Les grandes banques centrales sont bien en voie de renverser des années de politique monétaire restrictive.
Points saillants
- Le rapport sur l’emploi aux États-Unis pour septembre, qui brosse un meilleur portrait que prévu, laisse croire que l’économie reste en voie d’effectuer un « atterrissage en douceur », et qu’il est moins urgent pour la Réserve fédérale de réitérer avec une baisse de taux de 50 points de base en novembre ou en décembre.
- Les risques de replis demeurent, mais il y a plusieurs raisons de penser que le ralentissement économique sera contenu l’an prochain aux États-Unis, y compris un déficit budgétaire exceptionnellement important qui continue de soutenir la croissance.
- Si cet atterrissage en douceur se concrétise, la Fed va probablement suspendre son cycle de réduction des taux dans une fourchette de 4 à 4,25 %.
- L’économie canadienne reste à la traîne, le taux de croissance est inférieur à la normale et le taux de chômage est en hausse. Comme l’inflation se situe déjà dans la fourchette cible et que l’on s’attend à ce qu’elle continue de baisser, il n’y a pas grand-chose pour empêcher la Banque du Canada d’aller de l’avant avec des baisses de taux plus rapprochées et plus importantes.
- Par conséquent, nous avons mis à jour nos prévisions qui tablent maintenant sur deux baisses consécutives de 50 pb du taux du financement à un jour en octobre et en décembre, avant un retour à des baisses plus espacées de 25 pb lors de chaque réunion subséquente. Nous prévoyons que le taux du financement à un jour atteindra 2 % d’ici juillet 2025.
- La Banque centrale européenne et la Banque d’Angleterre réduiront selon nous les taux d’intérêt de 25 pb à chaque réunion jusqu’en mai 2025, sous réserve que les tensions inflationnistes intérieures continuent de diminuer.
- Enjeux sous la loupe : Dans quelle mesure l’économie canadienne fléchira-t-elle ? La normalisation de la courbe de Beveridge, le ralentissement de la croissance démographique et la croissance tendancielle de la productivité signifient que les perspectives de l’économie pour 2025 sont plus sombres.
Forecast changes:
Perspectives des États-Unis : grosses surprises en emploi, mais peu de changements aux prévisions
Le dernier rapport sur l’emploi aux États-Unis pour septembre a brossé un portrait étonnamment robuste, ce qui a réduit les probabilités d’un atterrissage brutal de l’économie.
La vigueur des données sur l’emploi réduit la pression exercée sur la Fed pour qu’elle continue de réduire les taux de façon marquée, mais elle ne dissipe pas les préoccupations de la banque centrale (ou du marché) à l’égard des risques de fléchissement de la croissance. Le taux de chômage reste plus élevé qu’il y a un an, et la plupart des autres données sur le marché du travail (postes vacants, mises à pied) continuent de se replier progressivement. Pendant ce temps, les tensions inflationnistes se sont apaisées et continuent de se rapprocher de la cible.
Par conséquent, nos perspectives pour l’économie américaine et la politique de la Fed ont peu changé au cours du dernier mois. Nous prévoyons toujours que la croissance de la production ralentira au cours de l’année à venir et que le taux de chômage augmentera légèrement, ce qui amènera la Fed à réduire les taux de 25 pb à chaque réunion de novembre à janvier.
Perspectives du Canada : la BdC réagira à la faiblesse de la croissance et de l’inflation avec des baisses de taux plus importantes
Contrairement aux États-Unis, l’économie canadienne continue de se détériorer à un rythme plus rapide que prévu par les marchés ou la BdC. Au troisième trimestre, la croissance du PIB avoisine un taux annualisé de 1 %, conformément à nos hypothèses d’il y a un mois, mais est bien en deçà des prévisions de la BdC, qui tablait sur une croissance de 2,8 % en juillet et une croissance potentielle du PIB de 2,3 %. Dans un contexte d’accroissement de la population encore important au cours du même trimestre, cela marquerait probablement une nouvelle baisse du PIB réel par habitant.
