Points saillants :
- Les risques liés au commerce international sont revenus sur le tapis à mesure que la nouvelle administration Trump s’apprête à prendre les rênes. Pour l’instant toutefois, les données économiques suivent globalement nos attentes précédentes.
- Aux États-Unis, les marchés du travail continuent de montrer suffisamment de signes graduels d’apaisement au quatrième trimestre pour justifier de nouvelles réductions de taux d’intérêt, quoique limitées.
- La contre-performance de l’économie canadienne gagne du terrain. Voilà un nouvel argument en faveur de réductions plus énergiques du taux d’intérêt de la part de la Banque du Canada (même si cela implique de déprécier le dollar canadien).
- La BCE continuera ses réductions dans la mesure permise par les marchés du travail tendus et la croissance élevée des salaires. La coexistence d’une situation similaire du marché du travail et des incertitudes budgétaires incitera la Banque d’Angleterre à redoubler de prudence.
Enjeux sous la loupe : L’Histoire nous montre que les plus sévères menaces tarifaires de la nouvelle administration Trump feront trop de dégâts que pour être mises en œuvre. Par ailleurs, l’allègement du déficit commercial serait contradictoire à d’autres objectifs politiques qui feraient augmenter les emprunts nets à l’étranger. On ne veut pas dire pour autant que ces objectifs sont sans conséquences ; par l’incertitude qu’ils suscitent pour les entreprises, ils limitent les investissements de celles-ci.
Modifications des prévisions : l’actualité économique est, dans l’ensemble, conforme à nos attentes
Malgré l’accroissement des risques défavorables (a fortiori pour le Canada) avec la menace de la nouvelle administration Trump de lancer une nouvelle vague de protectionnisme commercial aux États-Unis, nous estimons que les probabilités d’augmentations de droits de douane qui déstabiliseraient grandement les chaînes logistiques nord-américaines sont limitées (voir nos réflexions sur les menaces tarifaires à la section Enjeux sous la loupe).
Les données publiées au Canada et aux États-Unis depuis le dernier mensuel des marchés financiers ont évolué selon nos attentes globales. Ce mois-ci, nous ne nous sommes pas sentis obligés de remanier considérablement nos prévisions.
Le résultat exceptionnel de l’économie américaine se prolonge
Aux États-Unis, les grèves et les ouragans des derniers mois ont faussé les données du marché du travail. Quoi qu’il en soit, les données sous-jacentes laissent entrevoir un nouvel affaiblissement. Le taux de chômage qui est ordinairement moins touché par ce genre de distorsions a augmenté de 0,5 % par rapport à l’année dernière, conformément à nos prévisions de normalisation progressive.
Cette hausse devrait suffire en soi à justifier de nouvelles réductions de taux d’intérêt, quoique limitées, de la part de la Réserve fédérale. En 2025, nous croyons qu’une grande partie de la résilience continue de l’économie américaine persistera, grâce à l’ampleur historique du déficit public (en savoir plus ici sur les répercussions sur la croissance du déficit américain).
Toutefois, les risques liés aux perspectives inflationnistes seront aussi orientés à la hausse. C’est pourquoi nous sommes toujours d’avis que la Réserve fédérale suspendra ses réductions après celles de 25 points de base en décembre et en janvier où les taux des fonds fédéraux se situeront entre 4 % et 4,25 %.
La Banque du Canada continuera de réduire les taux d’intérêt avec ou sans la Réserve fédérale
Au Canada, l’IPC selon les indicateurs de l’inflation de base, a légèrement remonté en novembre. Il s’agit là avant tout d’un signe de volatilité plutôt que d’une tendance. La Banque du Canada devrait continuer de mettre l’accent sur la généralisation de l’affaiblissement de la croissance économique (le PIB par habitant ayant diminué pour la sixième fois d’affilée au troisième trimestre) et les marchés du travail (le taux de chômage ayant atteint 6,8 % en novembre), qui devraient continuer de freiner les tensions inflationnistes nationales au cours de l’année à venir.
Puisque l’inflation respecte à nouveau la cible, tout nouvel affaiblissement de l’économie risque de se traduire par une trop forte diminution de l’inflation. Afin de réduire les probabilités à cet égard et de rétablir l’équilibre des marchés du travail, nous pensons que la Banque du Canada devra en fin de compte réduire les taux d’intérêt à des niveaux « stimulants ». On s’attend à ce que le taux du financement à un jour soit ramené à 2 % d’ici le milieu de l’année 2025. Les risques de hausse de l’inflation demeurent et nous continuerons de les tenir à l’œil d’ici là.
Par exemple, la croissance des salaires est encore élevée, a fortiori si on la compare à la productivité anémique. Nous prévoyons néanmoins qu’elle continuera de ralentir à mesure que les capacités excédentaires s’accumuleront sur les marchés du travail. En novembre, les activités du logement ont aussi commencé à s’intensifier, mais nous prévoyons que le défi de l’accessibilité à la propriété finira par freiner ce redressement.
