être mise sur pied, la compétitivité carbone et les risques de perte de revenus rendent particulièrement vulnérables neuf secteurs canadiens (industrie pétrogazière, raffineries, sidérurgie, cimenteries et alumineries, etc.).

Selon Aaron Cosbey, président de C3 et co-auteur du rapport, la tarification du carbone industriel (on parle aussi de systèmes d’échange pour les grands émetteurs, les « LETS ») demeure la meilleure option à moyen terme.

« Cependant, ajoute M. Cosbey dans un courriel, nous avons constaté que certains produits – fer et acier, produits chimiques de base, engrais azotés, pâtes et papier, etc. (le ciment est un cas d’espèce) – sont beaucoup plus exposés que d’autres. Autant de secteurs dans lesquels il faudrait davantage utiliser les étalons de rendement prévus par les LETS, de manière à maintenir le coût moyen du carbone aussi bas que possible. »

À mesure que les grandes entreprises vont se décarboner, il sera difficile de maintenir les marchés du crédit équilibrés. Le Canada doit donc commencer à étudier différentes options pour mieux se protéger à long terme.

L’une de ces options consisterait en l’ajustement des taxes carbone aux frontières, mais cela contreviendrait aux lois sur le commerce international, perturberait les mesures incitatives prises à l’intérieur du pays et provoquerait bien des remous chez notre voisin du sud.

Autre possibilité : une norme fondée sur l’intensité en GES de chaque produit, qui conditionnerait les ventes sur le marché intérieur (importations comprises).

Ces deux options nécessiteraient la coopération des États-Unis et la mise au point de mécanismes complexes. C3 recommande que le Canada les mette à l’étude dès maintenant (le rapport se trouve ici).

Conclusion : s’il veut assurer sa compétitivité à long terme, le Canada doit soutenir les industries traditionnelles comme les secteurs à fort potentiel de croissance. « Les secteurs qui dépendent fortement de la demande auront probablement besoin de capitaux pour se décarboner et pour occuper les nouveaux créneaux. Quant aux secteurs en croissance, il leur faudra aussi de l’argent frais pour asseoir leur position, étendre leurs activités et passer à la mise en marché. » Tout cela doit se dérouler de manière concertée – et vite.

L’institut à l’œuvre

Lors de la conférence Energy Disruptors tenue le 2 octobre, John Stackhouse et Chana Martineau, cheffe de la direction d’AIOC (Alberta Indigenous Opportunities Corporation), ont discuté de réconciliation économique. Leurs propos ont été résumés ici.

Le 16 octobre, lors du Canada’s Productivity Summit tenu à Calgary, Myha Truong-Regan a expliqué comment la transition énergétique peut stimuler la croissance et la productivité au Canada.

Le 16 octobre, à l’occasion de la Journée mondiale de l’alimentation, Lisa Ashton a participé au Arrell Food Summit, où il a été question d’innovation en matière alimentaire.

Lisa animera par ailleurs une table ronde sur les solutions naturelles auxquelles se prête le paysage agricole, lors du salon Royal Agricultural Winter Fair qui se tiendra le 1er novembre.

Parmi nos lectures préférées du moment, citons World Without End (Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain), The Burning Earth (Sunil Amrith) et Gambling Man (Lionel Barber).

 

Créé par Yadullah Hussain, Directeur de rédaction, RBC Institut d’action climatique.

le bulletin Bouleversements climatiques ne pourrait pas exister sans la collaboration de John Stackhouse, Myha Truong-Regan, Sarah Pendrith, Farhad Panahov, Lisa Ashton, Shaz Merwat, Vivan Sorab, Caprice Biasoni et Frances Dawson.

Avez-vous des commentaires, des félicitations ou, euh, des critiques à faire ? Écrivez-moi à (mailto:yadullahhussain@rbc.com).

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