Points saillants :
- En ce début d’année 2025, les données sur l’emploi montrent que le marché du travail américain demeure résilient, tandis que le ralentissement du marché du travail canadien pourrait prendre fin plus tôt que prévu.
- Les conditions s’améliorent dans les deux économies, mais la menace de perturbations commerciales s’intensifie et assombrit les perspectives.
- Nous prévoyons toujours l’imposition de mesures ciblées à l’endroit du Canada et d’autres pays de la part des États-Unis, comme la restauration prévue des droits de douane sur l’acier et l’aluminium de 2018-2019, mais pas la mise à exécution de la menace des Américains d’imposer des droits de douane supplémentaires généraux de 25 % à compter du 1er mars.
- Les banques centrales s’abstiennent pour la plupart de s’engager à réagir aux incertitudes tarifaires et devront tenir compte d’une réponse budgétaire plus ciblée que la politique sur les taux d’intérêt.
- Nous nous attendons à ce que la Banque du Canada n’abaisse pas les taux d’intérêt en mars, compte tenu des premiers signes montrant que les baisses de taux antérieures favorisent la croissance de l’économie, mais nous prévoyons que d’autres baisses seront encore nécessaires plus tard cette année
Enjeu sous la loupe : La semaine dernière, Donald Trump, le président des États-Unis s’est abstenu à la dernière minute d’imposer des droits de douane généraux à l’endroit du Canada, mais les risques commerciaux sont toujours là. Comme le chantait Paul Simon, il existe une foule de scénarios pouvant illustrer l’éclatement d’une relation. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une de nos hypothèses de base, nous examinerons ici l’incidence que pourrait avoir sur le Canada l’importante hausse de 25 % des droits de douane généraux.
Modifications des prévisions : Les perspectives à court terme du Canada et des États-Unis sont révisées à la hausse
La première série de rapports sur l’emploi en 2025 donne à penser que les conditions sur le marché du travail pourraient s’améliorer plus rapidement que prévu au Canada et qu’elles demeurent incroyablement serrées aux États-Unis.
Les gains d’emploi au Canada ont été plus élevés que prévu, plusieurs fois de suite. Compte tenu du ralentissement de la croissance démographique, les gains ont été suffisants pour faire fléchir davantage le taux de chômage en janvier. En soi, les rapports portent à croire que le pire du recul du marché du travail canadien pourrait être passé. Signalons toutefois qu’il est trop tôt pour déclarer que les marchés du travail sont revenus à la normale. La plupart des indicateurs, y compris le niveau des emplois vacants, continuent d’indiquer un ralentissement de la demande d’embauche.
La confiance des entreprises en matière d’embauche est restée modérée au quatrième trimestre de l’an dernier. Bon nombre d’entre elles reconnaissaient l’existence de capacités excédentaires sur les marchés du travail et s’attendaient à ce que la croissance des salaires continue de ralentir au cours de la prochaine année. Les risques alors liés aux élections américaines assombrissaient les perspectives et se sont depuis cristallisés en risques plus clairs liés au commerce international. Même en l’absence de droits de douane effectifs, les incertitudes plombent probablement déjà les investissements des entreprises, en particulier dans le segment de la production de biens de l’économie.
Aux États-Unis, le fléchissement du taux de chômage à 4 % en janvier était un signe évident que la demande d’embauche restait forte et que des baisses de taux additionnelles par la Réserve fédérale n’étaient pas nécessaires pour le moment. Les risques commerciaux sont aussi au cœur des préoccupations. Mais nous pensons toujours qu’une guerre commerciale de grande ampleur est peu probable, car elle coûterait à l’économie américaine plus que ce que celle-ci pourrait en retirer. Des droits de douane moins élevés et ciblés sont plus susceptibles d’être imposés.
Des droits de douane élevés causeraient trop de dégâts à l’économie américaine
L’essentiel des questions qu’on nous pose au sujet de nos perspectives économiques concerne l’incertitude commerciale. Les risques se sont intensifiés après l’imposition, évitée de justesse, de droits de douane élevés au Canada et de mesures de représailles au début de février. Lisez au sujet des cinq choses que nous avons apprises cette semaine-là.
Des droits de douane généraux élevés seraient trop préjudiciables à l’économie américaine pour être susceptibles d’être imposés pendant une longue période. Si des droits de douane de 25 % étaient imposés aux importations canadiennes et mexicaines pendant plus de six mois, ils pourraient se traduire par une croissance à peu près nulle du produit intérieur brut aux États-Unis en 2025. De plus, toute mesure de représailles supplémentaire ou l’application de droits de douane à d’autres pays ou groupes pourrait provoquer une récession aux États-Unis cette année.