La divergence croissante entre le Canada et les États-Unis sur le plan de la politique monétaire (et de la croissance économique) devrait maintenir une certaine pression à la baisse sur le dollar canadien. Nous prévoyons que le huard chutera pour atteindre un taux plancher de 1,43 $ contre le dollar américain d’ici le milieu de l’année 2025. Ce taux de change ne devrait toutefois pas suffire à alimenter l’inflation au Canada. Nous pensons que la Banque du Canada devrait disposer d’une claire marge de manœuvre pour réduire le taux du financement à un jour à 2 %.
Les tensions des marchés du travail continueront de freiner les réductions de taux de la BCE et de la Banque d’Angleterre en 2025
Le résultat solide du PIB au troisième trimestre, stimulé par des dépenses robustes, rendra les facteurs liés à la demande à nouveau pertinents, alors que les économies européennes sont déjà considérées comme « sujettes à l’inflation » du fait des contraintes liées à l’offre.
En effet, les tensions persistantes du marché du travail ont renforcé la croissance des salaires dans la zone euro et au Royaume-Uni, ce qui a freiné les progrès de l’inflation nationale qui découle principalement des secteurs des services. Au Royaume-Uni, le dernier budget d’automne a attisé des craintes qui prendront probablement plus de temps à résoudre. Cela devrait au moins suffire à garder la Banque d’Angleterre sur ses gardes en ce qui concerne le rythme des futures réductions de taux.
Nous prévoyons que la Banque d’Angleterre ralentira son rythme de diminution de 25 pb par trimestre, tandis que la BCE continuera ses réductions de 25 pb à chaque réunion. Elle devrait continuer jusqu’à ce que le taux directeur atteigne 2,25 % pour la BCE d’ici avril et 3,75 % pour la Banque d’Angleterre ultérieurement en novembre 2025. Malgré le rythme différent, ces niveaux devraient osciller plus ou moins autour de ce que nous estimons être le taux d’intérêt « neutre » pour ces régions.
Orientation des banques centrales:
Banque centrale
Taux directeur actuel
(Latest Move)
Prochaine décision
BoC
3.25%
-50 pb en déc. 2024
-25 bps
Janv. 2025
Fed
4.50-4.75%
-25 bps in Nov/24
-25 bps
Dec/24
BoE
4.75%
-25 bps in Nov/24
0 bps
Dec/24
ECB
3.25%
-25 bps in Oct/24
-25 bps
Dec/24
RBA
4.35%
0 bps in Nov/24
0 bps
Dec/24
Enjeux sous la loupe : Comment envisageons-nous les risques liés à la politique commerciale protectionniste aux États-Unis ?
1) Les menaces les plus graves de l’administration Trump ne sont ordinairement pas mises en œuvre
Durant la première administration Trump, des menaces tarifaires ont été régulièrement proférées pour obtenir d’autres concessions commerciales ou politiques. Toutefois, les mesures les plus punitives et les plus agressives, particulièrement celles qui nuiraient gravement à l’économie américaine, n’ont en général pas été adoptées.
Par exemple, en 2018, l’administration Trump a menacé d’imposer des droits de douane de 20 à 25 % sur les exportations canadiennes d’automobiles canadiennes pour prendre l’avantage dans la renégociation de l’ALENA. Cette menace n’a pas été mise à exécution, et les États-Unis et le Canada ont conclu la renégociation peu après. En 2019, l’administration Trump a fait planer l’imposition de droits de douane de 25 % sur le Mexique en réaction à l’immigration illégale, mais elle l’a toutefois annulée la semaine suivante après être parvenue à un accord sur l’application de la loi.
De même, les répercussions potentielles de la menace actuelle de la nouvelle administration d’augmenter les droits de douane de 25 % dans l’ensemble sur les importations en provenance du Canada et du Mexique sont trop graves pour être un résultat probable. Si ces augmentations étaient mises en œuvre, elles augmenteraient le taux tarifaire moyen de près de 10 points de pourcentage et feraient perdre toute compétitivité à l’écosystème manufacturier nord-américain fortement intégré par rapport aux chaînes de production extraterritoriales.
Par ailleurs, même si le président élu ne se préoccupera pas de sa réélection personnelle cette fois-ci, les élections de mi-mandat pour la Chambre et le Sénat auront déjà lieu dans deux ans. Une politique commerciale perturbatrice aurait d’importantes incidences économiques défavorables pour les États pivots qui constituent le bastion industriel des États-Unis. Le Canada et le Mexique sont les principales destinations d’exportation de 41 États américains (34 États exportant le plus vers le Canada, et 7 vers le Mexique).
