Cela fait près de cent ans que le Canada n’avait plus connu de choc commercial aussi intense. Les Services économiques RBC souhaitent à présent trouver un juste équilibre entre leur désir de produire une analyse claire et la prise en compte du fait qu’une grande incertitude demeure quant aux réactions des décideurs politiques. Quoi qu’il en soit, nous en savons maintenant beaucoup plus sur le sujet que la semaine dernière. Analysons donc ce choc avec une plus grande assurance. À mesure que le contexte évoluera, les Services économiques RBC actualiseront leurs perspectives. Vous pourrez ainsi mieux comprendre cet événement économique capital. Nous continuons de nous appuyer fortement sur le Plan de match pour mesurer l’impact d’un choc tarifaire des Services économiques RBC afin d’évaluer les perspectives dans ce climat d’incertitudes.

  1. Voilà le choc commercial le plus important depuis la loi Smooth-Hawley Tariff Act des années 1930, à laquelle sont largement attribués l’aggravation et le prolongement de la Grande Dépression. Ce choc dépasse de loin la portée des tarifs de 2018, une période pour laquelle la réduction de valeur sert de guide utile pour l’impact économique à venir. À titre de rappel, les droits de douane moyens étaient passés de 1,5 % à environ 3 % aux États-Unis en 2018. En vertu de la nouvelle politique, les tarifs moyens américains s’élèvent à près de 11 %, soit le taux moyen le plus élevé depuis les années 1940. Qui plus est, cette politique représente un tournant fondamental dans un ordre commercial qui dure depuis près d’un siècle. Elle remet en question le principe économique fondamental selon lequel un commerce dénué de frictions est un meilleur modèle.
  2. Un maintien des tarifs douaniers de cette ampleur est synonyme de récession pour le Canada Notre analyse initiale (fondée sur de nombreuses hypothèses) laisse entendre que des tarifs de cette ampleur qui seraient maintenus pourraient anéantir la croissance canadienne pendant trois ans, avec les plus grandes répercussions au cours des première et deuxième années. Nos estimations concordent avec les simulations de la Banque du Canada, selon lesquelles une augmentation générale de 25 % des tarifs douaniers (aux États-Unis et à l’échelle mondiale) réduirait le PIB canadien de 3,4 à 4,2 points de pourcentage, par rapport aux prévisions de base. De même, la Banque du Canada a estimé dans un modèle antérieur que le PIB pourrait chuter de six points de pourcentage. Selon nos calculs, de telles réductions pourraient accroître les taux de chômage canadiens de deux à trois points de pourcentage. Bien que l’incidence précise de ces changements dépende de diverses hypothèses, y compris les politiques monétaires et budgétaires adoptées en réaction, voilà un choc négatif important pour la croissance canadienne et un risque sérieux de détérioration du taux de chômage.
  3. Les mesures de rétorsion du Canada (imposition échelonnée de tarifs de 25 % sur un montant de 155 milliards de dollars canadiens) semblent conçues pour donner plus de fil retordre de façon asymétrique à l’économie américaine qu’à l’économie canadienne. Cependant, ces tarifs auront le même effet que n’importe quels tarifs pour tout pays les imposant : baisse de la croissance et augmentation de l’inflation sur les marchandises ciblées. Au cours des prochains jours, nous nous attacherons à déterminer les produits pour lesquels les Canadiens ressentiront les tensions inflationnistes les plus probables provenant de ces mesures.
  4. C’est le secteur manufacturier du Canada qui est le plus fragile. Toutefois, les répercussions se feront aussi sentir dans de nombreuses autres industries fragilisées par voie indirecte. Comme nous l’avons mentionné auparavant, le secteur manufacturier du Canada, qui représente environ 9 % du PIB du Canada et 70 % du commerce total avec les États-Unis, subira de plein fouet les répercussions tarifaires. Les 15 principales industries canadiennes qui font affaire avec les États-Unis et dont la plupart dépendent du secteur manufacturier représentent presque 3,1 % de la main-d’œuvre totale du pays. Le secteur des véhicules automobiles du Canada, qui est intrinsèquement intégré aux États-Unis et au Mexique, est très inquiétant. Les pièces traversent parfois la frontière à plusieurs reprises. En d’autres termes, un produit fini comme une voiture peut faire l’objet de plusieurs impositions tarifaires.

    Il est à noter que les exportations de matières premières canadiennes sont moins susceptibles d’enregistrer une baisse de la demande américaine, car les Américains n’ont pas de marchandises de substitution. C’est ce qui a probablement encouragé une baisse de 10 % des tarifs sur les produits énergétiques pour les Américains. En effet, ce bien importé en particulier est celui le plus susceptible de créer un fardeau inflationniste plus important et plus immédiat pour les producteurs et les consommateurs américains.

