Lors de la conférence Energy Disruptors: Unite qui a eu lieu à Calgary, j’ai rencontré Chana Martineau, cheffe de la direction de l’Alberta Indigenous Opportunities Corporation (AIOC), avec qui j’ai discuté de réconciliation par la voie du développement économique. Femme issue des Premières Nations avec 30 années d’expérience en services bancaires et en service-conseils, Mme Martineau est particulièrement qualifiée pour aider les communautés autochtones à saisir des occasions économiques en les mettant en rapport avec l’entreprise privée. Son équipe interfonctionnelle composée de professionnels des marchés financiers, de spécialistes en relations autochtones et de professionnels de l’engagement fait de l’AIOC une référence en matière de bonne gouvernance et de gestion professionnelle. Mme Martineau a quelques conseils à offrir aux entreprises qui veulent établir des liens avec les communautés autochtones.
- Organisation inédite, l’AIOC fait la preuve de la puissance de la mobilisation de capitaux autochtones pour permettre aux communautés de saisir des occasions économiques. Pouvez-vous nous retracer l’historique de l’AIOC ?
- Ce que vous avez réussi à accomplir en cinq ans à peine est vraiment remarquable, et maintenant plusieurs autres provinces vous emboîtent le pas. Quels conseils avez-vous à leur donner ?
- La gouvernance est donc cruciale, tout comme le sont l’esprit entrepreneurial et le soutien de vos « actionnaires ». Ces partenariats semblent aptes à permettre de résoudre de nombreux problèmes. Pourquoi le marché ne les a-t-il pas déjà adoptés ?
- C’est donc une stratégie très efficace. Qu’y a-t-il d’autre que les entreprises doivent savoir ?
- L’approche axée sur la compréhension de l’autre demande du temps, ce qui entre souvent en contradiction avec la philosophie d’entreprise. Comment les entreprises qui sont parvenues à conclure ces partenariats s’y sont-elles adaptées ?
- Voyons le point de vue des communautés autochtones. Quels sont quelques-uns des signes de réussite au sein des communautés ? Comment celles-ci voient-elles ces partenaires commerciaux et les structures que vous contribuez à créer ?
- Comment aidez-vous les communautés n’ayant pas accès à des marchés de capitaux ou n’ayant pas d’expertise financière à saisir rapidement les occasions qui se présentent ?
- Les avantages tirés de ces opérations ne doivent pas être exclusivement financiers, n’est-ce pas ? Il faut aussi prendre en compte le capital humain et culturel.
- Comment pouvons-nous tous – mais surtout les intervenants au sein des entreprises et des gouvernements – soutenir ce que vous faites ?
- Quelles sont une ou deux choses qui, vous l’espérez, auront évolué d’ici un an ?
En 2019, le gouvernement de l’Alberta a tenu sa promesse électorale de créer une organisation qui faciliterait les investissements et la participation de groupes autochtones dans des projets commerciaux viables, chose impossible auparavant en raison des restrictions imposées par la Loi sur les Indiens. L’AIOC a été mise en place pour éliminer ces obstacles en fournissant les capitaux permettant une pleine participation à l’économie, créant, ce faisant, un modèle pour des projets à venir. Nous atteindrons nos cinq ans d’existence le mois prochain, et les possibilités de projets sont si nombreuses que nous n’arrivons parfois pas à suivre le rythme. Le besoin d’un tel programme est très clair.
Je suis impressionnée par l’esprit entrepreneurial et l’enthousiasme du gouvernement albertain. Il nous a simplement demandé de quoi nous avions besoin pour réaliser notre mission. Notre modèle de gouvernance est extrêmement important. Notre conseil se compose de cinq membres des Premières Nations, de deux membres de communautés métisses et de deux alliés. Il s’agit de personnes qui ont une très bonne compréhension des entreprises autochtones et des marchés financiers. Ces compétences sont importantes pour protéger les garanties sur prêts provinciales et pour saisir les intérêts communs des nations autochtones et de l’entreprise privée. On parle beaucoup de crise de la productivité au Canada. Résoudre cette crise exigera de la collaboration ; il ne fait aucun sens que chaque territoire ait son propre programme qui fonctionne en autonomie. Un tel potentiel de collaboration est particulièrement important pour la réalisation de grands projets d’infrastructure multiterritoriaux. Nous avons toujours fait preuve d’une grande ouverture afin de permettre aux nouveaux programmes de bénéficier de nos apprentissages. Nous voulons sensibiliser les Autochtones et les Canadiens aux avantages offerts par de tels partenariats, et les aider à en tirer profit.