Des mesures ciblées qui nuiraient à des secteurs précis sont plus probables, mais elles n’entraveraient pas de façon importante à la croissance de la production cette année. L’annonce récente concernant les importations d’acier et d’aluminium aux États-Unis relève de cette approche tarifaire ciblée et modérée qui est déjà prise en compte dans notre scénario de base. De même, les mesures de représailles mises en œuvre par le Canada pourraient être limitées et ciblées et ne seraient pas assez importantes pour modifier nos perspectives d’inflation.
La Banque du Canada ne devrait pas abaisser les taux d’intérêt en mars, même si les droits de douane demeurent un risque clé
ADans un contexte de menace d’imposition de droits de douane élevés au début de février, la réaction impulsive des investisseurs a été de croire que la Banque du Canada abaisserait les taux d’intérêt, en partant du principe que la banque centrale chercherait surtout à soutenir la croissance en berne de l’économie tout en surveillant l’incidence des droits de douane sur l’inflation à court terme.
La banque centrale ne s’est pas engagée à réagir à sa plus récente réunion. Nous convenons que les répercussions négatives des droits de douane sur la croissance économique devraient l’emporter sur l’incidence inflationniste à court terme pour la Banque du Canada, mais nous croyons aussi qu’il y a des limites à la mesure dans laquelle l’outil direct que représente la politique monétaire peut contribuer à soutenir l’économie lorsque le principal frein à celle-ci est l’affaiblissement de la demande étrangère pour les exportations canadiennes.
La faiblesse initiale de la production serait probablement concentrée dans une poignée de secteurs (en particulier dans la fabrication) où un soutien budgétaire pourrait avoir une incidence plus forte, étant donné qu’il procurerait un soulagement ciblé et immédiat.
Bien entendu, plus les droits de douane sont élevés et plus longtemps ils sont imposés, plus il est probable que la Banque du Canada réagisse en abaissant les taux d’intérêt. Mais comme ces perturbations plus graves ne font pas partie de notre scénario de base, et qu’en ce début de 2025 l’économie est en meilleure position que prévu, nous nous attendons à ce que la Banque du Canada réduise ses taux plus graduellement que prévu.
Orientation des banques centrales
Banque centrale
Taux directeur actuel
(Latest Move)
Prochaine décision
BdC
3,00%
Baisse de 25 pb en janv. 2025
0 pb
Mars 2025
Fed
4,25-4,50%
Aucune baisse en janv. 2025
0 pb
Mars 2025
BdA
4,50%
Baisse de 25 pb en févr. 2025
0 pb
Mars 2025
BCE
2,75%
Baisse de 25 pb en janv. 2025
-25 pb
Mars 2025
RBA
4,35%
Aucune baisse en déc. 2024
-25 bps
Février 2025
Enjeu sous la loupe : Évaluer l’incidence d’une rupture des échanges commerciaux
L’administration américaine a finalement retardé les droits de douane de 25 % sur le Canada et le Mexique qu’elle menaçait d’imposer au début de février. Elle a toutefois relevé les droits de douane sur les importations en provenance de la Chine, ces hausses équivalant à peu près aux droits de douane combinés qui ont été imposés pendant le premier mandat de Donald Trump. Cette semaine, des droits de douane sur tous les produits d’acier et d’aluminium importés aux États-Unis, semblables à ceux de 2018, ont été annoncés et devraient entrer en vigueur en mars.
Des mesures tarifaires ciblées pourraient être douloureuses pour les entreprises visées, mais l’ampleur du choc sur le contexte macroéconomique dans son ensemble serait vraisemblablement modeste. La menace d’importants droits de douane généraux sur le Canada et le Mexique est d’une tout autre ampleur. Bien que ces mesures aient été retardées, elles sont loin d’avoir été abandonnées. Pour les besoins de l’exercice, voici quelles en seraient les répercussions, selon nous, sur nos prévisions économiques de base.
Le taux de chômage canadien dépasserait 8 %
Grosso modo, nos hypothèses sont comparables aux estimations modélisées de la Banque du Canada, selon lesquelles des droits de douane généralisés et permanents de 25 % réduiraient le PIB du Canada de 4 % à 6 % comparativement à un scénario de base sans choc sur deux ou trois ans.
Si les droits de douane étaient imposés au deuxième trimestre de cette année, nous croyons que le produit intérieur brut réel du Canada pourrait enregistrer une croissance nulle en 2025, puis se contracter de 2 % en 2026. Le taux de chômage grimperait et culminerait à environ 8 % au début de 2027. Cela représente environ deux points de pourcentage de plus que le taux d’environ 6 % prévu dans un scénario de base misant sur des droits de douane modérés, qui table sur une forte reprise de la demande d’embauche à compter du second semestre de 2025.