Sur les plans politique et économique, les menaces de tarifs douaniers feraient tout simplement trop de dégâts que pour être mises en œuvre.
2) L’incertitude commerciale est toujours lourde de conséquences, a fortiori pour le Canada
Voici les prévisions plus probables selon nous. Il s’agira en quelque sorte d’une répétition de la 45e administration sous M. Trump. L’accent principal sera mis sur les doléances commerciales avec les pays pour lesquels les déficits commerciaux des États-Unis sont importants. Cela concerne la Chine, ainsi que certaines économies asiatiques périphériques qui absorbent une plus grande part du déficit commercial américain depuis 2016.
Des perturbations seront certainement à prévoir dans les échanges commerciaux avec le Canada, mais nous pensons que celles-ci seront plus susceptibles d’être propres à un produit au lieu d’être unilatérales – probablement quelque chose de similaire aux droits de douane sur les produits canadiens en acier et en aluminium en 2018. Bien que ces perturbations n’aient pas l’ampleur suffisante pour faire basculer nos perspectives macroéconomiques, des perturbations commerciales de ce type continueront d’aggraver les dommages dans un plus grand nombre de secteurs manufacturiers qui sont, dans l’ensemble, les plus exposés au commerce (lien vers la prochaine publication Proof Point de Salim).
Par ailleurs, le fait que les plus grandes menaces tarifaires ne se matérialiseront probablement pas ne signifie pas qu’elles n’ont pas de conséquences. On signale déjà que des entreprises de part et d’autre de la frontière accumulent des stocks pour anticiper les perturbations.
La menace des droits de douane à elle seule peut aussi constituer une énorme dissuasion pour les entreprises qui envisagent des programmes d’investissement. Cette menace touchera particulièrement le Canada où, après des années de retard, les investissements des entreprises par travailleur au début de l’année étaient 16 % inférieurs à ceux de la fin de 2014, alors qu’ils étaient 50 % plus élevés aux États-Unis.
Le manque d’investissements des entreprises continuera d’aggraver l’écart de productivité déjà élevé entre le Canada et d’autres grandes économies.
3) L’objectif des tarifs douaniers contredit l’important déficit budgétaire du gouvernement américain
Sans compter les outils de négociation, l’objectif le plus courant d’une politique tarifaire est de combler un déficit commercial. Dans ce cas, les États-Unis accusent un déficit commercial international persistant depuis les années 1980.
La réduction du déficit commercial des États-Unis ne se limite toutefois pas au rééquilibrage des flux commerciaux.
Fondamentalement, une balance commerciale nette représente une forme d’emprunt. Cela signifie que la valeur des importations est inférieure au montant qui peut être acheté pour les ventes à l’exportation, et que ce manque à gagner doit être compensé par une vente d’actifs ou des emprunts à l’étranger. Le fait de combler le déficit de la balance commerciale exigerait donc essentiellement un rééquilibrage des emprunts nets à l’échelle de l’économie, et le plus gros emprunteur net dans l’économie est (ne l’auriez-vous pas deviné) le gouvernement fédéral.
Dans le passé, les idées d’un déficit commercial et d’un déficit budgétaire public étaient étroitement liées (on les appelait souvent le phénomène des « déficits jumeaux »). Bien qu’il ne soit pas impossible d’équilibrer le déficit commercial international tout en ayant un déficit public (ce fut le cas du Japon pendant des dizaines d’années), un tel équilibrage serait très difficile avec des déficits publics aussi grands que celui des États-Unis aujourd’hui.
En effet, les déficits publics américains, qui se sont établis à 6,4 % au cours de l’exercice 2024, sont trop importants pour être entièrement financés par les épargnants nationaux. Une tentative de réduction du déficit de la balance commerciale au moyen des droits de douane dans ce scénario revient un peu à presser un ballon gonflable : les déficits commerciaux ne feraient que changer de place.
Ce cas coulait de source pendant la première administration Trump. Les droits de douane imposés à la Chine à l’époque n’ont pas comblé le déficit de la balance commerciale américain, mais ont simplement déplacé les déficits vers d’autres économies périphériques asiatiques et le Mexique. Après des dizaines d’années d’emprunts à l’étranger, les États-Unis sont maintenant redevables d’un passif de 22,5 milliards de dollars à l’étranger, soit 78 % du PIB.
Le seul scénario dans lequel les droits de douane pourraient assurément combler le déficit commercial des États-Unis est celui où les droits de douane sont si punitifs que l’économie commence à se contracter directement. En période de ralentissement historique, la consommation a eu tendance à chuter plus que le revenu, ce qui a entraîné une hausse des taux sur épargne aux États-Unis et une baisse des importations.
Dans le cas présent, toutefois, comme nous l’avons mentionné ci-dessus, nous n’anticipons pas que les perturbations sur les droits de douane seront suffisamment grandes rendre ce résultat aussi probable.
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