Ce qui est encore plus inquiétant, c’est que peu de données indiquent que l’économie est sur le point de se redresser. La demande d’embauche a continué de baisser tout au long de l’été, le nombre de postes vacants ayant chuté sous le niveau prépandémique. D’ici au début de 2025, un ralentissement important de l’immigration et de la croissance démographique demeure un obstacle important (voir ci-dessous les enjeux sous la loupe pour savoir dans quelle mesure nous croyons que l’économie fléchira).
À court terme, nous nous attendons à ce que la détérioration des marchés du travail et de l’économie dans son ensemble se poursuive, à ce que la croissance du PIB ralentisse davantage et à ce que le taux de chômage augmente d’ici le début de l’année prochaine. D’ici là, les tensions inflationnistes devraient continuer de diminuer et pourraient même se rapprocher de l’extrémité inférieure de la fourchette cible de 1 % à 3 % de la BdC en 2025. Les baisses de taux d’intérêt de la BdC devraient être plus rapprochées et plus importantes, de 50 pb en octobre et en décembre, même si la Fed revient à des baisses plus « normales » de 25 pb et moins nombreuses dans l’ensemble.
Au-delà de cette année, nous pensons que la BdC aura recours à des réductions de 25 pb jusqu’à ce que le taux du financement à un jour atteigne 2 %. C’est en deçà du taux final de 3 % que nous avions prévu. La baisse des taux d’intérêt contribuera à freiner l’affaiblissement des marchés du travail et permettra une reprise probablement à compter du second semestre de l’année prochaine.
Perspectives de la zone euro et du Royaume-Uni : un assouplissement plus dynamique
Dans la zone euro, les indices anticipés des directeurs d’achats laissent entrevoir un ralentissement de la croissance de la production au troisième trimestre. La croissance de la demande intérieure a déjà ralenti durant le premier semestre de l’année, mais cela a été camouflé par la vigueur des exportations nettes, qui a laissé la croissance du PIB à des taux élevés. La croissance du PIB a ralenti pour atteindre seulement la moitié des dernières prévisions de la BCE en septembre, à 0,1 % au troisième et au quatrième trimestres, la demande extérieure, notamment de la Chine, s’étant affaiblie et les dépenses et investissements intérieurs n’ont pas repris.
Ce ralentissement de la croissance devrait permettre à la BCE de réduire les taux d’intérêt, même dans un contexte de croissance des salaires encore importante et de marchés du travail tendus. Nous prévoyons maintenant que la BCE réduira le taux des dépôts de 25 pb à chaque réunion à compter d’octobre pour le porter à 2,25 % d’ici avril 2025.
Nos prévisions pour la Banque d’Angleterre ont également été mises à jour pour tenir compte d’un assouplissement plus dynamique. La croissance du PIB au Royaume-Uni a été très forte au premier semestre de l’année et devrait être globalement résiliente au deuxième semestre. Nous constatons également un ralentissement de la croissance des salaires et nous nous attendons à ce que cela atténue l’inflation des services, car une plus grande partie des coûts des intrants dans le secteur est attribuable aux salaires des travailleurs. Compte tenu de ces perspectives, nous nous attendons maintenant à ce que la Banque d’Angleterre réduise les taux lors de chaque réunion à compter de maintenant pour porter le taux d’escompte à 3,25 % d’ici mai 2025.
Central bank bias:
Central Bank
Current Policy Rate
(Latest Move)
Next move
BoC
4.25%
-25 bps in Sep/24
-50 bps
Oct/24
Fed
4.75-5.00%
-50 bps in Sep/24
-25 bps
Nov/24
BoE
5.00%
0 bps in Sep/24
-25 bps
Nov/24
ECB
3.5%
-25 bps in Sep/24
-25 bps
Oct/24
RBA
4.35%
0 bps in Sep/24
0 bps
Nov/24
Enjeux sous la loupe : Dans quelle mesure l’économie canadienne fléchira-t-elle ?
1. Une courbe de Beveridge « normalisée » signifie que la détérioration du marché du travail pourrait s’accélérer au Canada.