    Comme nous l’avons indiqué dans notre Plan de match sur les tarifs, nous sommes conscients que les industries secondaires du secteur tertiaire, par exemple, risquent aussi de subir des effets de domino. Prenons une usine d’automobiles dont la demande se contracte et qui est forcée de licencier des ouvriers. Ces ouvriers, à leur tour, seront moins enclins à aller au restaurant ou au cinéma ou à effectuer d’autres dépenses à titre discrétionnaire. Cet effet de domino expose divers secteurs non tarifés au risque d’un choc économique généralisé. Ce risque est aussi quelque peu difficile à modéliser, car il peut être aggravé par la méfiance et l’état d’esprit des gens.

  5. Les tarifs douaniers frappent l’économie canadienne alors qu’elle était déjà malmenée. Le Canada ne s’est pas encore remis de son choc majeur sur les taux d’intérêt. Même si la Banque du Canada a réduit ses taux d’intérêt de 200 pb, le taux de chômage continue d’augmenter puisque le pays continue d’avoir une offre excédentaire et une capacité inférieure à la pleine capacité. Le PIB par habitant a reculé au cours des huit des neuf derniers trimestres et les investissements des entreprises stagnent. Sur le plan cyclique et structurel, l’économie canadienne est mal placée pour absorber un choc de cette ampleur.
  6. Les tarifs nuiront également à l’économie américaine. Bien que l’économie américaine soit au départ plus résiliente (et beaucoup moins tributaire du commerce), le choc qu’elle subira suffira pour ajuster la plupart des prévisions de croissance à la baisse, et d’inflation à la hausse. D’autres politiques de représailles accentueront probablement ces répercussions au Canada et au Mexique.

    Comme au Canada, certaines régions et certains secteurs américains seront plus vulnérables. Le secteur manufacturier américain, en particulier, est déjà à la traîne. La production industrielle fait quasi du sur-place depuis un an et s’est repliée dans l’ensemble depuis 2017. Les tarifs imposés par Washington nuiront probablement davantage à la compétitivité du secteur manufacturier aux États-Unis et, pire encore, comme nous l’avons soutenu auparavant, ne permettront pas de rapatrier la capacité de production manufacturière dans une grande mesure.

    En outre, les comparaisons avec les tarifs imposés à la Chine en 2018 sous-estiment l’impact économique pour les Américains. En 2023, le Canada et le Mexique représentaient ensemble 29 % des importations américaines (13,6 % en provenance du Canada et 15,4 % en provenance du Mexique), soit plus du double de la part combinée par rapport à la Chine (13,8 %). En 2023, le Canada était la principale source d’importation pour 23 États américains et la seconde source pour 11 États. Le Canada était aussi la première destination d’exportation pour 36 États et la deuxième pour 8 autres États.

Ce que nous surveillons en ce moment

Les retombées économiques sur le Canada (et les États-Unis) demeurent considérables, et malgré la robustesse des modèles économiques il nous faut tenir compte d’un certain nombre d’hypothèses. Alors que nous rajustons nos perspectives à la lumière des derniers événements, les facteurs suivants constituent des variables critiques :

Éléments susceptibles d’aggraver les retombées

  • Durée des tarifs douaniers : si les tarifs douaniers sont supprimés d’ici quelques semaines, le risque est celui d’un décrochage temporaire au Canada. Toutefois, s’ils s’étendent sur une période de plusieurs mois (p. ex. de trois à six mois), le risque de récession augmente rapidement pour le pays. Le risque lié à la durée des tarifs douaniers ne se limite pas au choc immédiat (ou à la récession) : plus longue est la période d’application des tarifs, plus les dommages structurels (c.-à-d. permanents) sur l’économie sont conséquents. Par exemple, le secteur manufacturier canadien (le plus sensible aux échanges commerciaux) représente plus de 10 % de l’investissement total des entreprises canadiennes et près du quart de l’investissement total en machinerie et matériel au Canada. Un ralentissement prolongé des investissements dans ce secteur réduira encore plus le potentiel économique du Canada à long terme et exigera un rajustement à long terme encore plus important.
  • Évolution des politiques de représailles ou escalade des tarifs douaniers américains. Les représailles canadiennes semblent viser à écourter les tarifs douaniers américains. Toutefois, de nouveaux changements au Canada (et au Mexique) pourraient encore faire évoluer les prévisions. En outre, si les États-Unis mettent à exécution leur menace d’escalade des tarifs douaniers en réponse à d’éventuelles représailles, nous devrons apporter d’autres modifications à notre analyse.