À long terme, nous prévoyons des dommages structurels à l’économie en raison de la rupture des liens associés à la production transfrontière intégrée, ce qui nuirait fortement à la croissance de la productivité dans le secteur manufacturier, qui représente près de 10 % de l’économie canadienne.
Les droits de douane imposés pendant une courte période seraient tout de même préjudiciables
Dans le scénario où des droits de douane seraient imposés, mais seulement pendant trois mois avant d’être annulés, nous prévoyons que l’incidence sur la croissance resterait prononcée, mais de courte durée. La production réelle cesserait essentiellement de croître au cours des trimestres suivants, puis l’économie récupérait la plus grande partie de ses pertes, une fois les droits de douane éliminés.
Notre prévision d’une croissance du PIB de 1,3 % en 2025 serait réduite de moitié si les droits de douane étaient maintenus jusqu’au deuxième trimestre de cette année. Toutefois, la croissance serait plus forte en 2026 et en 2027, compte tenu de la reprise des activités commerciales et de production. Les conditions sur le marché du travail se dégraderaient encore dans un scénario d’imposition de droits douaniers pendant une courte période, mais dans une moindre mesure. Le taux de chômage augmenterait légèrement pour atteindre un sommet tout juste supérieur à 7 % au cours du second semestre de 2025, avant de reculer.
Dans ce scénario, l’économie subirait toujours des dommages structurels, étant donné que les entreprises réduiraient leurs dépenses d’investissement en raison d’un manque de confiance dans les relations commerciales futures, ce qui entraverait la croissance de la productivité. Toutefois, il est probable que cela se produise déjà en partie aujourd’hui, car la confiance des investisseurs reste en berne, malgré la baisse des taux d’intérêt.
Des mesures de représailles stratégiques feraient moins grimper l’inflation au Canada
Comme nous l’avons mentionné dans notre plan de match sur les tarifs, les détails des mesures de représailles prises par le Canada représentent l’un des principaux facteurs qui compliquent l’évaluation des répercussions des droits de douane américains sur l’économie canadienne. La semaine dernière, nous avons eu un aperçu de ce que serait l’incidence de droits de douane partiels et échelonnés.
La liste initiale contient 30 milliards de dollars d’importations ciblées, ainsi que des détails sur une deuxième liste de marchandises d’une valeur de 125 milliards de dollars qui suivrait. Sur la liste plus détaillée de marchandises d’une valeur de 30 milliards de dollars, environ un tiers sont des produits alimentaires et 30 % représentent des appareils électroménagers et des meubles.
De toute évidence, ces mesures augmenteraient les prix pour les importateurs canadiens. Dans le pire des cas, l’imposition de droits de douane de 25 % sur 155 milliards de dollars d’importations en provenance des États-Unis équivaudrait à une augmentation d’environ 2,5 % des prix à la consommation, en supposant que les importateurs continuent d’importer le même volume et qu’ils soient en mesure de transférer l’intégrité de l’augmentation des coûts aux consommateurs.
Mais en réalité, l’incidence réelle sur les prix à la consommation serait beaucoup plus modeste en raison de la substitution au niveau des importateurs (vers des sources différentes) et des consommateurs (vers des biens différents).
Selon nos calculs, la première tranche de 30 milliards de dollars de marchandises importées faisant l’objet de mesures de représailles représente la part moyenne de 35 % des importations américaines. Ce pourcentage est inférieur à la part moyenne de 50 % des importations américaines pour l’ensemble des importations canadiennes, ce qui laisse aux importateurs (du moins en partie) une marge de manœuvre pour se diversifier au détriment des produits américains.
Les consommateurs auront aussi la possibilité d’acheter des produits de remplacement qui ne sont pas soumis à des droits de douane. Par exemple, acheter des produits locaux plutôt que des produits importés ou acheter plus de pommes et de poires (qui ne figurent pas sur la liste initiale des produits faisant l’objet de mesures de représailles) et moins d’oranges (qui figurent en bonne place sur la liste).
Dans l’ensemble, la demande intérieure au Canada reste faible et le taux de chômage, malgré les signes d’un plafonnement plus tôt que prévu, demeure élevé. Cette situation s’est traduite par une modération soutenue de l’inflation et ne devrait pas changer avec l’imposition de droits de douane. La faiblesse de la demande continuera de limiter la mesure dans laquelle les importateurs pourront transférer l’augmentation des coûts aux consommateurs, ce qui atténuera l’incidence des droits de douane sur l’inflation.
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