Le principal facteur de révision à la baisse de nos prévisions pour l’économie canadienne est le fléchissement rapide et continu des postes vacants, qui, lorsque combiné au taux de chômage, constitue la courbe de Beveridge.
La courbe de Beveridge (le rapport entre le taux de postes vacants et le taux de chômage) a une forme unique. Elle est convexe, c’est-à-dire qu’elle est plus prononcée au sommet lorsque le taux de postes vacants est élevé par rapport au taux de chômage, et plus plate vers le bas après la diminution du taux de postes vacants. Cela laisse croire que plus la demande d’embauche diminue et que les postes vacants reculent, plus le taux de chômage augmentera rapidement.
Comme aux États-Unis, les tendances du marché du travail au Canada ont aussi connu des changements importants en raison de la pandémie. Cela signifie (comme l’illustre le graphique ci-dessus) que la courbe de Beveridge a beaucoup évolué. D’abord, elle s’est déplacée vers l’extérieur (du vert au bleu), reflétant les tendances anormales observées pendant la pandémie. Puis, lorsque la demande d’embauche a commencé à ralentir en 2022, le niveau de postes vacants était anormalement élevé par rapport au taux de chômage.
Mais cette relation entre les postes vacants et le taux de chômage s’est normalisée, la courbe revenant à la normale prépandémique. Cette situation reflète en grande partie une baisse des postes vacants qui n’allaient probablement jamais être comblés, en raison d’une pénurie de main-d’œuvre alors importante. Plus important encore, nous sommes maintenant de retour à l’ancienne courbe et à la partie la plus plate, sans signe que le nombre de postes vacants cessera de diminuer de sitôt.
Les baisses de taux de la BdC devraient contribuer à la reprise des dépenses des ménages, ce qui devrait, au fil du temps, stimuler davantage l’embauche, tandis que la demande de main-d’œuvre des entreprises se redressera en 2025. Néanmoins, le ralentissement semble plus susceptible de s’intensifier que ce que nous pensions auparavant.
2. Le ralentissement de la croissance démographique freinera la croissance du PIB
Au cours des deux dernières années, nous avons observé une hausse du nombre de nouveaux arrivants, ajoutant plus de trois millions de consommateurs à l’économie canadienne durant les quatre dernières années. Elle a maintenu la croissance du PIB en territoire positif, même si la demande par personne diminue considérablement en raison des taux d’intérêt élevés.
Ce taux de croissance démographique est globalement considéré comme insoutenable. L’offre de logements et certains services publics au Canada ont eu du mal à suivre l’évolution de la population et le gouvernement fédéral devrait réduire considérablement le nombre de nouveaux résidents temporaires (qui sont principalement responsables de la hausse surprise de la population) pour faire passer leur proportion de la population de plus de 7 % à l’heure actuelle à 5 % d’ici 2027.
Cet objectif nécessite une baisse très marquée, soit d’environ 30 % du nombre de résidents temporaires d’ici 2027, ce qui pourrait être un choc pour les entreprises, qui comptent dans une certaine mesure sur les travailleurs internationaux, et pour les universités qui comptent sur les droits de scolarité des étudiants internationaux pour subventionner efficacement la formation des étudiants locaux.
Le bassin de résidents temporaires devrait certainement cesser de croître dès le premier semestre de 2025, avant de commencer à décliner purement et simplement. Cela se traduit par une augmentation d’à peine 1,3 % de la population en 2025, la moitié de la hausse de 2,8 % prévue cette année, avant de chuter à 0,4 % en moyenne en 2026 et 2027.
Réduire le taux de croissance démographique n’aura pas grand effet sur nos prévisions du taux de chômage ou du PIB par habitant. Ces taux sont largement indifférents aux changements démographiques, car les nouveaux arrivants augmentent à la fois la demande et l’offre dans l’économie. Mais cela signifie moins de revenus au total et moins de croissance de la capacité de production de l’économie, parce que le nombre de travailleurs disponibles augmente moins.
Nous nous attendons à ce que la croissance potentielle du PIB (croissance du niveau maximal du PIB durable à long terme, sans intensification des pressions inflationnistes) ralentisse à 1,4 % en 2025 par rapport à 2,4 % en 2024. Apprenez-en plus ici sur l’incidence de la baisse de la croissance démographique sur l’économie.