Les entreprises veulent établir des partenariats avec les Autochtones, mais ces relations sont, de longue date, porteuses de conflits. Certaines entreprises craignent ces conflits potentiels. D’autres reconnaissent que des erreurs ont été commises de part et d’autre et que c’est là la raison d’être du cheminement vers la réconciliation. Elles sont maintenant prêtes à y participer. Notre équipe fait le pont entre les deux mondes. Nous connaissons les marchés financiers, les sociétés cotées en bourse, et le besoin d’offrir un rendement à l’actionnaire. Nous connaissons également les façons de faire et l’histoire des Autochtones. Nous pouvons donc veiller à ce que les partenariats respectent leurs valeurs. Nous mettons les gens en rapport et leur offrons une plateforme pour les discussions qui mèneront à la formation de partenariats profitables de part et d’autre.
Je crois qu’il faut être fermement enraciné dans ses valeurs. Les partenariats réussis ont toujours été marqués par cet engagement de la direction envers le respect des valeurs. Les équipes de développement et les équipes juridiques des entreprises sont axées avant tout sur l’efficience, et beaucoup moins sur la compréhension du point de vue de l’autre. Ce n’est pas l’approche des communautés autochtones, et il est important que les entreprises le comprennent. Les choses se dérouleront différemment, et c’est une bonne chose. Il faut un véritable leadership au plus haut niveau, ainsi qu’une détermination à persévérer jusqu’à la conclusion.
Patience, persévérance et créativité : voilà les trois éléments clés. La créativité est très importante. Les enjeux ne se limitent pas à la conclusion d’ententes de partenariats. Il y a aussi la question des garanties sur prêts. À l’AIOC, nous gérons trois milliards de dollars de fonds publics albertains. Il s’agit là d’une lourde responsabilité envers les contribuables de l’Alberta. Ces opérations ne sont pas faciles à réaliser, et la barre est haute. Nous disposons d’une structure de crédit novatrice pour protéger les garanties sur prêts afin d’éviter que la province se retrouve en position de difficulté budgétaire advenant qu’une garantie sur prêt soit exercée. Notre évaluation de la solvabilité des parties doit donc être prudente, et les garanties sur prêts doivent être établies de manière qui fonctionne pour les communautés et pour les entreprises.
Certaines communautés ont déjà obtenu des retombées positives. Des partenariats ont contribué à transformer des relations conflictuelles en relations où règnent le respect, la compréhension et la collaboration. Nous constatons aussi une importante stimulation de l’activité économique au sein de ces communautés. Elles sont capables de reconstruire des lieux de rassemblement, prenant en charge toutes les étapes de la conclusion des contrats à la construction. Les emplois et les revenus sont en hausse, ce qui stimule l’activité économique et contribue à la solidité des communautés. Imaginez ces avantages tirés les quelque 43 nations et établissements qui ont pris part à nos opérations. Nous commençons à constater ces retombées économiques.
Il y a beaucoup à apprendre en peu de temps. Nous leur offrons des subventions de capacité qui permettent d’accéder à des conseillers ou à du financement pour des services-conseils. Nos partenaires commerciaux contribuent également au financement de ce volet. Les membres des communautés autochtones peuvent voir le cycle de vie complet d’une opération – ils peuvent être présents à chaque réunion, assister à tout le processus de contrôle diligent et faire des visites de site. En comprenant le processus du début à la fin, ils peuvent interagir avec l’industrie. Ils peuvent maintenant demander : « Pourquoi nous parlez-vous de consultation ? Pourquoi ne nous offrez-vous pas une participation ? » Le dialogue a complètement changé. Les membres des communautés autochtones ne sont plus subordonnés à l’industrie, et j’en suis tellement fière.
Vous devez savoir ce que ces opérations vous apportent. Quand il ne s’agit que d’argent, peu importe l’autre partie. Ce que vous tirerez de l’opération est concret et connu. Mais si vous n’avez pas pris le temps de chercher à comprendre votre partenaire, qu’il soit autochtone ou non, et à instaurer la confiance dès le départ, cela se fera sentir pendant les négociations.
L’AIOC ne peut pas tout faire. Nous octroyons des garanties sur prêts, certes, mais il reste encore l’approvisionnement, la conclusion des contrats, les relations et l’embauche. Il faut que les organisations et les gouvernements commencent à appréhender différemment la façon dont ces relations sont établies. Si vous voulez embaucher plus d’Autochtones, par exemple, mais que les salons de l’emploi ne donnent aucun résultat, vous devez changer de méthode. Pourriez-vous commencer par un partenariat économique ? À quoi ressemble l’embauche actuellement ? Il s’agit d’une façon différente d’aborder la question. Je pense que beaucoup de gens se demandent comment y parvenir. Parlez avec vos voisins autochtones. Amorcez la discussion, et vous avancerez dans votre parcours.
J’espère que nous aurons soutenu davantage de partenariats. J’espère que nous aurons élargi la portée des opérations. J’espère que nous aurons conclu une ou deux opérations importantes qui changeront la donne au sein des territoires. Et j’espère que d’autres programmes auront été lancés.
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