La fin de l’exercice 2020-2021 marquera un sombre jalon pour le gouvernement fédéral canadien : il se sera alors écoulé toute une année depuis le début de la pandémie de COVID-19 qui aura porté un dur coup à la population et à l’économie du pays. Dans l’attente du premier budget officiel de la ministre Chrystia Freeland, voici les points que nous surveillons de près.

Les dépenses colossales éclipseront les revenus, pourtant supérieurs aux attentes

La mise à jour économique de lundi ne constituera sans doute pas un plan budgétaire complet, couvrant seulement les deux prochaines années plutôt que cinq, comme c’est le cas habituellement. Par ailleurs, étant donné l’incertitude qui entoure la propagation du virus, une variété de scénarios économiques nous sera probablement présentée. Aucune cible budgétaire ne sera fixée, comme l’ont fait savoir le premier ministre et la ministre des Finances. On peut cependant s’attendre à ce que le gouvernement insiste sur la solidité de son bilan, malgré le fort coût payé pour soutenir l’économie. Comme le Canada est toujours englué dans la deuxième vague d’infections, nous croyons que des dépenses supplémentaires seront annoncées.

Les perspectives sont néanmoins un peu moins sinistres que lors de la publication du portrait économique et budgétaire en juillet dernier. Le taux de chômage de 8,9 % est bien loin du sommet de 13,7 % atteint en mai, mais reste supérieur au taux de 5,6 % enregistré en février. L’économie s’est de plus redressée au troisième trimestre, ce qui nous a d’ailleurs incités à revoir à la hausse nos prévisions quant à la diminution du PIB d’une année sur l’autre, les portant à 5,6 %, soit moins que la moyenne de -6,8 % établie cet été.

Cette progression donne à penser que Chrystia Freeland pourrait annoncer des prévisions de revenus un peu meilleures qu’en juillet. Les dépenses, qui ont continué d’augmenter depuis, viendront toutefois ternir le tableau.

Nous nous attendons à un déficit de près de 370 milliards de dollars en 2020-2021, ce qui est largement supérieur aux 343 milliards de dollars projetés par le gouvernement en juillet. Nous savons déjà que des mesures de relance seront maintenues l’an prochain et, selon les annonces faites récemment, le déficit pourrait atteindre 90 milliards de dollars, voire plus, en 2021-2022. Il est en outre probable que certains programmes d’aide, comme la Prestation canadienne de la relance économique (PCRE) et la Subvention salariale d’urgence du Canada (SSUC), soient reconduits. Le cas échéant, ils pourraient creuser le déficit de 40 milliards de dollars supplémentaires d’ici la fin de 2021, sans compter les nouvelles dépenses qui seront annoncées. À notre avis, le déficit demeurera sérieux, mais somme toute gérable, avoisinant les 35 milliards de dollars au cours des années qui suivront… à condition bien sûr que les dépenses liées à la COVID-19 diminuent.



Cibler les investissements face à une reprise fragmentée

Les nouvelles dépenses viseront sans doute encore à aider l’économie à traverser une crise qui s’étire.

Les secteurs productifs de biens se portent mieux et leur niveau d’activité s’approche de ce qu’il était avant la pandémie, tandis que d’importantes perturbations perdurent dans nombre de segments du secteur des services. Les consommateurs dépensent fortement à certains égards, mais délaissent presque entièrement d’autres catégories. Par conséquent, nous nous attendons à ce que les nouvelles mesures de soutien aux entreprises s’adressent aux secteurs qui ont été durement touchés et qui continueront probablement à ressentir les effets de la pandémie même après la distribution à grande échelle d’un vaccin (p. ex., transport, tourisme et secteur énergétique).

Le gouvernement a jusqu’à présent modifié ou élargi les programmes existants. On pourrait donc s’attendre à des améliorations au programme phare de subvention salariale pour les entreprises visées par le confinement qui seraient comparables à l’indemnité de confinement de la nouvelle subvention pour le loyer, ou encore à des investissements publics plus ciblés comme ceux dans les projets environnementaux du secteur énergétique. Compte tenu de la priorité accordée au changement climatique dans le discours du Trône de septembre, nous nous attendons à davantage d’investissements dans ce secteur. Ces améliorations pourraient coûter cher : un supplément de 25 % pour la SSUC pourrait facilement représenter cinq milliards de dollars si des mesures de confinement plus étendues devenaient nécessaires.

Pour soutenir la reprise, il faut aussi des programmes plus ciblés pour les ménages. La Prestation canadienne d’urgence, qui a pris fin récemment, a beaucoup aidé les Canadiens à faible revenu ; pour bon nombre de gens qui ont été mis à pied, elle était d’ailleurs supérieure à leur salaire d’avant la COVID-19. La PCRE continuera de fournir une aide, mais le gouvernement veut encourager les demandeurs à retourner au travail. Selon une récente analyse des Services économiques RBC, les femmes ayant de jeunes enfants ont été plus durement touchées que les hommes. On peut également s’attendre à des investissements visant à créer des places en garderie avec davantage d’éloignement physique et une augmentation (temporaire) de l’Allocation canadienne pour enfants (ACE) pour aider à couvrir les coûts des services de garderie pour les parents qui sont à l’aise avec cette option. Ainsi, de légers changements aux critères d’admissibilité à l’ACE ou des augmentations de la prime pourraient rapidement faire augmenter le déficit. À titre d’exemple, le paiement unique de 300 $ par enfant versé en mai a coûté environ deux milliards de dollars. D’autres programmes sociaux sont également à l’étude par le gouvernement, notamment la réforme de l’assurance-médicaments et un régime d’assurance-emploi prêt pour le XXIe siècle. Bien que nous ne devions pas négliger les progrès accomplis en vue de la réalisation de ces objectifs, nous pensons que des réformes structurelles plus vastes, plutôt que des mesures de relance cycliques, seront présentées dans le budget du printemps.

Viser le moyen terme et infléchir à la baisse le ratio dette/PIB



Compte tenu du grand nombre de mesures de soutien possibles, nous suivons de près les perspectives sur plus d’un an. Nous nous inquiétons peu du lourd déficit cette année ; le gouvernement est en mesure de l’assumer compte tenu du faible niveau d’endettement au début de la pandémie et de la faiblesse historique des taux d’intérêt. Or, en l’absence de balises budgétaires, le ratio dette/PIB risque d’augmenter à moyen terme si le gouvernement fédéral continue à dépenser sans compter.

Le gouvernement pourrait être tenté d’ajouter de nouvelles sources de revenus pour financer d’autres dépenses. Ce serait toutefois mal avisé étant donné la fragilité de la reprise.

Ayant à juste titre abandonné son engagement de maintenir le ratio dette/PIB sur une trajectoire descendante cette année, le gouvernement pourrait souhaiter maintenir les mesures de relance à moyen terme. Si les dépenses restent à tel niveau, compte tenu des vaccins qui seront bien prêts, nous craignons davantage qu’il y ait trop de mesures que pas assez. Les programmes du Canada ont été généreux et axés sur les ménages, comparativement à ceux des autres pays du G7. Pour que le ratio dette/PIB retrouve une trajectoire descendante, et c’est là un minimum, il faudra adopter des mesures stratégiques et veiller à ce que des dépenses en continu soient axées sur la croissance future. Il faudra connaître tous les détails du grand nombre de politiques ambitieuses annoncées dans le discours du Trône pour déterminer si la dette contractée demeurera viable.


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