Éléments susceptibles d’atténuer les retombées

  • Un dollar canadien plus faible (dollar américain plus fort) : le dollar canadien a déjà fléchi de 7 % au cours des 12 derniers mois, et il semble peu probable qu’un déclin supplémentaire vienne compenser entièrement les tarifs douaniers de 25 % et les hausses de prix correspondantes. Cela dit, tout affaiblissement supplémentaire du dollar canadien atténuerait le choc des prix pour les Américains et amortirait la chute de la demande de marchandises canadiennes assujetties aux tarifs douaniers.
  • Une politique budgétaire appropriée : : en dehors des décisions entourant les mesures de représailles, les gouvernements devront faire une série de choix et de compromis sur la façon de soutenir les Canadiens dans une conjoncture récessionniste, en allant bien au-delà des outils traditionnels de stabilisation « automatique ». Un choc tarifaire diffère d’un choc pandémique dans la mesure où il représente un changement structurel dans la relation commerciale la plus importante entre deux pays. Il n’y a pas de bouton « arrêter la pause » dans un conflit commercial, même après l’élimination potentielle des tarifs douaniers, et par conséquent, la politique budgétaire ne peut pas faire le pont d’un côté à l’autre, mais aussi l’investissement dans le prochain chapitre économique du Canada. Dans ce contexte, les gouvernements canadiens devront dorénavant naviguer entre :

    • Le juste niveau de soutien. À la différence de l’ère de la pandémie ou de la crise financière mondiale, en ce moment le Canada subit (de même que le Mexique) un choc économique essentiellement propre à son économie. C’est-à-dire que le pays n’augmentera pas son déficit ou son niveau d’endettement de concert avec ses homologues mondiaux, et qu’il ne bénéficiera pas de comparaisons « relatives » de la part des marchés obligataires internationaux. Étant donné que les finances fédérales se rapprochent déjà de ce que l’on appelle les « cibles budgétaires », les réserves d’urgence ne sont pas aussi abondantes que certains l’auraient espéré. En même temps, si le conflit commercial s’avérait de courte durée (espérons-le), les dépenses excédentaires pourraient exacerber les tensions inflationnistes que le Canada vient tout juste de surmonter, ce qui compliquerait la tâche de la Banque du Canada. Étant donné que la durée du conflit est plus influencée par Washington que par Ottawa, cela représente un défi particulier.
    • Les bonnes cibles à soutenir : le choc tarifaire devrait se propager autant du côté des biens que celui des services, et il est évident qu’il touchera certains secteurs beaucoup plus que d’autres. Comme nous l’avons vu lors de la pandémie, un soutien généralisé serait probablement moins efficace qu’un soutien ciblé de façon à endiguer l’hémorragie dans les secteurs assujettis aux tarifs douaniers, plutôt que de viser des secteurs non concernés par cette politique. Déterminer les secteurs ayant besoin d’un soutien urgent sera une première étape critique. Nous écrirons plus à ce sujet dans les prochaines semaines.
    • L’équilibre entre le soutien à court terme et le soutien à long terme : plus le choc tarifaire sera prolongé, plus le Canada devra dépenser pour réorienter son économie en fonction d’un nouvel ordre commercial. Cela devra se faire en parallèle avec un soutien à court terme pour atténuer les effets d’une éventuelle récession. Contrairement à l’ère de la pandémie, nous soupçonnons que même un renversement de la politique tarifaire américaine n’endiguerait pas la soif de diversité commerciale et d’indépendance économique du Canada dans les années à venir.
  • Une politique monétaire bénéfique : nous nous attendions déjà à ce que la Banque du Canada réduise ses taux d’intérêt à environ 2 % d’ici la fin de l’année 2025, et nous estimons qu’un choc tarifaire produisant une récession (malgré la présence d’éléments inflationnistes) placerait la Banque du Canada sur une trajectoire encore plus conciliante. Toutes les banques centrales subiront l’effet des chocs tarifaires, parce que ces derniers ont tendance à faire grimper les prix et à ralentir la croissance. De plus, la réponse monétaire devra être calibrée en fonction de la réponse budgétaire à venir (de plus grandes mesures budgétaires impliquent des besoins monétaires moindres, et vice versa). D’après ce que nous savons maintenant, nous pensons que les probabilités d’assouplissement supplémentaire par rapport à nos attentes initiales pour 2025 sont en hausse. Quoi qu’il en soit, nous surveillerons les commentaires et les mesures de la Banque du Canada visant à alléger le fardeau des taux d’intérêt (et indirectement, à faire face à un déclin supplémentaire du dollar canadien).

Le présent article vise à offrir des renseignements généraux seulement et n’a pas pour objet de fournir des conseils juridiques ou financiers, ni d’autres conseils professionnels. Veuillez consulter un conseiller professionnel en ce qui concerne votre situation particulière. Les renseignements présentés sont réputés être factuels et à jour, mais nous ne garantissons pas leur exactitude et ils ne doivent pas être considérés comme une analyse exhaustive des sujets abordés. Les opinions exprimées reflètent le jugement des auteurs à la date de publication et peuvent changer. La Banque Royale du Canada et ses entités ne font pas la promotion, ni explicitement ni implicitement, des conseils, des avis, des renseignements, des produits ou des services de tiers.