3. La croissance de la productivité du travail demeurera faible
Avec le ralentissement de la croissance démographique, l’économie canadienne devra compter davantage sur la croissance de la productivité pour stimuler la croissance du PIB et du PIB potentiel. Malheureusement, l’économie n’a pas d’excellents antécédents au chapitre de la croissance de la productivité – pas seulement depuis la pandémie –, sauf lorsque mesurée sur des décennies (apprenez-en plus sur les enjeux de productivité de longue date du Canada ici).
Il y a néanmoins des raisons de s’attendre à ce que les tendances récentes s’améliorent. En avril, la BdC a supposé un rebond de la productivité tendancielle du travail, renversant la baisse de cette année pour ajouter environ 0,8 % au PIB potentiel en 2025, attribuant en partie la faiblesse des deux dernières années aux retards dans l’utilisation intégrale des compétences des nouveaux arrivants.
Des vents contraires continuent toutefois de souffler sur ces perspectives optimistes. Premièrement, il n’y a pas suffisamment d’indications d’un redressement des investissements des entreprises pour stimuler de façon significative la croissance de la productivité. Les investissements réels dans les structures non résidentielles, la machinerie et l’équipement au deuxième trimestre étaient toujours inférieurs de près de 5 % à il y a un an.
Les taux d’intérêt baissent, ce qui réduit le coût des investissements, mais les entreprises sont confrontées à des incertitudes croissantes concernant les impôts, la réglementation et les politiques en matière d’immigration, compte tenu des élections à venir au Canada et aux États-Unis. Le fléchissement des conditions dans les plus grandes économies du monde et les guerres au Moyen-Orient ajoutent une autre couche de volatilité aux prix des marchandises et aux chaînes logistiques.
4. L’écart de production devrait se creuser jusqu’au second semestre de 2025, ce qui réduira les tensions inflationnistes.
Néanmoins, l’inflation devrait continuer à diminuer. En août, la croissance des prix à la consommation d’une année sur l’autre a ralenti pour atteindre la cible d’inflation de 2 % de la BdC, ce qui représente un retour plus rapide que ce que l’on craignait lorsque la croissance des prix a atteint un sommet de 8 % il y a deux ans.
Le ralentissement a été légèrement favorisé par la baisse des prix mondiaux de l’énergie, qui ont depuis augmenté en raison des conflits au Moyen-Orient. Mais l’économie sous-performante augmente les risques que la croissance sous-jacente des prix se stabilise en dessous de la fourchette cible. Le gouverneur Macklem a confirmé, après la baisse des taux en septembre, que les décideurs s’inquiètent tout autant d’être en deçà de la cible d’inflation que de la dépasser.\
Selon nous, l’économie a connu une croissance inférieure à son taux potentiel pendant sept des huit derniers trimestres. Cela a entraîné un écart de production négatif, c’est-à-dire que la demande dans l’économie a chuté en deçà de sa capacité de production, ce qui a précipité un ralentissement plus prononcé de la croissance des prix à l’avenir.
Par conséquent, nous prévoyons que la BdC devra réduire le taux du financement à un jour plus rapidement pour atteindre la zone neutre dans un délai moindre que prévu, avant d’atteindre un taux stimulant de 2 %.
Le présent article vise à offrir des renseignements généraux seulement et n’a pas pour objet de fournir des conseils juridiques ou financiers, ni d’autres conseils professionnels. Veuillez consulter un conseiller professionnel en ce qui concerne votre situation particulière. Les renseignements présentés sont réputés être factuels et à jour, mais nous ne garantissons pas leur exactitude et ils ne doivent pas être considérés comme une analyse exhaustive des sujets abordés. Les opinions exprimées reflètent le jugement des auteurs à la date de publication et peuvent changer. La Banque Royale du Canada et ses entités ne font pas la promotion, ni explicitement ni implicitement, des conseils, des avis, des renseignements, des produits ou des services de tiers.